DOLCE, Lodovico, Dialogo della pittura di M. Lodovico Dolce, Intitolato l’Aretino. Nel quale si ragiona della dignità di essa Pittura, e di tutte le parti necessarie, che a perfetto Pittore si acconvengono: con esempi di Pittori antichi, e moderni: e nel fine si fa menzione delle virtù, e delle opere del divin Tiziano / Dialogue sur la peinture de Louis Dolce, intitulé l’Aretin. Dans lequel on traitte de l’excellence de la peinture, de toutes les qualités necessaires au bon Peintre, avec les exemples des Peintres anciens et modernes, à la fin on y parle du merite et des ouvrages du divin Titien, trad. par VLEUGHELS, Nicolas, Firenze, Michel Nestenus et François Moucke, 1735.
Stéphanie Trouvé
DOLCE, Lodovico, Dialogo della pittura di M. Lodovico Dolce, intitolato l'Aretino: Nel quale si ragiona della dignità di essa pittura e di tutte le parti necessarie, che a perfetto pittore si acconvengono, con esempi di pittori antichi & moderni e nel fine si fa mentione della virtù e delle opere del divin Titiano, Venezia, Gabriele Giolito de Ferrari, 1557.
BAROCCHI, Paola, Scritti d'Arte del Cinquecento, Milano - Napoli, R. Ricciardi, 1971 - 1977, 3 vol.
HERCENBERG, Bernard, Nicolas Vleughels, Peintre et directeur de l’Académie de France à Rome 1668-1737, Paris, Léonce Laget, 1975.
LEE, Rensselaer W., Ut Pictura Poesis. Humanisme & Théorie de la Peinture. XVe-XVIIIe siècles, Paris, Macula, 1991.
HOCHMANN, Michel, « L’influence de l’Aretino de Lodovico Dolce sur la théorie de l’art française du XVIIe siècle », dans LACLOTTE, Michel et OTTANI CAVINA, Anna (éd.), Mélanges en hommage à Pierre Rosenberg, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2001, p. 236-240.
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QUOTATIONS
Are. Peut etre bien de quelques ignorants, qui sans s’y connoitre, autrement, courent apres les sentiments d’autrui, comme font les moutons l’un apres l’autre, ou bien de quelques miserables peintres, qui sont les singes de Michel Ange.
Fab. Non pas, mais de savants, & de gens, qui s’y connoissent.
Are. Je sais bien qu’à Rome du tems que Rafael vivoit, le plus grand nombre des gens de lettres, & des amateurs des beaux arts le mettoit au dessus de Michel Ange pour la peinture ; & que ceux qui tenoient pour ce dernier etoient pour la plus part des Sculpteurs, qui n’avoient de gout, que pour son dessein, & le terrible de ses figures, s’imaginant que la maniere gracieuse, & agreable de Rafael, etoit trop facile, & par consequent moins etudiée ; ne connoissant pas que la facilité est ce qu’il y a de plus beau dans tous les arts, le plus difficile à acquérir, & à s’approprier ; & en un mot c’est un grand art de cacher l’art.
Vleughels traduit "pittorucci" par "misérables peintres"
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Are. Je sais bien qu’à Rome du tems que Rafael vivoit, le plus grand nombre des gens de lettres, & des amateurs des beaux arts le mettoit au dessus de Michel Ange pour la peinture ; & que ceux qui tenoient pour ce dernier etoient pour la plus part des Sculpteurs, qui n’avoient de gout, que pour son dessein, & le terrible de ses figures, s’imaginant que la maniere gracieuse, & agreable de Rafael, etoit trop facile, & par consequent moins etudiée ; ne connoissant pas que la facilité est ce qu’il y a de plus beau dans tous les arts, le plus difficile à acquérir, & à s’approprier ; & en un mot c’est un grand art de cacher l’art.
Fab. Definissez moi donc premierement ce que c’est que peinture.
