DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Quatrième édition revue, corrigée et augmentée par l’Auteur, Paris, Pierre-Jean Mariette, 1740, 3 vol. , vol. I.
Du Bos était un érudit, amateur d’opéra, de musique, de théâtre et de peinture, qui a fréquenté les salons et voyagé en Hollande et en Angleterre. Il n’était pas praticien et à ce titre il justifie son propos de chercher à comprendre « l’origine du plaisir que nous font les vers et les tableaux » (Livre I, Introduction), légitimant de fait le droit de parler de peinture en se fiant uniquement à son expérience de spectateur. Cette approche fait ainsi du public un acteur essentiel de la critique et de la réception des œuvres. Du Bos oppose le point de vue du spectateur à celui des artistes qui ne s’attachent pas aux effets produits par l’œuvre, mais davantage aux contraintes posées par sa fabrication. Selon lui, ces effets doivent être dramatiques, identiques à ceux que procure une représentation théâtrale. Seule la peinture d’histoire, dont la vocation est de représenter les actions humaines et l’expression des passions, fait du peintre l’égal du poète ; ces deux derniers étant sans cesse mis en parallèle dans l’ouvrage. La valeur d’une œuvre dépend donc de son pouvoir émotionnel sur le spectateur, qui est essentiellement touché par la vraisemblance, et repose sur le plaisir qu’elle procure. Mais comment expliquer l’origine de ce plaisir ? Suffit-il qu’un tableau plaise pour qu’il soit bon ? Et que faire des peintures aux sujets jugés moins nobles ? Ce questionnement touche à la fois le degré de connaissance du public et les qualités de l’artiste. C’est la capacité du peintre à traiter un sujet de manière à la fois vraisemblable et inventive qui fait la force d’une œuvre. Dans la deuxième partie de ses Réflexions, Du Bos se penche sur le peintre et la question du génie. En faisant référence à Quintilien, il définit cette dernière notion comme une qualité innée et un talent reçu de la nature. À ces deux caractéristiques s’ajoutent les conditions particulières propres au climat et au régime politique qui ont un impact sur l’expression du génie. Du Bos introduit ainsi la théorie des climats pour définir le caractère de chaque individu, de chaque peuple : « c’est de tout temps qu’on a remarqué que le climat était plus puissant que le sang et l’origine » (Livre II, section 15).
L’ouvrage de Du Bos qui, selon Voltaire, était « le livre le plus utile qu’on ait jamais écrit sur ces matières » a eu un immense succès tout au long du XVIIIe siècle en raison notamment du développement des expositions, et a été édité à dix-sept reprises en France et à l’étranger.
Stéphanie Trouvé
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, J. Mariette, 1719, 2 vol.
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture. Nouvelle édition, revuë et corrigée, Utrecht, E. Néaulme, 1732, 2 vol.
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, Pierre-Jean Mariette, 1733, 3 vol.
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture. Cinquième édition, Paris, Pierre-Jean Mariette, 1746, 3 vol.
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture. Sixième édition, Paris, Pissot, 1755, 3 vol.
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture. Septième édition, Paris, Pissot, 1770, 3 vol.
DU BOS, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, DÉSIRAT, Dominique (éd.), Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1993.
LOMBARD, Alfred, L'abbé Du Bos: Un Initiateur De La Pensée Moderne (1670-1742), Genève, Slatkine Reprints, 1969.
TAVERNIER, Ludwig, « " A propos d'Illusion : Jean-Baptiste Dubos'Einführung eines Begriffs in die französische Kunstkritik des 18. Jahrhunderts " », Bruckmanns Pantheon, 1984, p. 158-160.
DÉSIRAT, Dominique, « Le sixième sens de l’Abbé Dubos », Revue La Licorne, 23, 1992 [En ligne : http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=280 consulté le 10/10/2016].
DÉMORIS, René, « Peinture, sens et violence au Siècle des Lumières : Fénelon, du Bos, Rousseau », dans MATHIEU-CASTELLANI, Gisèle (éd.), La pensée de l'image : signification et figuration dans le texte et la peinture, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1994 [En ligne : http://www.fabula.org/colloques/document630.php consulté le 12/10/2015].
LICHTENSTEIN, Jacqueline (éd.), La Peinture, Paris, Larousse, 1997.
RUSSO, Luigi (éd.), Jean-Baptiste Du Bos e l'estetica dello spettatore, Actes de colloque, Palermo (Aethetica preprint : Supplementa), Palermo, 2005, 15.
LICHTENSTEIN, Jacqueline, « L’argument de l’ignorant : de la théorie de l’art à l’esthétique », dans MICHEL, Christian et MAGNUSSON, Carl (éd.), Penser l’art dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, Actes du colloque de Lausanne, Paris, Somogy, 2013, p. 81-90.
LICHTENSTEIN, Jacqueline, Les raisons de l’art. Essai sur les théories de la peinture, Paris, Gallimard, 2014.
DAUVOIS, Daniel et DUMOUCHEL, Daniel (éd.), Vers l'esthétique : penser avec les "Réflexions critiques sur la poésie et la peinture" (1719) de Jean-Baptiste Du Bos,, Actes de colloque, Paris, , Paris, Hermann, 2015, 1.
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QUOTATIONS
On éprouve tous les jours que les vers & les tableaux causent un plaisir sensible, mais il n'en est pas moins difficile d'expliquer en quoi consiste ce plaisir.
Cette émotion naturelle qui s'excite en nous machinalement, quand nous voïons nos semblables dans le danger ou dans le malheur, n'a d'autre attrait que celui d'être une passion dont les mouvemens remuënt l'ame & la tiennent occupée ; cependant cette émotion a des charmes capables de la faire rechercher malgré les idées tristes & importunes qui l'accompagnent & qui la suivent.
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Les Peintres & les Poëtes excitent en nous ces passions artificielles, en nous présentant les imitations des objets capables d'exciter en nous des passions veritables.
Comme l'impression que ces imitations font sur nous est du même genre que l'impression que l'objet imité par le Peintre ou par le Poëte feroit sur nous : comme l'impression que l'imitation fait n'est differente de l'impression que l'objet imité feroit, qu'en ce qu'elle est moins forte, elle doit exciter dans notre ame une passion qui ressemble à celle que l'objet imité y auroit pu exciter. La copie de l'objet doit, pour ainsi dire, exciter en nous une copie de la passion que l'objet y auroit excitée. Mais comme l'impression que l'imitation fait n'est pas aussi profonde que l'impression que l'objet même auroit faite ; comme l'impression faite par l'imitation n'est pas serieuse, d'autant qu'elle ne va point jusqu'à l'ame pour laquelle il n'y a pas d'illusion dans ces sensations, ainsi que nous l'expliquerons tantôt plus au long ; enfin comme l'impression faite par l'imitation n'affecte que l'ame sensitive, elle s'efface bientôt. Cette impression superficielle faite par une imitation, disparoît sans avoir des suites durables, comme en auroit une impression faite par l'objet même que le Peintre ou le Poëte ont imité.
On conçoit facilement la raison de la difference qui se trouve entre l'impression faite par l'objet même & l'impression faite par l'imitation. L'imitation la plus parfaite n'a qu'un être artificiel, elle n'a qu'une vie empruntée, au lieu que la force & l'activité de la nature se trouve dans l'objet imité. C'est en vertu du pouvoir qu'il tient de la nature même que l'objet réel agit sur nous.
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Le plaisir qu'on sent à voir les imitations que les Peintres & les Poëtes sçavent faire des objets qui auroient excité en nous des passions dont la réalité nous auroit été à charge, est un plaisir pur. Il n'est pas suivi des inconveniens dont les émotions serieuses qui auroient été causées par l'objet même, seroient accompagnées.
Personne ne doute que les Poëtes ne puissent exciter en nous des passions artificielles ; mais il paraîtra peut-être extraordinaire à bien du monde & même à des Peintres de profession, d'entendre dire que des tableaux, que des couleurs appliquées sur la toile, puissent exciter en nous des passions : cependant cette vérité ne peut surprendre que ceux qui ne font pas d'attention à ce qui se passe dans eux-mêmes. Peut-on voir le tableau du Poussin qui représente la mort de Germanicus, sans être ému de compassion pour ce Prince & pour sa famille, comme d'indignation contre Tibère ? […]
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Dès que l'attrait principal de la Poësie & de la Peinture, dès que le pouvoir qu'elles ont pour nous émouvoir & pour nous plaire vient des imitations qu'elles sçavent faire des objets capables de nous interresser : la plus grande imprudence que le Peintre ou le Poëte puissent faire, c'est de prendre pour l'objet principal de leur imitation des choses que nous regarderions avec indifference dans la nature : c'est d'emploïer leur Art à nous représenter des actions qui ne s'attireroient qu'une attention médiocre si nous les voïions veritablement. Comment serons-nous touchez par la copie d'un original incapable de nous affecter ? Comment serons-nous attachez par un tableau qui représente un villageois passant son chemin en conduisant deux bêtes de somme, si l'action que ce tableau imite ne peut pas nous attacher ? [...] L'imitation ne sçauroit donc nous émouvoir quand la chose imitée n'est point capable de le faire. Les sujets que Teniers, Wowermans & les autres Peintres de ce genre ont représentez, n'auroient obtenu de nous qu'une attention très-legere. Il n'est rien dans l'action d'une fête de village ou dans les divertissemens ordinaires d'un corps de garde qui puisse nous émouvoir. Il s'ensuit donc que l'imitation de ces objets peut bien nous amuser durant quelques momens, qu'elle peut bien nous faire applaudir aux talens que l'ouvrier avoit pour l'imitation, mais elle ne sçauroit nous toucher.
