DE PILES, Roger ( 1635-1709 )
Quotation
{DESSEIN, seconde partie de la Peinture. VII. Attitude.}
*Les Parties [ndr : des figures] doivent avoir leurs Contours en ondes, & ressembler en cela à la flâme, ou au serpent lors qu’il rampe sur la terre. Ces Contours seront coulans, grands, & presque imperceptibles au toucher, comme s’il n’y avoit ny eminences ny cavitez. Qu’ils soient conduits de loin sans interruption, pour en éviter le grand nombre. Que les Muscles soient bien inserez & liez, *selon la connoissance qu’en donne l’Anatomie. Qu’ils soient *desseignez à la Grecque, & qu’ils ne paroissent que peu, comme nous le montrent les Figures Antiques. Qu'il y ait enfin un entier* accord des Parties avec leur Tout, & qu'elles soient parfaitement bien ensemble.
Quotation
{XXIX. Des Passions.}
D'exprimer outre tout cela les Mouvemens des esprits & les Affections qui ont leur siege dans le cœur ; en un mot, de faire avec un peu de couleurs que l'ame nous soit visible,* c'est où consiste la plus grande difficulté […]
Quotation
{DESSEIN, seconde partie de la Peinture. VII. Attitude.}
*Les Parties [ndr : des figures] doivent avoir leurs Contours en ondes, & ressembler en cela à la flâme, ou au serpent lors qu’il rampe sur la terre. Ces Contours seront coulans, grands, & presque imperceptibles au toucher, comme s’il n’y avoit ny eminences ny cavitez. Qu’ils soient conduits de loin sans interruption, pour en éviter le grand nombre. Que les Muscles soient bien inserez & liez, *selon la connoissance qu’en donne l’Anatomie. Qu’ils soient *desseignez à la Grecque, & qu’ils ne paroissent que peu, comme nous le montrent les Figures Antiques. Qu'il y ait enfin un entier* accord des Parties avec leur Tout, & qu'elles soient parfaitement bien ensemble.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
{XX. L’Antique regle la Nature.}
Ce qu’il y a icy à faire, est d’imiter le beau Naturel, comme ont fait les Anciens, tel que l’objet & la Nature de la chose le demandent : Et c’est pour cela que vous serez soigneux de rechercher les Medailles antiques, les Statuës, les Vases, les Bas-reliefs, *& tout ce qui fait connoistre les Pensées & les Inventions des Grecs ; parce qu’elles nous donnent de grandes idées, & nous font produire de belles choses.
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{DESSEIN, seconde partie de la Peinture. VII. Attitude.}
*C’est donc dans leur Goust [ndr : celui des statues antiques] qu’on choisira une ATTITUDE, *dont les membres soient Grands, *Amples, *Inégaux dans leur position, en sorte que ceux de devant contrastent les autres qui vont en arriere, & soient tous également balancez sur leur centre.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
Quoy qu’il y ait dans la Peinture plusieurs choses, dont on ne puisse pas donner de regles si precises (*veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes) je ne laisseray pourtant pas d’en donner quelques unes que j’ay choisies parmy les plus belles que nous avons receuës de la Nature cette sçavante maistresse, apres l’avoir examinée à fonds, aussi-bien que ces chefs-d’œuvres de l’Antiquité *les premiers Exemplaires de l’Art. Et c'est par ce moyen que l'esprit & la disposition naturelle se cultivent , & que la science perfectionne le génie […]
Quotation
{XX. L’Antique regle la Nature.}
Ce qu’il y a icy à faire, est d’imiter le beau Naturel, comme ont fait les Anciens, tel que l’objet & la Nature de la chose le demandent : Et c’est pour cela que vous serez soigneux de rechercher les Medailles antiques, les Statuës, les Vases, les Bas-reliefs, *& tout ce qui fait connoistre les Pensées & les Inventions des Grecs ; parce qu’elles nous donnent de grandes idées, & nous font produire de belles choses.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau.}
