JUGER
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[…] la mesme science [ndr : la peinture] qui nous apprent ce que c’est que la Verité, nous fait de plus des leçons du mensonge : Outre que la peinture nous porte à bien juger de la perfection de tout ce qu’elle represente, son art nous fournit des maximes pour en discerner les vices, & pour en censurer ce qu’y rencontre de defectueus. Ainsi l’on trouva mesme à redire au Jupiter de Phidias […].
PHIDIAS, Zeus, c. 435 BC, chryselephantine statue, lost (5th century AD)
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Mais son principal usage [ndr : la peinture] n’est pas seulement en de semblables observations, ny, comme dit Aristote {L. 8. Polit. c. 3.}, à donner une si parfaite connoissance des tableaus qu’on n’y puisse jamais estre trompé, soit pour la main ou la maniere des grands maistres, soit pour le fin discernement des copies d’avec les originaux, soit pour le prix qui depend presque tousjours de la fantaisie. Le plus grand avantage qu’on en tire vient de ce qu’elle nous apprend en quoy consiste la derniere beauté de tout ce qu’elle represente, & sur tout celle du corps humain.
Car il ne faut point douter que les Peintres ne jugent ordinairement mieux que le reste des hommes de la beauté humaine, tant à cause des regles qu’ils ont à l’esgard de la proportion des membres & des couleurs qui leur conviennent, que pource qu’ils exerçent incessamment leur imagination à former des Idées les plus accomplies qui se puissent concevoir.
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Comme il faut qu’un peintre soit desireux d’entendre le jugement d’un chacun sur ses ouvrages
[…] c’est pourquoy si nous connaissons que les hommes soient capables de remarquer des deffauts dans les œuvres mesmes de la nature, à combien plus forte raison pourront-ils juger aussi de nos fautes.
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C’est une espece de plaisir de sçavoir les noms des Peintres, de connoistre leurs differentes manieres, & de discerner les originaux des copies : mais c’est un contentement achevé quand on peut juger de l’art & de la science de l’Ouvrier ; qu’on entre dans ses pensées, & que l’on comprend l’artifice dont il s’est servi pour tromper les yeux, & perfectionner son ouvrage.
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Je ne nie pas que le peintre ne puisse avoir connoissance de certaines minuties, que ceux qui ne sont pas de la profession peuvent ignorer, mais quoiqu’elles soient peut etre importantes pour operer, elles seront toujours peu necessaires pour bien juger. Je crois (par ce peu de paroles) avoir suffisament demontré, que tout homme qui a bon esprit, & qui y aura joint de la pratique, peut juger de peinture ; & encore plus, s’il s’est familiarisé avec les antiques, & les tableaux des bons maitres, parce qu’aiant ramassé dans son idée une certaine image de la perfection, il lui sera facile de connoitre combien les ouvrages, qu’il verra, s’en eloignent, ou s’en approchent.
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Non seulement le public juge d'un ouvrage sans interêt, mais il en juge encore ainsi qu'il en faut décider en general, c'est-à-dire par la voïe du sentiment, & suivant l'impression que le poëme ou le tableau font sur lui. Puisque le premier but de la Poësie & de la Peinture est de nous toucher, les poëmes & les tableaux ne sont de bons ouvrages qu'à proportion qu'ils nous émeuvent & qu'ils nous attachent. Un ouvrage qui touche beaucoup doit être excellent à tout prendre. Par la même raison l'ouvrage qui ne touche point & qui n'attache pas ne vaut rien, & si la critique n'y trouve point à reprendre des fautes contre les regles, c'est qu'un ouvrage peut être mauvais sans qu'il y ait des fautes contre les regles, comme un ouvrage plein de fautes contre les regles peut être un ouvrage excellent.
Or le sentiment enseigne bien mieux si l'ouvrage touche, & s'il fait sur nous l'impression que doit faire un ouvrage, que toutes les dissertations composées par les Critiques, pour en expliquer le mérite, & pour en calculer les perfections & les défauts. La voie de discussion & d'analyse, dont se servent ces Messieurs, est bonne à la verité, lorsqu'il s'agit de trouver les causes qui font qu'un ouvrage plaît ou qu'il ne plaît pas ; mais cette voie ne vaut pas celle du sentiment lorsqu'il s'agit de décider cette question. L'ouvrage plaît-il ou ne plaît-il pas ? L'ouvrage est-il bon ou mauvais en géneral ? C'est la même chose. Le raisonnement ne doit donc intervenir dans le jugement que nous portons sur un poëme ou sur un tableau, que pour rendre raison de la décision du sentiment & pour expliquer quelles fautes l'empêchent de plaire, & quels sont les agrémens qui le rendent capable d'attacher. Qu'on me permette ce trait.