Are. Je le ferai, quoique ce soit une chose facile, & connue de tout le monde. Je dis donc pour ne point allonger le discours, que la peinture est une imitation du naturel, & que celui qui en approche davantage est le plus habile : mais parce que cette definition est un peu reserrée, & n’est pas tout à fait juste, ne distinguant pas assez le peintre du poete, dont le but est aussi d’arriver à l’imitation, j’ajouterai que le peintre se sert de lignes, & de couleurs pour y parvenir, qu’il emploie, ou sur du bois, sur un mur, ou sur de la toile, enfin sur tout ce qui peut se decouvrir aux yeux, & que le poete par le moyen de la parole imite non seulement ce que se presente à la vûe, mais encore tout ce qui touche l’esprit ; c’est en cela qu’ils different ; mais d’ailleurs ils sont si ressemblants en tout, qu’on peut les regarder comme freres. […]
Quoique le peintre ne puisse pas representer les choses, qui ne se connoissent que par l’attouchement, comme le froid de la neige ; ou au gout comme la douceur du miel ; il n’en represente pas moins les pensées, & les passions de l’ame.
Fab. Vous dites bien, mon cher, car ceci se connoit par certains mouvements exterieurs, souvent par un froncement de sourcil, par les plis du front, ou par quelqu’autre signe, on decouvre si bien les secrets interieurs, que souvent il n’est pas besoin de fenetres de Socrate.
Are. […] Mais les yeux sont principalement les fenetres de l’ame, aussi le peintre y peut très bien representer toutes les passions, la joye, la douleur, la crainte, l’esperance, & les desirs.
Fab. J’ajouterai encore que quoique le peintre soit appellé un poete muet, & que la peinture soit muette, il semble cependant de la maniere dont sont disposées les figures, qu’elles discourent, qu’elles crient, qu’elles pleurent, qu’elles rient, ou qu’elles produisent de semblables effects.
Are. Il le semble à la verité, mais cependant elles ne causent pas, & ne font aucune des choses, qu’elles semblent faire.
[…]
Are. Ce sont là certaines imaginations chimeriques du spectateur, produites par differentes attitudes, qui y correspondent, & non pas un effet, ou proprieté de la peinture.
Are. Il est donc l’essence du peintre de representer par son art toutes choses si semblables aux operations de la nature, qu’elles paroissent vraies, & celui à qui cette faculté manque, n’est nullement peintre.
Are. [...] de meme discourant sur ces deux excellents peintres [ndr. : Raphaël et Michel-Ange], je me flatte de toucher certaines belles difficulés de l’art, que si elles estoient receullies, ou par vous, ou par quelqu’un d’autre, qui les mit au jour, ne seroient pas d’une petite utilité pour certaines gens, qui, quoique peintres, ne savent pas autrement ce que c’est que peinture ; ce qui les rend arrogants, & medisants, s’imaginant que la peinture soit un art facile, dont tout le monde est capable ; tandis que c’est tout le contraire, & que c’est un metier difficile ou tres peu ont reussi. Ce discours pouroit bien par hazard etre d’une grande utilité à ceux qui s’appliquent aux belles lettres par la conformité, qui se trouve entre les peintres, & les ecrivains.
Fab. Premierement je voudrois que vous m’apprissiés si une persone, qui n’est pas peintre, est capable de juger de peinture ? Il est bien vrai que j’en trouve l’exemple chez vous, qui sans avoir jamais touché pinceau, étes, comme je l’ai dit, un juge tres delicat dans cette profession : aussi n’y a t-il qu’un Aretin au monde : & je souhaiterois apprendre par votre discours ce qu’on doit penser de certains peintres, qui ont coutume de rire, lorsqu’ils entendent quelques savants raisonner de peinture.