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Dès que l'attrait principal de la Poësie & de la Peinture, dès que le pouvoir qu'elles ont pour nous émouvoir & pour nous plaire vient des imitations qu'elles sçavent faire des objets capables de nous interresser : la plus grande imprudence que le Peintre ou le Poëte puissent faire, c'est de prendre pour l'objet principal de leur imitation des choses que nous regarderions avec indifference dans la nature : c'est d'emploïer leur Art à nous représenter des actions qui ne s'attireroient qu'une attention médiocre si nous les voïions veritablement. Comment serons-nous touchez par la copie d'un original incapable de nous affecter ? Comment serons-nous attachez par un tableau qui représente un villageois passant son chemin en conduisant deux bêtes de somme, si l'action que ce tableau imite ne peut pas nous attacher ? [...] L'imitation ne sçauroit donc nous émouvoir quand la chose imitée n'est point capable de le faire. Les sujets que Teniers, Wowermans & les autres Peintres de ce genre ont représentez, n'auroient obtenu de nous qu'une attention très-legere. Il n'est rien dans l'action d'une fête de village ou dans les divertissemens ordinaires d'un corps de garde qui puisse nous émouvoir. Il s'ensuit donc que l'imitation de ces objets peut bien nous amuser durant quelques momens, qu'elle peut bien nous faire applaudir aux talens que l'ouvrier avoit pour l'imitation, mais elle ne sçauroit nous toucher.
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Les Peintres intelligens ont si bien connu, ils ont si bien senti cette verité, que rarement ils ont fait des païsages deserts & sans figures. Ils les ont peuplez, ils ont introduit dans ces tableaux un sujet composé de plusieurs personnages dont l'action fût capable de nous émouvoir & par conséquent de nous attacher. C'est ainsi qu'en ont usé le Poussin, Rubens et d'autres grands Maîtres qui ne se sont pas contentez de mettre dans leurs païsages un homme qui passe son chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché. Ils y placent ordinairement des figures qui pensent, afin de nous donner lieu de penser ; ils y mettent des hommes agitez de passions, afin de réveiller les nôtres & de nous attacher par cette agitation. En effet on parle plus souvent des figures de ces tableaux que de leurs terrasses et de leurs arbres. Le païsage que le Poussin a peint plusieurs fois, & qui s'appelle communément l'Arcadie, ne seroit pas si vanté s'il étoit sans figures.
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On pourroit objecter que des tableaux où nous ne voïons que l'imitation de differens objets qui ne nous auroient point attachez, si nous les avions vûs dans la nature, ne laissent pas de se faire regarder longtems. Nous donnons plus d'attention à des fruits & à des animaux répresentez dans un tableau, que nous n'en donnerions à ces objets mêmes. La copie nous attache plus que l'original.
Je répons que lorsque nous regardons avec application les tableaux de ce genre, notre attention principale ne tombe pas sur l'objet imité, mais bien sur l'art de l'imitateur. C'est moins l'objet qui fixe nos regards que l'adresse de l'Artisan ; nous ne donnons pas plus d'attention à l'objet même imité dans le tableau, que nous lui en donnons dans la nature. Ces tableaux ne sont point regardés aussi longtems que ceux où le mérite du sujet est joint avec le mérite de l'exécution. […] Un tableau d'histoire aussi bien peint qu'un corps de garde de Teniers, nous attacheroit bien plus que ce corps de garde.
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On pourroit objecter que des tableaux où nous ne voïons que l'imitation de differens objets qui ne nous auroient point attachez, si nous les avions vûs dans la nature, ne laissent pas de se faire regarder longtems. Nous donnons plus d'attention à des fruits & à des animaux répresentez dans un tableau, que nous n'en donnerions à ces objets mêmes. La copie nous attache plus que l'original.
L'art de Peinture est si difficile, il nous attaque par un sens, dont l'empire sur notre ame est si grand qu'un tableau peut plaire par les seuls charmes de l'exécution, indépendamment de l'objet qu'il représente : mais je l'ai déjà dit, notre attention & notre estime sont alors uniquement pour l'art de l'imitateur qui sçait nous plaire, même sans nous toucher. Nous admirons le pinceau qui a sçu contrefaire si bien la nature. Nous examinons comment l'Artisan a fait pour tromper nos yeux, au point de leur faire prendre des couleurs couchées sur une superficie pour de véritables fruits. Un Peintre peut donc passer pour un grand Artisan, en qualité de dessinateur élégant, ou de coloriste rival de la nature, quand même il ne sçauroit pas faire usage de ses talents pour représenter des objets touchans & pour mettre ses tableaux dans l'ame & la vraisemblance qui se font sentir dans ceux de Raphaël et de Poussin. […]
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Non seulement le sujet de l'imitation doit être interessant par lui-même, mais il faut encore le choisir convenable pour la Peinture quand on veut faire un tableau, & convenable à la Poësie , quand on veut le traiter en vers.
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Un Peintre peut bien faire voir qu'un homme est ému d'une certaine passion, quand même il ne le dépeint pas dans l'action, parce qu'il n'est pas de passion de l'ame qui ne soit en même tems une passion du corps. Mais ce que la colère fait penser de singulier, suivant le caractère propre de chacun, & suivant les circonstances où il se rencontre, ce qu'elle fait dire de sublime, par rapport à la situation du personnage qui parle, il est très rare que le Peintre puisse l'exprimer assez intelligiblement pour être entendu.
Par exemple le Poussin a bien pû dans son tableau de la mort de Germanicus exprimer toutes les espèces d'affliction […] mais il ne lui était pas possible de nous rendre compte des derniers sentiments de ce Prince si propres à nous attendrir. Un Poète le peut faire : il put lui faire dire : […]
POUSSIN, La Mort de Germanicus
POUSSIN, Nicolas
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POUSSIN, La Mort de Germanicus
POUSSIN, Nicolas
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Je me suis étonné plusieurs fois que les Peintres qui ont un si grand interêt à nous faire reconnoître les personnages dont ils veulent se servir pour nous toucher, & qui doivent rencontrer tant de difficultez à les faire reconnoître à l'aide seule du pinceau, n'accompagnassent pas toujours leurs tableaux d'histoire d'une courte inscription. Les trois quarts des Spectateurs qui sont d'ailleurs très-capables de rendre justice à l'ouvrage, ne sont point assez lettrez pour deviner le sujet du tableau. Il est quelquefois pour eux une belle personne qui plaît, mais qui parle une langue qu'ils n'entendent point : on s'ennuïe bientôt de la regarder, parce que la durée des plaisirs, où l'esprit ne prend point de part, est bien courte
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Au contraire rien n'est plus facile au Peintre intelligent que de nous faire connoître l'âge, le temperament, le sexe, la profession, & même la patrie de ses personnages, en se servant des habillemens, de la couleur des chairs, de celle de la barbe et des cheveux, de leur longueur et de leur épaisseur, comme de leur tournure naturelle, de l'habitude du corps, de la contenance, de la figure de la tête, de la physionomie, du feu, du mouvement & de la couleur des yeux, et de plusieurs autres choses qui rendent le caractere d'un personnage reconnoissable par sentiment. La nature a mis en nous un instinct, pour faire le discernement du caractere des hommes, qui va plus vîte & plus loin que ne peuvent aller nos réflexions sur les indices et sur les signes sensibles de ces caracteres. Or cette diversité d'expression imite merveilleusement la nature qui, nonobstant son uniformité, est toujours marquée dans chaque sujet à un coin particulier. Où je ne trouve pas cette diversité, je ne vois plus la nature et je reconnois l'Art. Le tableau dans lequel plusieurs têtes & plusieurs expressions sont les mêmes, ne fut jamais fait d'après la nature.
Le peintre ne trouve donc aucune opposition du côté de la mécanique de son Art à mettre dans chaque expression un caractere particulier. Il arrive même souvent que le Peintre, en operant comme Poëte, se suggere à lui-même comme coloriste & comme dessinateur des beautez qu'il n'auroit point rencontrées s'il n'avoit point eu des idées Poëtiques à exprimer. Une invention en fait éclore une autre.