La raison ne veut point qu'on raisonne sur une pareille question, à moins qu'on ne raisonne pour justifier le jugement que le sentiment a porté. La décision de la question n'est point du ressort du raisonnement. Il doit se soumettre au jugement que le sentiment prononce. C'est le juge compétent de la question.
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Raisonne-t-on pour savoir si le ragoût est bon ou s'il est mauvais […] On n'en fait rien. Il est en nous un sens fait pour connoître si le Cuisinier a operé suivant les regles de son art. On goûte le ragoût, & même sans savoir ces regles, on connoît s'il est bon. Il en est de même en quelque maniere des ouvrages d'esprit & des tableaux faits pour nous plaire en nous touchant.
Il est en nous un sens destiné pour juger du mérite de ces ouvrages, qui consiste en l'imitation des objets touchans dans la nature. Ce sens est le sens même qui auroit jugé de l'objet que le Peintre, le Poëte ou le Musicien ont imité. C'est l'œil, lorsqu'il s'agit du coloris du tableau […] Lorsqu'il s'agit de connoître si l'imitation qu'on nous présente dans un poëme ou dans la composition d'un tableau, est capable d'exciter la compassion & d'attendrir, le sens destiné pour en juger, est le sens même qui auroit été attendri, c'est le sens qui auroit jugé de l'objet imité. C'est ce sixième sens qui est en nous, sans que nous voïions ses organes. C'est la portion de nous-mêmes qui juge sur l'impression qu'elle ressent, & qui pour me servir des termes de Platon, prononce, sans consulter la regle & le compas. C'est enfin ce qu'on appelle communément le sentiment.
Le cœur s'agite de lui-même, & par un mouvement qui précede toute délibération, quand l'objet qu'on lui présente est réellement un objet touchant, soit que l'objet ait reçu son être de la nature, soit qu'il tienne son existence d'une imitation que l'art en a faite. Notre cœur est fait, il est organisé pour cela. Son opération prévient donc tous les raisonnemens, ainsi que l'operation de l'œil & celle de l'oreille les devancent dans leurs sensations.
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Faut-il, pour juger si ce portrait ressemble ou non, prendre les proportions du visage de notre ami, & les comparer aux proportions du portrait ? Les Peintres mêmes diront qu'il est en eux un sentiment subit qui devance tout examen, & que l'excellent tableau qu'ils n'ont jamais vu, fait sur eux une impression soudaine qui les met en état de pouvoir, avant aucune discussion, de juger de son mérite en général : cette premiere appréhension leur suffit même pour nommer le noble Artisan du tableau.
On a donc raison de dire communément qu'avec de l'esprit on se connoît à tout, car on entend alors par le mot d'esprit, la justesse & la délicatesse du sentiment. […]
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Si le mérite le plus important des poëmes & des tableaux étoit d'être conforme aux regles rédigées par écrit, on pourroit dire que la meilleure maniere de juger de leur excellence, comme du rang qu'ils doivent tenir dans l'estime des hommes, seroit la voïe de discussion et d'analyse. Mais le mérite le plus important des poëmes & des tableaux est de nous plaire. C'est le dernier but que les Peintres & les Poëtes se proposent, quand ils prennent tant de peine à se conformer aux regles de leur art. On connoît donc suffisamment s'ils ont bien réussi, quand on connoît si l'ouvrage touche ou s'il ne touche pas. Il est vrai de dire qu'un ouvrage où les regles essentielles seroient violées, ne sçauroit plaire. Mais c'est ce qu'on reconnoît mieux en jugeant par l'impression que fait l'ouvrage qu'en jugeant de cet ouvrage sur les dissertations des Critiques, qui conviennent rarement touchant l'importance de chaque regle. Ainsi le public est capable de bien juger des vers & des tableaux sans sçavoir les regles de la Poësie & de la Peinture, car, comme le dit Ciceron (a) Omnes tacito quodam sensu sine ulla arte aut ratione, quæ sint in artibus ac rationibus prava aut recta dijudicant. Tous les hommes, à l'aide du sentiment intérieur qui est en eux, connoissent sans sçavoir les regles, si les productions des arts sont de bons ou de mauvais ouvrages, & si le raisonnement qu'ils entendent conclut bien.