Are. Ces peintres doivent etre mis au rang de ceux, qui n’en ont que le nom ; car s’ils avoient une etincelle de jugement, ils connoitroient que les savants sont peintres ; que peinture est la poesie ; que peinture est l’histoire ; & qu’enfin toute composition d’habiles gens est peinture : c’est par cette raison que notre Petrarque nomme Homere
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Are. [...] Je dis donc que le jugement nait generalement dans l’homme de l’experience, & de la pratique ; & comme il n’y a rien de plus familier à l’homme, que l’homme ; il s’ensuit que tout homme est en etat de juger ce qu’il voit tous les jours, comme de la beauté, de la laideur de qui que ce soit ; parceque la beauté ne provient que d’une proportion convenable, qui se trouve ordinairement dans le corps humain, & principalement à chaque membre en particulier ; & le contraire derive de la disproportion : ce jugement dependant des yeux, qui est donc celui qui ne distingue le beau d’avec le laid ? persone assurement, s’il n’est privé de vûe & de jugement ; si bien que l’homme aiant connoissance, comme il à, de la veritable forme que doit avoir notre individu, qui est l’homme vivant ; pour quoi ne l’auroit-il pas de celle qui est feinte & morte, qui est la peinture ?
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Je ne nie pas que le peintre ne puisse avoir connoissance de certaines minuties, que ceux qui ne sont pas de la profession peuvent ignorer, mais quoiqu’elles soient peut etre importantes pour operer, elles seront toujours peu necessaires pour bien juger. Je crois (par ce peu de paroles) avoir suffisament demontré, que tout homme qui a bon esprit, & qui y aura joint de la pratique, peut juger de peinture ; & encore plus, s’il s’est familiarisé avec les antiques, & les tableaux des bons maitres, parce qu’aiant ramassé dans son idée une certaine image de la perfection, il lui sera facile de connoitre combien les ouvrages, qu’il verra, s’en eloignent, ou s’en approchent.
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Fab. […] continuez à parler de la noblesse de la peinture, parcequ’on trouve certaines gens, qui faisant peu de cas de cet art, le mettent au rang des arts mecaniques.
Are. : Ceux la, mon cher Fabrini, ne connoissent pas combien il est utile, & necessaire, d’ornement au monde en general, & à nous en particulier ; car il est seur qu’un art est d’autant plus noble qu’il est plus honoré des esprits sublimes. La peinture de tous tems a eté en grande veneration chez les Rois, chez les Empereurs, & chez les sages ; elle est donc très noble ; ce qui se prouve facilement par les exemples, qui se trouvent dans Pline, & en differents autheurs […].
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Are. Un des envieux d’Apelles l’aiant conduit à la table d’un certain Roi, qui ne l’aimoit pas ; ce Prince l’aiant reconnu, lui demanda, le regardant fierement, qui l’avoit rendu si hardi de venir avec tant d’audace se presenter à sa table ? Apelles ne trouvant plus celui, qui l’avoit amené, prit du charbon, & aussitot lui dessina sur le mur le portrait de son ennemi si ressemblant, que disant au Roi, voilà celui qui m’a conduit, il le reconnut au peu en avoit esquissé, ce qui le remit en grace, seulement par le merite de son habileté.
Continuant donc à nous entretenir de la magnificence des Princes, que ne dirons nous pas de Charles Quint, qui emulateur d’Alexandre par les grands travaux, & par les fatigues presque continuelles, que la guerre traine apres elle, ne laisse pas de s’occuper tres souvent de la peinture qu’il aime, & qu’il prise ? de maniere qu’ajant entendu les merveilles, qu’on publioit du Titien, le convia deux fois avec amitié, & avec bonté de venir à sa cour ; ou apres l’avoir honoré au pair des premiers Seigneurs, qui y etoient, il lui accorda des privileges, des pensions, & de magnifiques recompenses : pour un seul portrait qu’il lui fit à Bologne, il lui fit conter mille ecus. Alfonce Duc de Ferrare pareillement fut grand amateur de peinture : pour avoir le portrait du Titien peint par lui meme, il lui en donna trois cens ecus : c’est ce meme portrait, que vit depuis Michel Ange, qu’il admira, & qu’il loua au point d’avoüer, qu’il n’auroit jamais pu croire, que l’art pût arriver à telle perfection, & que le seul Titien meritoit le nom de peintre. [...]