Il est facile de conclure après ce que je viens d'exposer, que la Peinture se plaît à traiter des sujets où elle puisse introduire un grand nombre de personnages interessez à l'action. Tels sont les sujets dont nous avons parlé, & tels sont encore le meurtre de Cesar, le sacrifice d'Iphigenie, & plusieurs autres qu'il seroit superflu d'indiquer.
Soit que vous vouliez peindre, soit que vous vouliez composer des vers, aïez autant d'attention à choisir un sujet qui convienne au pinceau, si vous voulez faire un tableau, & qui convienne, pour ainsi dire, à la plume si vous êtes Poëte, qu'à le choisir convenable aux forces de votre genie particulier & proportionné avec vos talens personnels. Nous traiterons plus au long de ce dernier choix dans la suite. Revenons aux sujets specialement propres pour être traitez ou en vers ou dans un tableau. Le Poëte qui traite un sujet inconnu, generalement parlant, peut faire facilement connoître ses personnages dès le premier acte : il peut même, comme nous avons déja dit, les rendre interessans. Au contraire le Peintre à qui ces moïens manquent, ne doit jamais entreprendre de traiter un sujet tiré de quelque ouvrage peu connu ; il ne doit introduire sur sa toile que des personnages dont tout le monde, du moins le monde devant lequel il doit produire son tableau, ait entendu parler. Il faut que ce monde les connoisse déja, car le Peintre ne peut faire autre chose que de les lui faire reconnoître. Nous avons parlé de l'indifference des spectateurs pour le tableau dont ils ne connoissoient pas le sujet.
Le Peintre doit avoir cette attention sans cesse ; mais elle lui est encore plus necessaire quand il fait des tableaux de chevalet destinez à changer souvent de place comme de maître. Le sujet des fresques peintes sur les murailles, & celui de ces grands tableaux qui demeurent toujours dans la même place, s'il n'est pas bien connu, peut le devenir. On devine même que le tableau d'autel d'une Chapelle répresente quelque évenement de la vie du Saint sous le nom duquel elle est dédiée. Enfin la renommée qui instruit le monde du mérite de ces ouvrages, lui apprend en même-tems l'histoire que le Peintre y peut avoir traitée.
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La composition allégorique est de deux especes. Ou le Peintre introduit des personnages allégoriques dans une composition historique, c'est-à-dire dans la représentation d'une action qu'on croit être arrivée réellement comme est le sacrifice d'Iphigenie, & c'est ce qu'on appelle faire une composition mixte : Ou le Peintre imagine ce qu'on appelle une composition purement allégorique, c'est-à-dire qu'il invente une action qu'on sçait bien n'être jamais arrivée réellement, mais de laquelle il se sert comme d'une emblême pour exprimer un évenement véritable.
Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 184
D'ailleurs la vrai-semblance ne peut être observée trop exactement en peinture non plus qu'en poësie. C'est à proportion de l'exactitude de la vrai-semblance que nous nous laissons séduire plus ou moins par l'imitation. Or des personnages allégoriques emploïez comme acteurs dans une composition historique, doivent en alterer la vrai-semblance. […]
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Les Peintres sont Poëtes, mais leur Poësie ne consiste pas tant à inventer des chimeres ou des jeux d'esprit, qu'à bien imaginer quelles passions & quels sentimens l'on doit donner aux personnages suivant leur caractere & la situation où l'on les suppose, comme à trouver les expressions propres à rendre ces passions sensibles et à faire deviner ces sentimens. Je ne me souviens pas que Raphael ni le Poussin aïent jamais fait l'usage vicieux des personnages allégoriques que j'ose critiquer dans le tableau de Rubens.
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Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 186
Pourquoi donc reprendre Rubens de les avoir introduits dans le tableau qui représente l'arrivée de Marie de Médicis à Marseille. […]
Je réponds que cette licence donnée aux Peintres & aux Poëtes, doit s'entendre, comme Horace l'explique lui-même, sed non ut placidis coeant immitia. C'est-à-dire, que cette licence ne s'étend point à rassembler en un même tableau des choses incompatibles, comme sont l'arrivée de Marie de Médicis à Marseille, & des Tritons qui sonnent de leurs conques dans le port. […] Ces divinités ne doivent avoir part à l'action dans les compositions historiques […]. Elles ne peuvent être introduites dans ces dernières compositions que comme des figures allégoriques & des symboles.
Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 190
Une telle composition [ndr. : allégorique] est la représentation d'une action qui n'arriva jamais, & que le Peintre invente à plaisir, pour représenter un ou plusieurs évenements merveilleurx qu'il ne veut point traiter, en s'assujettissant à la vérité historique. Les Peintres font servir encore ces compositions à peu près au même usage que les Egyptions emploïent leurs figures Hierogliphiques, c'est-à-dire, pour mettre sensiblement sous nos yeux quelque vérité générale de la Morale.
Les compositions allégoriques sont de deux espèces ; les unes sont purement allégoriques, parce qu'il n'entre dans leur composition que de ces personnages symboliques éclos du cerveau des Peintres & des Poëtes. […] Les compositions allégoriques de la seconde espèce, sont celles où le Peintre mêle des personnages historiques avec les personnages allégoriques […]
Il est rare que les Peintres réussissent dans les compositions purement allégoriques, parce qu'il est presque impossible que dans les compositions de ce genre, ils puissent faire connoître distinctement leur sujet, & mettre toutes leurs idées à portée des spectateurs les plus intelligens. Encore moins peuvent-ils toucher le cœur peu disposé à s'attendrir pour des personnages chimeriques, en quelque situation qu'on les représente. La composition purement allégorique ne devroit donc être mise en œuvre que dans une nécessité urgente, & pour tirer le Peintre d'un embarras dont il ne pourrait sortir par la route ordinaire. Il ne sçauroit entrer dans cette composition qu'un petit nombre de figures, & les figures ne sçauroient être trop facile à reconnoître. Si on le l'entend pas aisément, on la laisse comme un vilain galimatias en peinture aussi bien qu'en poésie.
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Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 195
Les compositions allégoriques que nous avons nommées des compositions mixtes, sont d'un plus grand usage que les compositions purement allégoriques. Quoique leur action soit feinte, ainsi que celle des compositions purement allégoriques, néanmoins comme une partie de leurs personnages se trouvent être des personnages historiques, on peut mettre le sens de ces fictions à la portée de tout le monde, & les rendre ainsi capables de nous instruire, de nous attacher & même de nous intéresser.
Les Peintres tirent de grands secours de ces compositions allégoriques de la seconde espèce, ou pour exprimer beaucoup de choses qu'ils ne pourroient pas faire entendre dans une composition historique, ou pour représenter en un seul tableau plusieurs actions dont il semble que chacun demandât une toile séparée. La galerie du Luxembourg & celle de Versailles en font foi. Rubens & Le Brun ont trouvé moïen d'y représenter par le moïen de ces fictions mixtes, des choses qu'on ne concevoit pas pouvoir être renduës avec des couleurs. Il y font voir en un seul tableau des évenements qu'un Historien ne pourroit narrer qu'en plusieurs pages. […]
Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 197
Il serait superflu de prendre beaucoup de peine de persuader aux Peintres qu'on peut faire quelquefois un bon usage des compositions & des personnages allégoriques. Ils n'ont que trop de penchant à emploïer l'allégorie avec des excès dans tous les sujets, même dans ceux qui sont le moins susceptibles de ces embellissements. Mais le défaut d'aimer trop à faire usage du brillant de l'imagination, qu'on appelle communément l'esprit est un défaut général à tous les hommes.
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Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 198
Pour nous refermer dans les limites de la Peinture, j'ose avancer que rien n'a plus souvent écarté les bons Peintres du véritable but de leur art & ne leur a fait faire plus de choses hors de propos, que le désir de se faire applaudir sur la subtilité de leur imagination, c'est-à-dire sur leur esprit. Au lieu de s'attacher à l'imitation des passions, ils se sont plûs à donner l'effort à une imagination capricieuse, & à forger des chimeres dont l'allégorie mystérieuse est une énigme […] Au lieu de nous parler la langue des passions qui est commune à tous les hommes, ils ont parlé un langage qu'ils avaient inventé eux-mêmes, & dont les expressions proportionnées à la vivacité de leur imagination, ne sont point à la portée du reste des hommes. Ainsi tous les personnages d'un tableau allégorique sont souvent muets pour les spectateurs dont l'imagination n'est point du même étage que celle du Peintre. […]
[…] les tableaux ne doivent pas être des énigmes, & le but de la Peinture n'est pas d'exercer notre imagination, en lui donnant des sujets embrouïlles à deviner. Son but est de nous emouvoir & par consequent les sujets de ses ouvrages ne sçauroient être trop faciles à entendre. […] Tel est le pouvoir de la vérité, que les imitations & les fictions ne reussissent jamais mieux, que lorsqu'elles l'[ndr. : le sujet] altèrent le moins.