(a) De Orat. lib. 3.
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Le dessein de la Poësie & de la Peinture étant de toucher & de plaire, il faut que tout homme qui n'est pas stupide, puisse sentir l'effet des bons vers & des bons tableaux. Tous les hommes doivent donc être en possession de donner leur propre suffrage, quand il s'agit de décider si les poëmes ou les tableaux sont l'effet qu'ils doivent faire. Ainsi, lorsqu'il s'agit de juger de l'effet général d'un ouvrage, le Peintre & le Poëte sont aussi peu en droit de recuser ceux qui ne sçavent pas leur art, qu'un Chirurgien serait en droit de récuser le témoignage de celui qui a souffert une opération. […]
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D’ailleurs les Peintres & les Poètes s’occupent à des imitations comme d’un travail au lieu que les autres hommes ne les regardent que comme des objets intéressans. Ainsi le sujet de l'imitation, c'est-à-dire, les événements de la tragédie et les expressions du tableau, font une impression légère sur les peintres et sur les poètes sans génie, qui sont ceux dont je parle. Ils sont en habitude d'être émus si faiblement, qu'ils ne s'aperçoivent presque pas si l'ouvrage les touche ou s'il ne les touche point. Leur attention se porte toute entière sur l'exécution mécanique, et c'est par là qu'ils jugent de tout l'ouvrage. La poësie du tableau de Monsieur Coypel, qui représente le sacrifice de la fille de Jephté, ne les saisit point, & ils l'examinent avec autant d'indifférence que s'il représentoit une danse de païsans, ou quelque sujet incapable de nous émouvoir. […].
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Nous avons vu que les beautez de l'exécution pouvoient seules rendre un tableau précieux. Or ces beautez se rendent bien sensibles aux hommes qui n'ont pas l'intelligence de la mécanique de la Peinture, mais ils ne sont pas capables pour cela de juger du mérite du Peintre. Pour être capable de juger de la loüange qui lui est dûë, il faut sçavoir à quel degré il a approché des Artisans qui sont les plus vantez pour avoir excellé dans les parties où il a réussi lui-même. […] Ainsi la réputation du Peintre, dont le talent est de réussir dans le clair-obscur ou dans la couleur locale, est bien plus dépendante du suffrage de ses pairs, que la réputation de celui dont le mérite consiste dans l'expression des passions & dans les inventions poëtiques, choses où le public se connoît mieux, qu'il compare par lui-même, & dont il juge par lui-même.[….].
On voit bien, qu'en suivant ce principe, je dois reconnoître les personnes du métier pour être les juges auxquels il faut s'en rapporter, quand on veut sçavoir, autant qu'il est possible, quel Peintre a fait le tableau ; mais elles ne sont point pour cela les juges uniques du mérite de ce tableau. Comme les plus grands ouvriers en ont fait quelquefois de médiocres, on ne connoît pas l'excellence d'un tableau, dès qu'on connaît son Auteur.
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Le public ne se connoît pas en peinture à Paris autant qu'à Rome. Les François en géneral n'ont pas le sentiment intérieur aussi vif que les Italiens. La difference qui est entr'eux est déja sensible dans les peuples qui habitent aux pieds des Alpes du côté des Gaules & du côté de l'Italie ; mais elle est encore bien plus grande entre les naturels de Paris & les naturels de Rome. Il s'en faut encore beaucoup que nous ne cultivions autant qu'eux la sensibilité pour la peinture, commune à tous les hommes. Géneralement parlant, on n'acquiert pas ici aussi-bien qu'à Rome le goût de comparaison. Ce goût se forme en nous-mêmes & sans que nous y pensions. A force de voir des tableaux durant la jeunesse, l'idée, l'image d'une douzaine d'excellens tableaux se grave & s'imprime profondément dans notre cerveau encore tendre. Or, ces tableaux qui nous sont toujours présens, et dont le rang est certain, dont le mérite est décidé, servent, s'il est permis de parler ainsi, de pieces de comparaison, qui donnent le moïen de juger sainement à quel point l'ouvrage nouveau qu'on expose sous nos yeux approche de la perfection où les autres peintres ont atteint, & dans quelle classe il est digne d'être placé. L'idée de ces douze tableaux qui nous est présente, produit une partie de l'effet que les tableaux mêmes produiroient, s'ils étoient à côté de celui dont nous voulons discerner le mérite & connoître le rang. La difference qui peut se trouver entre le mérite de deux tableaux exposez à côté l'un de l'autre, frappe tous ceux qui ne sont pas stupides.