Are. Ecoutez s’il vous plait, le Roi Philippe II. digne fils d’un si grand Empereur honore, & aime la peinture : & il est hors de doute, que pour les grands ouvrages, que le Titien lui à envoiés, il n’en recoive un jour la recompence digne d’un Roi pareil, & du merite d’un si grand peintre. J’ai entendu dire aussi que ces deux Princes savent dessinner.
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Eneas Vicus Parmesan, qui est aujourd’hui non seulement le premier Graveur, que nous aions, mais encore un homme de lettre, & profond connoisseur dans ce qui appartient à l’histoire ; comme on peut en juger par le livre de ses medailles, & par la genealogie des Cesars, cet habile homme, dis je, me raccontoit quelques années après son retour de la cour qu’etant auprés de l’Empereur, il lui presenta la planche (ou parmi divers ornements, & figures allegoriques à la gloire, & aux entreprises de sa Majesté) il a si delicatement gravé son portrait ; ce Prince le prit, & le mit dans son jour auprés d’une fenetre, ou après l’avoir examiné avec attention un tems considerable, il lui fit connoitre l’empressement qu’il avoit, qu’on en tirât beaucoup d’epreuves (ce qui ne se pouvoit pas parce que le cuivre etoit doré) & entra avec lui dans un detail sur ce qui regarde l’invention, & le dessein, ou il donna des preuves qu’il en savoit, ou peu s’en faut, autant que bien des gens de la profession, & ensuite lui fit donner deux cens ecus.
Pareillement Jule Cesar avoit la reputation de se connoitre bien en peinture, & en gravure *.
* Par gravure on ne doit entendre que celle sur pierre precieuse ; celle sur cuivre ou sur autres metaux, dont on tire les estampes ; & que dans le siecle dernier on à poussè au plus haut point de perfection, fut trouvée dans le XV. siecle à Florence par Maso Finiguerri orfevre ; je sais bien qu’il y en a qui veullent que ce fut en Flandres quelle parut premierement : mais la plus comune opinion est celle que je rapporte ici.
Fab. C’est avec justice qu’on a toujours estimé les peintres, parce qu’ils semblent surpasser en esprit, & en courage les autres hommes ; puisqu’ils osent par leur art imiter ce que Dieu a fait, & le representer de maniere qu’il semble vrai : c’est ce qui fait que je ne m’etonne pas que les Grecs, qui connoissoient le sublime de la peinture, deffendissent aux esclaves de la professer. Aussi Aristote se garde bien de confondre cet art parmi les mecaniques, disant qu’on devroit etablir des ecoles publiques dans les villes, ou les enfants allassent apprendre.