LE BRUN, Charles, Galerie des Glaces, 1678 - 1684, France, Versailles.
RUBENS, Peter Paul, Cycle de Marie de Medicis , 1622 - 1625, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre, INV. 1769.
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Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 202
Or comme nous le dit Vitruve en termes très-senses, il ne suffit pas que nos yeux trouvent leur compte dans un tableau bien peint & bien dessiné : l'esprit doit aussi trouver le sien. Il faut donc que l'Artisan du tableau ait choisi un sujet, que ce sujet se comprenne distinctement, & qu'il soit traité de maniere qu'il nous interesse. Je n'estime gueres, ajoute-t-il, les tableaux dont les sujets n'imitent pas quelque vérité. […] Ils peuvent tout au plus introduire dans leur action qui doit toujours imiter la verité historique, quelques figures allégoriques de celles qui sont convenables au sujet, comme seroit, par exemple, la Foi représentée à côté d'un Saint qui feroit un miracle. […] Des verites auxquelles nous ne sçaurions penser sans terreur & sans humiliation, ne doivent pas être peintes avec tant d'esprit, ni représentées sous l'emblême d'une allégorie ingénieuse inventée à plaisir. Il est encore moins permis d'emprunter les personnages & les fictions de la Fable pour peindre ces verites.
MICHELANGELO (Michelangelo Buonarroti), Le Jugement Dernier, 1536 - 1541, fresque, 1370 × 1220, Vatican, Cappella Sistina.
RUBENS, Peter Paul, Retable des Dominicains d'Anvers, 1620, huile sur toile, 565 x365, France, Lyon, A 194.
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MICHELANGELO (Michelangelo Buonarroti), Le Jugement Dernier, 1536 - 1541, fresque, 1370 × 1220, Vatican, Cappella Sistina.
RUBENS, Peter Paul, Retable des Dominicains d'Anvers, 1620, huile sur toile, 565 x365, France, Lyon, A 194.
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MICHELANGELO (Michelangelo Buonarroti), Le Jugement Dernier, 1536 - 1541, fresque, 1370 × 1220, Vatican, Cappella Sistina.
RUBENS, Peter Paul, Retable des Dominicains d'Anvers, 1620, huile sur toile, 565 x365, France, Lyon, A 194.
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Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 203
Les Peintres doivent emploïer l'allégorie dans les tableaux de dévotion, plus sobrement encore que dans les tableaux profanes.
[…] L'enthousiasme qui fait les Peintres & les Poetes, ne consiste pas dans l'invention des mysteres allégoriques, mais bien dans le talent d'enrichir ses compositions par tous les ornemens que la vrai-semblance du sujet peut permettre, ainsi qu'à donner de la vie à tous ses personnages par l'expression des passions. Telle est la Poësie de Raphaël ; telle est la Poësie du Poussin, & de Le Sueur ; & telle fut souvent celle de Monsieur Le Brun & de Rubens.
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Section 24. Des actions allégoriques & des personnages allégoriques par rapport à la Peinture p. 208
Mais, diront les Partisans de l'esprit, ne doit-il pas y avoir plus de mérite à inventer des choses qui ne furent jamais pensées, qu'à copier la nature, ainsi que fait votre Peintre qui excelle dans l'expression des passions ? Je leur réponds qu'il faut sçavoir faire quelque chose de plus que copier servilement la nature, ce qui est déjà beaucoup, pour donner à chaque passion son caractère convenable, & pour bien exprimer les sentiments de tous les personnages d'un tableau. Il faut pour ainsi dire copier la nature sans la voir. Il faut pouvoir imaginer avec justesse quels sont ses mouvements dans des cironstances où on ne l'a vît jamais. Est-ce avoir la nature devant les yeux que de dessiner d'après un modele tranquille, lorsqu'il s'agit de peindre une tête où l'on découvre de l'amour à travers la fureur de la jalousie. On voit bien une partie de la nature dans son modele, mais on n'y voit pas ce qu'il y a de plus important par rapport au sujet qu'on peint. On voit bien le sujet que la passion doit animer, mais on ne le voit point dans l'état où la passion doit le réduire, & c'est dans cet état qu'il faut le peindre. Il faut encore que le Peintre applique à la tête qu'il fait ce que les livres disent en général de l'effet des passions sur le visage, & des traits auxquels elles y sont marquées. […] Il faut donc que l'imagination de l'ouvrier supplée à tout ce qu'il y a de plus difficile à faire dans l'expression, [ …]
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On plaint quelquefois les Peintres & les Poëtes qui travaillent aujourd'hui, de ce que leurs prédecesseurs leur ont enlevé tous les sujets. Ces Artisans s'en plaignent souvent eux-mêmes, mais je crois que c'est à tort. Un peu de réflexion fera connoître que les Artisans qui travaillent présentement, ne doivent point être reçus à s'excuser sur la disette des sujets, quand on leur reproche quelquefois que leurs ouvrages nouveaux ne sont point nouveaux. La nature est si variée qu'elle fournit toujours des sujets neufs à ceux qui ont du génie.
Un homme né avec du génie voit la nature, que son art imite, avec d'autres yeux que les personnes qui n'ont pas de génie. Il découvre une difference infinie entre des objets, qui aux yeux des autres hommes paroissent les mêmes, & il fait si bien sentir cette difference dans son imitation, que le sujet le plus rebatu devient un sujet neuf sous sa plume ou sous son pinceau. Il est pour un grand Peintre une infinité de joïes & de douleurs differentes qu'il sçait varier encore par les âges, par les temperamens, par les caracteres des nations & des particuliers, & par mille autres moïens. Comme un tableau ne représente qu'un instant d'une action, un Peintre né avec du génie, choisit l'instant que les autres n'ont pas encore saisi, ou s'il prend le même instant, il l'enrichit de circonstances tirées de son imagination, qui font paroître l'action un sujet neuf. Or c'est l'invention de ces circonstances qui constituë le poëte en peinture. Combien a-t-on fait de crucifimens depuis qu'il est des Peintres ? Cependant les Artisans doüez de génie, n'ont pas trouvé que ce sujet fût épuisé par mille tableaux déja faits. Ils ont sçu l'orner par des traits de Poësie nouveaux, & qui paroissent néanmoins tellement propres au sujet, qu'on est surpris que le premier Peintre qui a médité sur la composition d'un crucifiment, ne se soit pas saisi de ces idées.
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Depuis Rubens jusqu'à Coypel, le sujet du crucifiment a été traité plusieurs fois. Cependant ce dernier Peintre a rendu sa composition nouvelle. Son tableau représente le moment où la nature s'émut d'horreur à la mort de J. C. le moment où le Soleil s'éclipsa sans l'interposition de la lune, & où les morts sortirent de leurs sépulcres. Dans l'un des côtez du tableau l'on voit des hommes saisis d'une peur mêlée d'étonnement à l'aspect du désordre nouveau, où paroît le Ciel, sur lequel leurs regards sont attachez. Leur épouvante fait un contraste avec une crainte mêlée d'horreur, dont sont frappez d'autres spectateurs, au milieu desquels un mort sort tout-à-coup de son tombeau. Cette pensée très-convenable à la situation des personnages, et qui montre des accidens differens de la même passion, va jusques au sublime ; mais elle paroît si naturelle en même-tems, que chacun s'imagine qu'il l'auroit trouvée, s'il eût traité le même sujet. La Bible qui est celui de tous les livres qu'on lit le plus, ne nous apprend-elle pas que la nature s'émût d'horreur à la mort de Jesus-Christ, & que les morts sortirent de leurs tombeaux ? Comment, dirions-nous, a-t-on pû faire un seul tableau du crucifiment, sans y emploïer ces accidens terribles, & capables de produire un si grand effet ? Cependant le Poussin introduit dans son tableau du crucifiment un mort sortant du sepulchre, sans tirer de l'apparition de ce mort le trait de poësie, que Monsieur Coypel en a tiré. Mais c'est le caractere propre de ces inventions sublimes que le génie seul fait trouver, que de paroître tellement liées avec le sujet, qu'il semble qu'elles aïent dû être les premieres idées qui se soient présentées aux Artisans, qui ont traité ce sujet. On suë vainement, dit Horace, quand on veut trouver des inventions du même genre sans avoir un génie pareil à celui du Poëte, dont on veut imiter le naturel et la simplicité.