Mais pour acquerir ce goût de comparaison qui fait juger du tableau présent par le tableau absent, il faut avoir été nourris dans le sein de la Peinture. Il faut, principalement durant la jeunesse, avoir eu des occasions fréquentes de voir dans une assiete d'esprit tranquille des tableaux. La liberté d'esprit n'est guéres moins necessaire pour sentir toute la beauté d'un ouvrage que pour le composer. Pour être bon spectateur il faut avoir cette tranquillité d'ame qui ne naît pas de l'épuisement, mais bien de la sérenité de l'imagination.
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Avant que de pouvoir juger sur un certain ouvrage de l'état où l'Art étoit lorsque cet ouvrage a été fait, il faudroit sçavoir positivement en quelle estime l'ouvrage a été dans ce tems-là, & s'il y a passé pour un ouvrage excellent en son genre. Quelle injustice, par exemple, ne feroit-on pas à notre siecle, si l'on jugeoit un jour de l'état où la Poësie dramatique auroit été de notre tems sur les Tragedies de Pradon, ou sur les Comedies de Hauteroche ? Dans les tems les plus féconds en Artisans excellens, il se rencontre encore un plus grand nombre d'Artisans médiocres. Il s'y fait encore plus de mauvais ouvrages que de bons. Or nous courerions le risque de prononcer sur la foi d'un de ces ouvrages médiocres, si, par exemple, nous voulions juger de l'état où la peinture étoit à Rome sous Auguste, par les figures qui sont dans la pyramide de Cestius ; quoiqu'il soit très-probable que ces figures peintes à fresque aïent été faites dans le tems même que le Mausolée fut élevé, & par conséquent sous le regne de cet Empereur. Nous ignorons quel rang pouvoit tenir entre les Peintres de son tems, l'Artisan qui les fit, & ce qui se passe aujourd'hui dans tous les pays, nous apprend suffisamment que la cabale fait distribuer souvent les ouvrages les plus considerables à des Artisans très-inférieurs à ceux qu'elle fait négliger.
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Il ne serait pas moins téméraire de décider la question sur ce que nos tableaux ne sont point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois ; suivant les apparences, les récits des Ecrivains qui nous racontent ces effets sont exagérez, & nous ne savons pas même ce qu'il en faudrait rabattre pour les réduire à l'exacte vérité. Nous ignorons quelle part de la nouveauté de l'art de la Peinture peut avoir euë dans l'impression qu'on veut que certains tableaux aïent fait sur les Spectateurs. Les premiers tableaux, quoique grossiers, ont dû paroître des ouvrages divins. L'admiration pour un art naissant, fait tomber aisément dans l'exagération ceux qui parlent de ses productions ; & et la tradition en recueillant ces récits outrez, aime encore les rendre plus merveilleux qu'elle ne les a reçus. On trouve même dans les Ecrivains anciens des choses impossibles données pour vraies, & des choses ordinaires traitées de prodiges. […]
Enfin on ne sçaurait donner une idée un peu précise des tableaux à ceux qui ne les ont pas vus absolument, & qui ne connaissent pas la manière du Peintre qui les a faits, que par voies de comparaison. […]
Les Ecrivains modernes qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus sçavans, sans nous rendre plus capables de juger la question de la supériorité des Peintres de l'antiquité sur les Peintres modernes. Ces Ecrivains se sont contentez de ramasser les passages des Auteurs anciens qui parlent de la peinture & de les commenter en Philologues, sans les expliquer par l'examen de ce que nos Peintres font de nos jours, & même sans appliquer ces passages aux morceaux de la peinture antique qui subsistent encore. Je pense donc que pour se former une idée aussi distincte de la peinture antique qu'il soit possible de l'avoir, il faut considérer séparément ce que nous pouvons sçavoir de certain sur la composition, sur l'expression & sur le coloris des Peintres de l'antiquité.