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Are. Jusqu’ici nous avons parcouru en partie la noblesse de la peinture, & avons vû en quelle estime furent, & sont les bons peintres : apresent considerons combien elle est utile, agreable, & d’ornement au monde. Premierement il est hors de doute que ce ne soit un grand bien pour nous d’avoir les images de notre Seigneur, de la Sainte Vierge, & des autres Saints, & Saintes : & de ceci on peut conclure, que malgré les deffenses, qui firent certains Empereurs, & principalement les Grecs, de l’usage public des images, elles furent pourtant approuvées par quantité de souverains Pontifes dans les saints Conciles ; & l’Eglise tient pour heretiques ceux qui ne les recoivent pas : parce que les images ne sont pas seulement (comme le disent certaines gens) les livres des ignorants ; mais elles servent beaucoup à exciter un gracieux recueil à la devotion ; ceux qui les connoissent sont elevés à la contemplation par la vûe de qu’elles representent […]. Saluste ecrit aussi que Q. Fabius, & P. Scipion avoient coutume de dire, que lorsqu’ils consideroient les images de leurs Ancêtres, ils se sentoient enflamés du desir de bien faire : non pas que la cire, ou le marbre, dont ces images etoient composées, eussent tant de vertu ; mais le cœur de ces grands hommes s’augmentoit au souvenir de leurs actions heroiques ; & ne se tranquilisa, que par leur propre valeur ils n’eussent egalé cette gloire. Les images des bons, & des grands hommes excitent donc, comme je le dis, les autres à la vertu, & aux grandes actions : & outre ce qui regarde la Religion, la peinture est d’une grande utilité aux Princes, & aux Capitaines ; elle leur fait voir d’avance dessinées la situation des lieux, & des villes, avant que les armées se mettent en campagne pour se disposer à un siege : ainsi l’on peut dire que la seule main du peintre est leur guide ; car le dessein est le propre du peintre. On doit encore regarder comme appartenant à la peinture, les cartes marines, aussi bien que les arts mecaniques, qui en tirent leur origine ; parceque les Architectes, les Massons, les Sculpteurs, les Graveurs, les Orfevres, les Brodeurs, les Charpantiers, jusqu’aux Serruriers ont tous besoin du dessein, ce qui est du ressort de la peinture.
Fab. On ne peut le nier ; car si on veut faire entendre qu’une chose est belle, on dit qu’elle à du dessein.
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Are. Quant à l’agreable, quoi qu’on puisse facilement le comprendre par ce qu’on a exposé ci devant ; j’ajouterai qu’il n’y a rien, qui attire tant à soi, ni qui occupe les yeux si agreablement, que la peinture ; non pas meme les pierres precieuses, non pas meme l’or, qui devient bien plus precieux s’il renferme quelque pierre, ou quelque ouvrage de quelque celebre Artiste, soit figures, animaux, ou quelqu’autre chose, qui ait du dessein, & de l’agrement ; ce qui plait non seulement aux connoisseurs, mais encore au vulgaire ignorant, meme aux enfants, qui d’abord qu’ils voient quelque peinture, la montrent presque toujours avec le doigt, & il semble que leur cœur enfantin en soit tout pâmé de douceur.
[…]
Are. Eh qui est ce, qui ne connoit pas l’agrement de la peinture, laquelle enrichit toutes choses ? Les edifices publics, & particuliers ont beau etre ornés en dedans de superbes tapisseries, de tables couvertes de tapis magnifiques, s’il ne s’y trouve quelques excellents tableaux, il y manque l’accomplissement du plus bel ornement ; par dehors les faces des palais font plus de plaisir aux yeux, lorsqu’elles sont peintes par quelques bons maitres, que celles qui sont incrustées de marbres blanc, de porphire, ou de serpentin enrichi d’or.
Agréable désigne dans cette cistation le plaisir suscité par la peinture
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Are. A mon avis, tout ce qui regarde la peinture se peut diviser en trois parties, invention, dessein, & coloris. L’invention est l’histoire, ou la fable, que le peintre se choisit de lui meme, ou qui lui est donné par quelqu’autre pour sujet, qu’il doit executer. Le dessein forme les figures, qui les represente. Enfin, le coloris fait les teintes, dont pour ainsi dire la nature a peint les choses animées comme les hommes, & les animaux ; les inanimées, comme les rochers, les herbes, les plantes, & autres semblables ; bien que celles-ci soient encore animées dans leurs espece, participant de cette ame appellée vegetative, qui les perpetue, & les maintient ; mais je m’enoncerai en peintre, & non en philosophe.