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Depuis Rubens jusqu'à Coypel, le sujet du crucifiment a été traité plusieurs fois. Cependant ce dernier Peintre a rendu sa composition nouvelle. Son tableau représente le moment où la nature s'émut d'horreur à la mort de J. C. le moment où le Soleil s'éclipsa sans l'interposition de la lune, & où les morts sortirent de leurs sépulcres. Dans l'un des côtez du tableau l'on voit des hommes saisis d'une peur mêlée d'étonnement à l'aspect du désordre nouveau, où paroît le Ciel, sur lequel leurs regards sont attachez. Leur épouvante fait un contraste avec une crainte mêlée d'horreur, dont sont frappez d'autres spectateurs, au milieu desquels un mort sort tout-à-coup de son tombeau. Cette pensée très-convenable à la situation des personnages, et qui montre des accidens differens de la même passion, va jusques au sublime ; mais elle paroît si naturelle en même-tems, que chacun s'imagine qu'il l'auroit trouvée, s'il eût traité le même sujet. La Bible qui est celui de tous les livres qu'on lit le plus, ne nous apprend-elle pas que la nature s'émût d'horreur à la mort de Jesus-Christ, & que les morts sortirent de leurs tombeaux ? Comment, dirions-nous, a-t-on pû faire un seul tableau du crucifiment, sans y emploïer ces accidens terribles, & capables de produire un si grand effet ? Cependant le Poussin introduit dans son tableau du crucifiment un mort sortant du sepulchre, sans tirer de l'apparition de ce mort le trait de poësie, que Monsieur Coypel en a tiré. Mais c'est le caractere propre de ces inventions sublimes que le génie seul fait trouver, que de paroître tellement liées avec le sujet, qu'il semble qu'elles aïent dû être les premieres idées qui se soient présentées aux Artisans, qui ont traité ce sujet. On suë vainement, dit Horace, quand on veut trouver des inventions du même genre sans avoir un génie pareil à celui du Poëte, dont on veut imiter le naturel et la simplicité.
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Il est deux sortes de vrai-semblance en Peinture, la vrai-semblance poëtique & la vrai-semblance mécanique. La vrai-semblance mécanique consiste à ne rien représenter qui ne soit possible, suivant les loix de la statique, les loix du mouvement, & les loix de l'optique.
Cette vrai-semblance mécanique consiste donc à ne point donner à une lumiere d'autres effets que ceux qu'elle auroit dans la nature : par exemple à ne lui point faire éclairer les corps sur lesquels d'autres corps interposez l'empêchent de tomber. Elle consiste à ne point s'éloigner sensiblement de la proportion naturelle des corps ; à ne point leur donner plus de force qu'il est vrai-semblable qu'ils en puissent avoir. Un Peintre pécheroit contre ces loix, s'il faisoit lever par un homme qui seroit mis dans une attitude, laquelle ne lui laisseroit que la moitié de ses forces, un fardeau qu'un homme, qui peut faire usage de toutes ses forces, auroit peine à ébranler. [...] Je ne parlerai point plus au long de la vrai-semblance mécanique, parce qu'on en trouve des regles très-detaillées dans les livres qui traitent de l'Art de la Peinture.
La vrai-semblance poëtique consiste à donner à ses personnages les passions qui leur conviennent suivant leur âge, leur dignité, suivant le temperament qu'on leur prête, & l'interêt qu'on leur fait prendre dans l'action. Elle consiste à observer dans son tableau ce que les italiens appellent il Costumé ; c'est-à-dire à s'y conformer à ce que nous sçavons des mœurs, des habits, des bâtimens & des armes particulieres des peuples qu'on veut représenter. La vrai-semblance poëtique consiste enfin à donner aux personnages d'un tableau leur tête & leur caractere connu, quand ils en ont un, soit que ce caractere ait été pris sur des portraits, soit qu'il ait été imaginé.
Du Bos distingue deux types de vraisemblances : une mécanique et une poétique
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Il est deux sortes de vrai-semblance en Peinture, la vrai-semblance poëtique & la vrai-semblance mécanique. La vrai-semblance mécanique consiste à ne rien représenter qui ne soit possible, suivant les loix de la statique, les loix du mouvement, & les loix de l'optique.
Cette vrai-semblance mécanique consiste donc à ne point donner à une lumiere d'autres effets que ceux qu'elle auroit dans la nature : par exemple à ne lui point faire éclairer les corps sur lesquels d'autres corps interposez l'empêchent de tomber. Elle consiste à ne point s'éloigner sensiblement de la proportion naturelle des corps ; à ne point leur donner plus de force qu'il est vrai-semblable qu'ils en puissent avoir. Un Peintre pécheroit contre ces loix, s'il faisoit lever par un homme qui seroit mis dans une attitude, laquelle ne lui laisseroit que la moitié de ses forces, un fardeau qu'un homme, qui peut faire usage de toutes ses forces, auroit peine à ébranler. [...] Je ne parlerai point plus au long de la vrai-semblance mécanique, parce qu'on en trouve des regles très-detaillées dans les livres qui traitent de l'Art de la Peinture.
La vrai-semblance poëtique consiste à donner à ses personnages les passions qui leur conviennent suivant leur âge, leur dignité, suivant le temperament qu'on leur prête, & l'interêt qu'on leur fait prendre dans l'action. Elle consiste à observer dans son tableau ce que les italiens appellent il Costumé ; c'est-à-dire à s'y conformer à ce que nous sçavons des mœurs, des habits, des bâtimens & des armes particulieres des peuples qu'on veut représenter. La vrai-semblance poëtique consiste enfin à donner aux personnages d'un tableau leur tête & leur caractere connu, quand ils en ont un, soit que ce caractere ait été pris sur des portraits, soit qu'il ait été imaginé.
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La vrai-semblance poëtique consiste encore dans l'observation des regles que nous comprenons, ainsi que les Italiens, sous le mot de Costumé : observation qui donne un si grand mérite aux tableaux du Poussin. Suivant ces regles, il faut représenter les lieux où l'action s'est passée tels qu'ils ont été si nous en avons connoissance, & quand il n'en est pas demeuré de notion précise, il faut, en imaginant leur disposition, prendre garde à ne se point trouver en contradiction avec ce qu'on en peut sçavoir. Les mêmes regles veulent encore qu'on donne aux differentes Nations qui paroissent ordinairement sur la scene des tableaux, la couleur de visage & l'habitude de corps que l'histoire a remarqué leur être propres. Il est même beau de pousser la vrai-semblance jusques à suivre ce que nous sçavons de particulier des animaux de chaque païs, quand nous représentons un évenement arrivé dans ce païs-là. Le Poussin qui a traité plusieurs actions, dont la scene est en Egypte, met presque toujours dans ses tableaux des bâtimens, des arbres ou des animaux, qui par differentes raisons, sont regardez comme étant particuliers à ce païs.
Enfin la vrai-semblance poëtique demande que le Peintre donne à ses personnages leur air de tête connu, soit que cet air de tête nous ait été transmis par des médailles, des statuës ou par des portraits, soit qu'une tradition dont on ne connoit pas la source, nous l'ait conservé, soit même qu'il soit imaginé. Quoique nous ne sçachions pas bien certainement comment saint Pierre étoit fait, néanmoins les Peintres & les Sculpteurs sont tombez d'accord par une convention tacite de le représenter avec un certain air de tête & une certaine taille qui sont devenus propres à ce Saint. En imitation, l'idée reçue & généralement établie, tient lieu de vérité.
L'observation de la vrai-semblance me paroît donc après le choix du sujet la chose la plus importante dans le projet d'un poëme ou d'un tableau. La regle qui enjoint aux Peintres comme aux Poëtes de faire un plan judicieux, & d'arranger leurs idées de maniere que les objets se débrouillent sans peine, vient immédiatement après la regle qui enjoint d'observer la vrai-semblance.
Quant à la peinture, je crois qu'il faut diviser l'ordonnance ou le premier arrangement des objets qui doivent remplir un tableau en composition pittoresque & en composition poëtique.
J'appelle composition pittoresque, l'arrangement des objets qui doivent entrer dans un tableau par rapport à l'effet géneral de ce tableau. Une bonne composition pittoresque est celle dont le coup d'œil fait un grand effet suivant l'intention du peintre & le but qu'il s'est proposé. Il faut pour cela que le tableau ne soit point embarassé par les figures, quoiqu'il y en ait assez pour bien remplir la toile. Il faut que les objets s'y démêlent facilement. Il ne faut pas que les figures s'estropient l'une l'autre en se cachant réciproquement la moitié de la tête ni d'autres parties du corps, lesquelles il convient au sujet que le peintre fasse voir. Il faut enfin que les grouppes soient bien composez ; que la lumiere leur soit distribuée judicieusement ; & que les couleurs locales loin de s'entre-tuer, soient disposées de maniere qu'il resulte du tout une harmonie agréable à l'œil par elle-même.
La composition poëtique d'un tableau, c'est un arrangement ingénieux des figures inventé pour rendre l'action qu'il représente plus touchante & plus vrai-semblable. Elle demande que tous les personnages soient liez par une action principale, car un tableau peut contenir plusieurs incidens, à condition que toutes ces actions particulieres se réunissent en une action principale, & qu'elles ne fassent toutes qu'un seul & même sujet. Les regles de la Peinture sont autant ennemies de la duplicité d'action que celles de la Poësie dramatique. Si la Peinture peut avoir des épisodes comme la Poësie, il faut dans les tableaux, comme dans les tragedies, qu'ils soient liez avec le sujet, & que l'unité d'action soit conservée dans l'ouvrage du Peintre comme dans le poëme.