[…] Quant à la composition Pittoresque, il faut avoüer que dans les monumens qui nous restent, les Peintres anciens ne paroissent pas superieurs, ni même égaux à Raphaël, à Rubens, à Paul Véronèse, ni à M. Le Brun. […]
Quant à la composition Poëtique, les anciens se piquoient beaucoup d'exceller dans ses inventions, & comme ils étoient grands dessinateurs, ils avoient toutes sortes de facilité pour y réussir. Pour donner une idée du progrès que les anciens avoient faits dans cette partie de la peinture qui comprend le grand art des expressions, nous rapporterons ce qu'en disent les Ecrivains de l'antiquité. De toute les parties de la peinture, la composition Poëtique est celle dont il est le plus facile de donner une idée avec des paroles. C'est celle qui se décrit le mieux.
[…]
Comme le temps a éteint les couleurs, & confondu les nuances dans les fragmens qui nous restent de la peinture antique faite au pinceau, nous ne sçaurions juger à quel point les Peintres de l'antiquité ont excellé dans le coloris, ni s'ils ont égalé ou surpassé les grands Maîtres de l'Ecole Lombarde dans cette aimable partie de la peinture.[…] On ne sçaurait décider notre question sur des récits. Il faut pour la juger, avoir des pièces de comparaison. Elles nous manquent.
On ne sçauroit former un préjugé contre le coloris des anciens, de ce qu'ils ignoroient l'invention de détremper les couleurs avec de l'huile […]
Quant au clair-obscur & à la distribution enchanteresse des lumières & des ombres, ce que Pline & les autres Ecrivains de l'antiquité en disent, est si positif, leurs récits sont si bien circonstanciez & si vrai-semblables, qu'on ne sçauroit disconvenir que les anciens n'égalassent du moins dans cette partie de l'Art, les plus grands peintres modernes. Les passages de ces Auteurs que nous ne comprenions pas bien, quand les Peintres modernes ignoroient encore quel prestige on peut faire avec le secours de cette magie, ne sont plus si embroüillez & si difficiles, depuis que Rubens, ses Eleves, Polidore de Caravage, & d'autres Peintres les ont expliquez bien mieux, les pinceaux à la main, que les commentateurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres.
[…] je dis, que les Peintres qui ont travaillé depuis la renaissance des Arts, que Raphaël & ses contemporains n'ont point eu aucun avantage sur nos Artisans. Ces derniers sçavent toutes les couleurs dont les premiers se sont servis.
ANONYME, Antinoüs du Belvédère, le Lantin, v. 117 - v. 138, marbre, h. 195, Vatican, Vatican, Museo Pio-Clementino, MV_907_0_0.
ANONYME, Les Noces Aldobrandines, Ier siècle avant J.-C. - Ier siècle après J.-C., fresque, 95 x 255, Vatican, Musei Vaticani, Inv. 79631.
CLEOMENES, Vénus de Médicis, 1er siècle avant J.-C., marbre, h. 153, Firenze, Uffizi, Inv. 224.
Le Rotateur, sculpture antique
CARRACCI, les
CICERO, Marcus Tullius
École lombarde
LE BRUN, Charles
LUCIANUS DE SAMOSATE
PLINIUS, L'Ancien
POLIDORO DA CARAVAGGIO
QUINTILIANUS
RAFFAELLO (Raffaello Sanzio)
RUBENS, Peter Paul
VERONESE, Paolo (Paolo Caliari)
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L’originalité est le troisième point essentiel à la connoissance des desseins. Cette originalité n’est pas souvent bien aisée à constater. Pour juger si un dessein est original ou copie, il faut du discernement, de la pénétration, de la finesse d’esprit, une grande pratique, & une notion des principes de l’art moins (c) grande cependant que pour les tableaux.
(c) Quoiqu’un tableau terminé dise tout & ne laisse ordinairement rien a y ajoûter, qu’au contraire un dessein esquissé oblige d’y deviner plusieurs choses, il faut convenir qu’un tableau renfermant plus de parties de la peinture, demande aussi plus de connoissances.
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On juge souvent d’un ouvrage par rapport à la partie de la peinture qui nous flatte le plus & celle que nous connoissons le mieux, supposé celle du coloris, c’est cependant mal en juger, il faut qu’un bon connoisseur ait l’esprit d’une grande étenduë pour embrasser toutes les parties de la peinture & les aimer toutes à la fois ; les esprits bornés dans cette matiere ne peuvent être des juges équitables, ceux qui sont prévenus en sont aussi peu capables.
Dans un pareil jugement, il faut presque autant de lumieres pour sentir le beau que pour le produire, on doit considerer la composition, la disposition, & l’invention comprises sous le terme général d’ordonnance. Le dessein est encore une des principales parties, il a pour baze la proportion, l’anatomie & la correction.