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Are. [...] Commençons par l’invention dans la quelle je trouve, qu’il entre beaucoup de parties, parmi les quelles l’ordonnance, & les convenances sont les principales ; parceque si le peintre, par exemple, avoit à representer Jesus Christ, ou saint Paul prechant, il ne conviendroit pas, qu’il les peignit nuds, qu’il les vêtit en soldats, ou en mariniers ; mais qu’il leur choisit un habit decent ; & convenable à l’un, & à l’autre ; principalement qu’il donnât au Seigneur une phisionomie grave accompagnée de douceur, & d’une benignité aimable, de meme qu’à saint Paul un air qui conviene à un si grand Apotre ; de maniere que ceux qui les regardent s’imaginent voir des portraits fidels, tant de l’Autheur de notre salut, que de ce Vaisseau d’election.
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Are. [..] sur tout il [ndr : le peintre] doit toujours avoir egard à la qualité des personnes, aussi bien qu’à la nation, aux coutumes, aux lieux, & au tems : tellement que s’il a à peindre un fait d’armes de Cesar, ou d’Alexandre le Grand, il ne convient pas, que les soldats soient armés commeils [sic] le sont aujourd'hui ; car autres sont les armes des Macedoniens, que celles des Romains ; & si on lui donne à faire une bataille moderne, il ne faut pas qu’il la compose à la maniere antique […].
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Are. Non seulement Albert Durer à manqué dans les vetements, mais encore dans les airs de têtes ; le quel parce qu’il etoit Allemand a peint en plus d’un endroit la Mere de notre Seigneur vëtue à l’Allemande, & pareillement toutes les saintes femmes, qui l’accompagnoient ; & il ne manque pas encore de donner aux Juifs des phisionomies Allemandes, & accompagnées de moustaches, & de cheveux bizarres, qu’ils portoient avec des habits à leur mode : mais de ces erreurs qui regardent la convenance, & l’invention j’en toucherai quelqu’une, lorsque j’en serai à la comparaison de Rafael, & de Michel Ange.
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Dürer incarne dans cette citation celui qui n'a pas respecté les règles de la convenance dans le traitement des habits et des visages.
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Are. […] je suis temoin que Rafael n’avoit point honte d’attacher dans son cabinet les estampes d’Albert [ndr : Dürer], & qu’il les louoit infiniment : & quand il n’auroit eu autre merite que la gravûre ; ses planches suffiroient pour l’immortaliser, qui avec une delicatesse incomparable representent la verité, & la vivacité du naturel, de maniere que ces ouvrages ne paroissent pas dessinés, mais peints ; non seulement peints, mais vivans.
Are. […] Quand à l’ordonnance il faut que le peintre aille de partie en partie, rassemblant tout ce qui peut convenir au sujet, qu’il a à peindre ; & si a propos, qu’il semble à ceux, qui le regardent, que le fait ne pourroit pas s’etre passé autrement, qu’il l’a representé ; ne mettant pas derriere ce qui doit etre devant, ni devant ce qui doit etre derriere, disposant tres exactement les choses comme elles devroient etre arrivées.
Fab. C’est ce qu’enseigne Aristote dans sa Poetique à ceux, qui composent des tragedies, & des comedies.
Are. Aussi Timante un des excellents peintres de l’antiquité, qui peignit Iphigenie fille d’Agamemnon, dont Euripide fit la belle tragedie, depuis peu traduite par le Dolce, & representée à Venise il y a quelques années ; la peignit, dis je, avant l’autel, ou elle attendoit d’etre immolée, & sacrifiée à Diane ; & aiant epuisé toutes les expressions de douleur sur le visage des spectateurs, & ne s’imaginant pas d’en pouvoir exprimer de plus forte sur le visage de ce pere affligé, il le fit qui se couvroit d’un linge, ou d’un bout de son habit : que Timante conserva bien la convenance, parcequ’Agamemnon etant pere, il sembloit encore qu’il ne devoit pas supporter de voir immoler sa fille à ses yeux.
Fab. Ce fut la, un accident bien trouvé.