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Du Bos distingue deux types de compositions : la composition pittoresque et la composition poétique. Chaque type de composition nécessite un talent spécifique, un peintre excellent dans l’un ne l’est pas forcément dans l’autre.
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Le talent de la composition poëtique & le talent de la composition pittoresque sont tellement séparez, que nous voïons des Peintres excellens dans l'une, être grossiers dans l'autre. […]
Monsieur De Piles grand amateur de la peinture, et qui lui-même manioit le pinceau, nous a laissé plusieurs écrits touchant cet art, qui meritent d'être connus de tout le monde ; mais un de ces écrits merite toutes les loüanges qui sont dûës aux livres originaux : c'est sa balance des peintres.
Comme les parties d'un tableau sont toujours placées l'une à côté de l'autre, & qu'on en voit l'Ensemble du même coup d'œil, les défauts qui sont dans son ordonnance, nuisent beaucoup à l'effet de ses beautés. On aperçoit sans peine ses fautes relatives, quand on a sous les yeux en même tems les objets qui n'ont pas entr'eux le rapport qu'ils doivent avoir. […]
D'ailleurs les fautes réelles qui sont dans un tableau, comme une figure trop courte, un bras estropié, ou un personnage qui nous présente une grimace, au lieu de l'expression naturelle, sont toujours à côté de ses beautés. Nous ne voïons pas ce que le Peintre a fait de bon, séparément de ce qu'il a fait de mauvais.
Avant que de pouvoir juger sur un certain ouvrage de l'état où l'Art étoit lorsque cet ouvrage a été fait, il faudroit sçavoir positivement en quelle estime l'ouvrage a été dans ce tems-là, & s'il y a passé pour un ouvrage excellent en son genre. Quelle injustice, par exemple, ne feroit-on pas à notre siecle, si l'on jugeoit un jour de l'état où la Poësie dramatique auroit été de notre tems sur les Tragedies de Pradon, ou sur les Comedies de Hauteroche ? Dans les tems les plus féconds en Artisans excellens, il se rencontre encore un plus grand nombre d'Artisans médiocres. Il s'y fait encore plus de mauvais ouvrages que de bons. Or nous courerions le risque de prononcer sur la foi d'un de ces ouvrages médiocres, si, par exemple, nous voulions juger de l'état où la peinture étoit à Rome sous Auguste, par les figures qui sont dans la pyramide de Cestius ; quoiqu'il soit très-probable que ces figures peintes à fresque aïent été faites dans le tems même que le Mausolée fut élevé, & par conséquent sous le regne de cet Empereur. Nous ignorons quel rang pouvoit tenir entre les Peintres de son tems, l'Artisan qui les fit, & ce qui se passe aujourd'hui dans tous les pays, nous apprend suffisamment que la cabale fait distribuer souvent les ouvrages les plus considerables à des Artisans très-inférieurs à ceux qu'elle fait négliger.
Il ne serait pas moins téméraire de décider la question sur ce que nos tableaux ne sont point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois ; suivant les apparences, les récits des Ecrivains qui nous racontent ces effets sont exagérez, & nous ne savons pas même ce qu'il en faudrait rabattre pour les réduire à l'exacte vérité. Nous ignorons quelle part de la nouveauté de l'art de la Peinture peut avoir euë dans l'impression qu'on veut que certains tableaux aïent fait sur les Spectateurs. Les premiers tableaux, quoique grossiers, ont dû paroître des ouvrages divins. L'admiration pour un art naissant, fait tomber aisément dans l'exagération ceux qui parlent de ses productions ; & et la tradition en recueillant ces récits outrez, aime encore les rendre plus merveilleux qu'elle ne les a reçus. On trouve même dans les Ecrivains anciens des choses impossibles données pour vraies, & des choses ordinaires traitées de prodiges. […]
Enfin on ne sçaurait donner une idée un peu précise des tableaux à ceux qui ne les ont pas vus absolument, & qui ne connaissent pas la manière du Peintre qui les a faits, que par voies de comparaison. […]
Les Ecrivains modernes qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus sçavans, sans nous rendre plus capables de juger la question de la supériorité des Peintres de l'antiquité sur les Peintres modernes. Ces Ecrivains se sont contentez de ramasser les passages des Auteurs anciens qui parlent de la peinture & de les commenter en Philologues, sans les expliquer par l'examen de ce que nos Peintres font de nos jours, & même sans appliquer ces passages aux morceaux de la peinture antique qui subsistent encore. Je pense donc que pour se former une idée aussi distincte de la peinture antique qu'il soit possible de l'avoir, il faut considérer séparément ce que nous pouvons sçavoir de certain sur la composition, sur l'expression & sur le coloris des Peintres de l'antiquité.
[…] Quant à la composition Pittoresque, il faut avoüer que dans les monumens qui nous restent, les Peintres anciens ne paroissent pas superieurs, ni même égaux à Raphaël, à Rubens, à Paul Véronèse, ni à M. Le Brun. […]
Quant à la composition Poëtique, les anciens se piquoient beaucoup d'exceller dans ses inventions, & comme ils étoient grands dessinateurs, ils avoient toutes sortes de facilité pour y réussir. Pour donner une idée du progrès que les anciens avoient faits dans cette partie de la peinture qui comprend le grand art des expressions, nous rapporterons ce qu'en disent les Ecrivains de l'antiquité. De toute les parties de la peinture, la composition Poëtique est celle dont il est le plus facile de donner une idée avec des paroles. C'est celle qui se décrit le mieux.
[…]
Comme le temps a éteint les couleurs, & confondu les nuances dans les fragmens qui nous restent de la peinture antique faite au pinceau, nous ne sçaurions juger à quel point les Peintres de l'antiquité ont excellé dans le coloris, ni s'ils ont égalé ou surpassé les grands Maîtres de l'Ecole Lombarde dans cette aimable partie de la peinture.[…] On ne sçaurait décider notre question sur des récits. Il faut pour la juger, avoir des pièces de comparaison. Elles nous manquent.
On ne sçauroit former un préjugé contre le coloris des anciens, de ce qu'ils ignoroient l'invention de détremper les couleurs avec de l'huile […]
Quant au clair-obscur & à la distribution enchanteresse des lumières & des ombres, ce que Pline & les autres Ecrivains de l'antiquité en disent, est si positif, leurs récits sont si bien circonstanciez & si vrai-semblables, qu'on ne sçauroit disconvenir que les anciens n'égalassent du moins dans cette partie de l'Art, les plus grands peintres modernes. Les passages de ces Auteurs que nous ne comprenions pas bien, quand les Peintres modernes ignoroient encore quel prestige on peut faire avec le secours de cette magie, ne sont plus si embroüillez & si difficiles, depuis que Rubens, ses Eleves, Polidore de Caravage, & d'autres Peintres les ont expliquez bien mieux, les pinceaux à la main, que les commentateurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres.
[…] je dis, que les Peintres qui ont travaillé depuis la renaissance des Arts, que Raphaël & ses contemporains n'ont point eu aucun avantage sur nos Artisans. Ces derniers sçavent toutes les couleurs dont les premiers se sont servis.
ANONYME, Antinoüs du Belvédère, le Lantin, v. 117 - v. 138, marbre, h. 195, Vatican, Vatican, Museo Pio-Clementino, MV_907_0_0.
ANONYME, Les Noces Aldobrandines, Ier siècle avant J.-C. - Ier siècle après J.-C., fresque, 95 x 255, Vatican, Musei Vaticani, Inv. 79631.
CLEOMENES, Vénus de Médicis, 1er siècle avant J.-C., marbre, h. 153, Firenze, Uffizi, Inv. 224.
Le Rotateur, sculpture antique
CARRACCI, les
CICERO, Marcus Tullius
École lombarde
LE BRUN, Charles
LUCIANUS DE SAMOSATE
PLINIUS, L'Ancien
POLIDORO DA CARAVAGGIO
QUINTILIANUS
RAFFAELLO (Raffaello Sanzio)
RUBENS, Peter Paul
VERONESE, Paolo (Paolo Caliari)
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ANONYME, Antinoüs du Belvédère, le Lantin, v. 117 - v. 138, marbre, h. 195, Vatican, Vatican, Museo Pio-Clementino, MV_907_0_0.
ANONYME, Les Noces Aldobrandines, Ier siècle avant J.-C. - Ier siècle après J.-C., fresque, 95 x 255, Vatican, Musei Vaticani, Inv. 79631.
CLEOMENES, Vénus de Médicis, 1er siècle avant J.-C., marbre, h. 153, Firenze, Uffizi, Inv. 224.
Le Rotateur, sculpture antique
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PLINIUS, L'Ancien
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RAFFAELLO (Raffaello Sanzio)
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ANONYME, Les Noces Aldobrandines, Ier siècle avant J.-C. - Ier siècle après J.-C., fresque, 95 x 255, Vatican, Musei Vaticani, Inv. 79631.
CLEOMENES, Vénus de Médicis, 1er siècle avant J.-C., marbre, h. 153, Firenze, Uffizi, Inv. 224.
Le Rotateur, sculpture antique
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CICERO, Marcus Tullius
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LUCIANUS DE SAMOSATE
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Au contraire les Peintres qui travaillent aujourd'hui, tirent plus de secours de l'Art, que Raphaël & ses contemporains n'en pouvoient tirer. Depuis Raphaël, l'art & la nature se sont perfectionnez, […]. L'Ecole Lombarde a apporté le coloris à une perfection où il n'avoit pas encore atteint du vivant de Raphaël. L'Ecole d'Anvers a fait encore depuis lui plusieurs découvertes sur la magie du clair-obscur. Michel-Ange de Caravage & ses imitateurs ont aussi fait sur cette partie de la Peinture, des découvertes excellentes, quoiqu'on puisse leur reprocher d'en avoir été trop amoureux. Enfin depuis Raphaël, la nature s'est embellie. Expliquons ce Paradoxe.
Nos Peintres connoissent présentement une nature d'arbres & une nature d'animaux plus belle & plus parfaite que celle qui fut connuë aux devanciers de Raphaël et à Raphaël lui-même. […] Ce n'est qu'après lui que ces parties du monde [ndr : Asie orientale, Amérique, Brésil] ont été découvertes pour les Peintres, & qu'on en a rapporté les desseins des plantes, des fruits & des animaux rares qui s'y trouvent, & qui peuvent servir à l'embellissement des tableaux.
[…]
Il est vrai que Raphaël & ses contemporains n'étudioient pas la nature seulement dans la nature elle-même. Ils l'étudiaient encore dans les ouvrages des anciens. Mais les anciens eux-mêmes ne connoissoient pas les arbres [ndr.: des Pays-Bas] et les animaux [ndr.: d'Angleterre]. L'idée de belle nature que les anciens s'étaient formée sur certains arbres & sur certains animaux, en prenant pour modeles les arbres & les animaux de la Grece et de l'Italie, n'approche pas de ce que la nature produit en ce genre-là dans d'autres contrées.
[…]
Il faudrait connoître le monde presqu'aussi bien que l'intelligence qui l'a créé, & qui a décidé de son arrangement, pour imaginer la perfection où la nature est capable d'arriver. […] Les connaissances des hommes sur la conformation de l'Univers, étant aussi bornées qu'elles le sont, ils ne peuvent, en prêtant à la nature les beautés qu'ils imaginent, l'annoblir dans leurs inventions, autant qu'elle sçait l'annoblir elle-même à la faveur de certaines conjectures. Souvent leur imagination la gâte au lieu de la perfectionner.
Anciens (les)
CARAVAGGIO (Michelangelo Merisi da Caravaggio)
école d'Anvers
École lombarde
RAFFAELLO (Raffaello Sanzio)
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Je crois que le pouvoir de la Peinture est plus grand sur les hommes que celui de la Poësie, & j'appuie mon sentiment sur deux raisons. La premiere est que la Peinture agit sur nous par le moïen du sens de la vûë. La seconde est que la Peinture n'emploïe pas des signes artificiels ainsi que le fait la Poësie, mais bien des signes naturels. C'est avec des signes naturels que la peinture fait ses imitations.
La Peinture se sert de l'œil pour nous émouvoir. [...] La vûë a plus d'empire sur l'ame que les autres sens. La vûë est celui des sens en qui l'ame, par un instinct que l'expérience fortifie, a le plus de confiance […]
En second lieu, les signes que la Peinture emploïe pour nous parler, ne sont pas des signes arbitraires & instituez, tels que sont les mots dont la Poësie se sert. La Peinture emploïe des signes naturels dont l'énergie ne dépend pas de l'éducation. Ils tirent leur force du rapport que la nature elle-même a pris soin de mettre entre les objets extérieurs & nos organes, afin de procurer notre conservation. Je parle peut-être mal, quand je dis que la Peinture emploïe des signes. C'est la nature elle-même que la Peinture met sous nos yeux. Si notre esprit n'y est pas trompé, nos sens du moins y sont abusez. La figure des objets, leur couleur, les reflais de lumière, les ombres, enfin tout ce que l'œil peut apercevoir, se trouve dans un tableau, comme nous le voïons dans la nature. Elle se présente dans un tableau sous la même forme où nous la voïons réellement. Il semble même que l'œil ébloüi par l'ouvrage d'un Grand Peintre, croïe quelquefois apercevoir du mouvement dans ses figures.
Les vers les plus touchans ne sçauroient nous émouvoir que par degrez & en faisant jouer plusieurs ressorts de notre machine les uns après les autres. Les mots doivent d'abord réveiller les idées dont ils ne sont que des signes arbitraires. Il faut ensuite que ces idées s'arrangent dans l'imagination, & qu'elles y forment ces tableaux qui nous touchent, & ces peintures qui nous intéressent. Toutes ces opérations, il est vrai, sont bientôt faites ; mais il est un principe incontestable dans la mécanique, c'est que la multiplicité des ressorts affoiblit toujours le mouvement, parce qu'un ressort ne communique jamais à un autre tout le mouvement qu'il a reçu. D'ailleurs il est une de ces opérations, celle qui se fait quand le mot réveille l'idée dont il est le signe, qui ne se fait pas en vertu des loix de la nature. Elle est artificielle en partie.
Ainsi les objets que les tableaux nous présentent agissant en qualité de signes naturels, ils doivent agir plus promptement. L'impression qu'ils font sur nous, doit être plus prompte & plus soudaine que celle que les vers peuvent faire.[…] Nous voïons alors en un instant ce que les vers nous font seulement imaginer, & cela même en plusieurs instants.
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Je crois que le pouvoir de la Peinture est plus grand sur les hommes que celui de la Poësie, & j'appuie mon sentiment sur deux raisons. La premiere est que la Peinture agit sur nous par le moïen du sens de la vûë. La seconde est que la Peinture n'emploïe pas des signes artificiels ainsi que le fait la Poësie, mais bien des signes naturels. C'est avec des signes naturels que la peinture fait ses imitations.
La Peinture se sert de l'œil pour nous émouvoir. [...] La vûë a plus d'empire sur l'ame que les autres sens. La vûë est celui des sens en qui l'ame, par un instinct que l'expérience fortifie, a le plus de confiance […]
En second lieu, les signes que la Peinture emploïe pour nous parler, ne sont pas des signes arbitraires & instituez, tels que sont les mots dont la Poësie se sert. La Peinture emploïe des signes naturels dont l'énergie ne dépend pas de l'éducation. Ils tirent leur force du rapport que la nature elle-même a pris soin de mettre entre les objets extérieurs & nos organes, afin de procurer notre conservation. Je parle peut-être mal, quand je dis que la Peinture emploïe des signes. C'est la nature elle-même que la Peinture met sous nos yeux. Si notre esprit n'y est pas trompé, nos sens du moins y sont abusez. La figure des objets, leur couleur, les reflais de lumière, les ombres, enfin tout ce que l'œil peut apercevoir, se trouve dans un tableau, comme nous le voïons dans la nature. Elle se présente dans un tableau sous la même forme où nous la voïons réellement. Il semble même que l'œil ébloüi par l'ouvrage d'un Grand Peintre, croïe quelquefois apercevoir du mouvement dans ses figures.
Les vers les plus touchans ne sçauroient nous émouvoir que par degrez & en faisant jouer plusieurs ressorts de notre machine les uns après les autres. Les mots doivent d'abord réveiller les idées dont ils ne sont que des signes arbitraires. Il faut ensuite que ces idées s'arrangent dans l'imagination, & qu'elles y forment ces tableaux qui nous touchent, & ces peintures qui nous intéressent. Toutes ces opérations, il est vrai, sont bientôt faites ; mais il est un principe incontestable dans la mécanique, c'est que la multiplicité des ressorts affoiblit toujours le mouvement, parce qu'un ressort ne communique jamais à un autre tout le mouvement qu'il a reçu. D'ailleurs il est une de ces opérations, celle qui se fait quand le mot réveille l'idée dont il est le signe, qui ne se fait pas en vertu des loix de la nature. Elle est artificielle en partie.
Ainsi les objets que les tableaux nous présentent agissant en qualité de signes naturels, ils doivent agir plus promptement. L'impression qu'ils font sur nous, doit être plus prompte & plus soudaine que celle que les vers peuvent faire.[…] Nous voïons alors en un instant ce que les vers nous font seulement imaginer, & cela même en plusieurs instants.
L'industrie des hommes a trouvé quelques moïens de rendre les tableaux plus capables de faire beaucoup d'impression sur nous. On les vernit. On les renferme dans des bordures dorées qui jettent un nouvel éclat sur les couleurs, & qui semblent, en séparant les tableaux des objets voisins, réunir mieux entr'elles les parties dont ils sont composez, à peu près comme il paroît qu'une fenêtre rassemble les differens objets qu'on voit par son ouverture.
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Section 43. Que le plaisir que nous avons au Théatre, n’est point produit par l’illusion. p. 424-425
Or il est vrai que tout ce que nous voïons au théatre, concourt à nous émouvoir, mais rien n'y fait illusion à nos sens, car tout s'y montre comme imitation. Il en va de même de la Peinture. […] Mais dans le tableau de Raphaël dont je parle [ndr. Attila]: l'imitation est si vrai-semblable, qu'elle fait sur les spectateurs une grande partie de l'impression que l'évenement auroit pû faire sur eux.
On raconte un grand nombre d'histoires d'animaux, d'enfans, & même d'hommes faits qui s'en sont laissé imposer par des tableaux, au point de les avoir pris pour les objets dont ils n'étoient qu'une imitation. Toutes ces personnes dira-t-on, sont tombées dans l'illusion que vous regardez comme impossible. On ajoutera que plusieurs oiseaux se sont froissé la tête contre la perspective de Ruel, trompez par son ciel si bien imité qu'ils ont cru pouvoir prendre l'essort à travers. Des hommes ont souvent adressé la parole à des portraits, croïant parler à d'autres hommes. Tout le monde sçait l'histoire du portrait de la servante de Rembrandt. Il l'avoit exposé à une fenêtre où cette fille se tenoit quelquefois, & les voisins y vinrent tour à tour pour faire conversation avec la toile. Je veux bien tomber d'accord de tous ces faits, qui prouvent seulement que les tableaux peuvent bien quelquefois nous faire tomber en illusion, mais non pas que l'illusion soit la source du plaisir que nous font les imitations Poëtiques ou Pittoresques. La preuve est que le plaisir continuë, quand il n'y a plus de lieu à la surprise. Les tableaux plaisent sans le secours de cette illusion, qui n'est qu'un incident du plaisir qu'ils nous donnent, et même un incident assez rare. Les tableaux plaisent, quoiqu'on ait présent à l'esprit qu'ils ne sont qu'une toile sur laquelle on a placé des couleurs avec art.
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Section 43. Que le plaisir que nous avons au Théatre, n’est point produit par l’illusion. p. 424-425
On raconte un grand nombre d'histoires d'animaux, d'enfans, & même d'hommes faits qui s'en sont laissé imposer par des tableaux, au point de les avoir pris pour les objets dont ils n'étoient qu'une imitation. Toutes ces personnes dira-t-on, sont tombées dans l'illusion que vous regardez comme impossible. On ajoutera que plusieurs oiseaux se sont froissé la tête contre la perspective de Ruel, trompez par son ciel si bien imité qu'ils ont cru pouvoir prendre l'essort à travers. Des hommes ont souvent adressé la parole à des portraits, croïant parler à d'autres hommes. Tout le monde sçait l'histoire du portrait de la servante de Rembrandt. Il l'avoit exposé à une fenêtre où cette fille se tenoit quelquefois, & les voisins y vinrent tour à tour pour faire conversation avec la toile. Je veux bien tomber d'accord de tous ces faits, qui prouvent seulement que les tableaux peuvent bien quelquefois nous faire tomber en illusion, mais non pas que l'illusion soit la source du plaisir que nous font les imitations Poëtiques ou Pittoresques. La preuve est que le plaisir continuë, quand il n'y a plus de lieu à la surprise. Les tableaux plaisent sans le secours de cette illusion, qui n'est qu'un incident du plaisir qu'ils nous donnent, et même un incident assez rare. Les tableaux plaisent, quoiqu'on ait présent à l'esprit qu'ils ne sont qu'une toile sur laquelle on a placé des couleurs avec art.
Les estampes multiplient à l'infini les tableaux des grands Maîtres. Elles mettent à portée d'en joüir ceux que la distance des lieux condamnoit à ne les voir jamais. On voit de Paris par le secours d'une Estampe, les plus grandes beautez que Raphaël ait peintes sur les murs du Vatican.
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Mais la question, si Le Brun est préferable au Titien, c'est-à-dire, si la partie de la composition poëtique & de l'expression est préferable à celle du coloris, & laquelle de ces parties est superieure à l'autre, je tiens qu'il est inutile de l'agiter. Jamais les personnes d'un sentiment opposé, ne sçauroient s'accorder sur cette prééminence dont on juge toujours par rapport à soi-même. Suivant qu'on est plus ou moins sensible au coloris, ou bien à la poësie Pittoresque, on place le Coloriste au-dessus du Poëte, ou le Poëte au-dessus du Coloriste. Le plus grand Peintre pour nous, est celui dont les ouvrages nous font le plus de plaisir. Les hommes ne sont pas affectez également par le coloris ni par l'expression, il en est, qui pour ainsi dire, ont l'œil plus voluptueux que d'autres. Leurs yeux sont organisez, de maniere que l'harmonie & la verité des couleurs y excite un sentiment plus vif que celui qu'elle excite dans les yeux des autres. Un autre homme, dont les yeux ne sont point conformez aussi heureusement, mais dont le cœur est plus sensible que celui du premier, trouve dans les expressions touchantes un attrait superieur au plaisir que lui donnent l'harmonie & la verité des couleurs locales. Tous les hommes n'ont pas le même sens également délicat. Les uns auront le sens de la vûë meilleur à proportion que les autres sens. Voilà pourquoi les uns préferent le Poussin au Titien, quand d'autres préferent le Titien au Poussin.
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Mais la question, si Le Brun est préferable au Titien, c'est-à-dire, si la partie de la composition poëtique & de l'expression est préferable à celle du coloris, & laquelle de ces parties est superieure à l'autre, je tiens qu'il est inutile de l'agiter. Jamais les personnes d'un sentiment opposé, ne sçauroient s'accorder sur cette prééminence dont on juge toujours par rapport à soi-même. Suivant qu'on est plus ou moins sensible au coloris, ou bien à la poësie Pittoresque, on place le Coloriste au-dessus du Poëte, ou le Poëte au-dessus du Coloriste. Le plus grand Peintre pour nous, est celui dont les ouvrages nous font le plus de plaisir. Les hommes ne sont pas affectez également par le coloris ni par l'expression, il en est, qui pour ainsi dire, ont l'œil plus voluptueux que d'autres. Leurs yeux sont organisez, de maniere que l'harmonie & la verité des couleurs y excite un sentiment plus vif que celui qu'elle excite dans les yeux des autres. Un autre homme, dont les yeux ne sont point conformez aussi heureusement, mais dont le cœur est plus sensible que celui du premier, trouve dans les expressions touchantes un attrait superieur au plaisir que lui donnent l'harmonie & la verité des couleurs locales. Tous les hommes n'ont pas le même sens également délicat. Les uns auront le sens de la vûë meilleur à proportion que les autres sens. Voilà pourquoi les uns préferent le Poussin au Titien, quand d'autres préferent le Titien au Poussin.
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Mais les hommes croïent naturellement que leur goût est le bon goût, & par consequent ils pensent que les personnes qui ne jugent pas comme eux, ont les organes imparfaits, ou qu'elles se laissent conduire à des prejugez qui les gouvernent, sans qu'elles-mêmes s'apperçoivent du pouvoir de la prévention.
Qu'on change les organes de ceux à qui l'on voudroit faire changer de sentiment sur les choses qui sont purement de goût, ou pour mieux dire, que chacun demeure dans son opinion, sans blâmer l'opinion de l'autre. Vouloir persuader à un homme qui préfère le coloris à l'expression, en suivant son propre sentiment, qu'il a tort, c'est lui vouloir persuader de prendre plus de plaisir à voir les tableaux du Poussin, que ceux du Titien.
La prédilection qui nous fait donner la préférence à une partie de la peinture sur une autre partie, ne dépend donc point de notre raison, non plus que la prédilection qui nous fait aimer un genre de poësie preferablement aux autres. Cette prédilection dépend de notre goût, & notre goût dépend de notre organisation, de nos inclinations présentes, & de la situation de notre esprit. Quand notre goût change, ce n'est point parce qu'on nous aura persuadé d'en changer, mais c'est qu'il est arrivé en nous un changement physique. Il est vrai que souvent ce changement nous a été insensible, & que nous ne pouvons même nous en appercevoir qu'à l'aide de la réflexion, parce qu'il s'est fait peu à peu et imperceptiblement. L'âge & plusieurs autres causes, produisent en nous ces sortes de changemens. Une passion triste, nous fait aimer durant un temps des livres assortis à notre humeur présente. Nous changeons de goût aussi-tôt que nous sommes consolez.