Cependant vous ne devez pas vous attendre que la fortune & le hazard vous donnent infailliblement les belles choses ; quoy que celles que nous voyons soient vrayes & naturelles, elles ne sont pas toûjours pour la bienséance & pour l’ornement : ce n’est pas assez d’imiter de point en point d’une maniere basse toute sorte de Nature ; mais il faut que le Peintre en prenne ce qui est de plus beau, *comme l’Arbitre souverain de son Art, & que par le progrès qu’il y aura fait, il en sçache reparer les defauts, & n’en laisse point échapper les beautez* fuyantes & passageres. […]
Quotation
{XV. Du nombre des Figures.}
*De mesme que la Comedie est rarement bonne dans laquelle le nombre des Acteurs est trop grand, ainsi est-il bien rare & quasi comme impossible de faire un Tableau parfait, dans lequel il se trouve une grande quantité de Figures […] : parce que tant de choses dispersées apportent une confusion, & ostent une majesté grave & un silence doux, qui font la beauté du Tableau & la satisfaction des yeux ; mais si vous y estes contraint par le Sujet, il faudra concevoir le Tout ensemble & l’effet de l’Ouvrage comme tout d’une veuë, & non pas chaque chose en particulier.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
{Couleur ou Cromatique. Troisième Partie de la Peinture.}
Aussi ne voit-on personne qui rétablisse *la † CROMATIQUE, & qui la remette en vigueur au point que la porta Zeuxis, lors que par cette Partie, qui est pleine de charmes & de magie, & qui sçait si admirablement tromper la veuë, il se rendit égal au fameux Apelle, le Prince des Peintres, & qu’il merita pour toûjours la reputation qu’il s’est établie par tout le monde. Et comme cette partie (que l’on peut dire l’ame & le dernier achevement de la Peinture) est une beauté trompeuse, mais flateuse & agreable, on l’accusoit de produire *sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer : Mais tant s’en faut que cette prostitution, ce fard & cette tromperie l’ayent jamais deshonorée, qu’au contraire elles n’ont servy qu’à sa loüange, & à faire voir son merite : Il sera donc tres-avantageux de la connoistre.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{DESSEIN, seconde partie de la Peinture. VII. Attitude.}
*Les Parties [ndr : des figures] doivent avoir leurs Contours en ondes, & ressembler en cela à la flâme, ou au serpent lors qu’il rampe sur la terre. Ces Contours seront coulans, grands, & presque imperceptibles au toucher, comme s’il n’y avoit ny eminences ny cavitez. Qu’ils soient conduits de loin sans interruption, pour en éviter le grand nombre. Que les Muscles soient bien inserez & liez, *selon la connoissance qu’en donne l’Anatomie. Qu’ils soient *desseignez à la Grecque, & qu’ils ne paroissent que peu, comme nous le montrent les Figures Antiques. Qu'il y ait enfin un entier* accord des Parties avec leur Tout, & qu'elles soient parfaitement bien ensemble.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau.}
Cependant vous ne devez pas vous attendre que la fortune & le hazard vous donnent infailliblement les belles choses ; quoy que celles que nous voyons soient vrayes & naturelles, elles ne sont pas toûjours pour la bienséance & pour l’ornement : ce n’est pas assez d’imiter de point en point d’une maniere basse toute sorte de Nature ; mais il faut que le Peintre en prenne ce qui est de plus beau, *comme l’Arbitre souverain de son Art, & que par le progrès qu’il y aura fait, il en sçache reparer les defauts, & n’en laisse point échapper les beautez* fuyantes & passageres. […]
Quotation
{XXVI. La Scene du Tableau.}
*Que l’on considere les lieux où l’on met la Scene du Tableau, les Païs d’où sont ceux que l’on y fait paroistre, leurs Façons de faire, leurs Coûtumes, leurs Loix, & ce qui fait leur Bien-seance.
Quotation
{XXXIV. Le Blanc & le Noir.}
*Le Blanc tout pur avance ou recule indifferemment : il s'approche avec du Noir, & s'éloigne sans luy : *Mais pour le Noir tout pur, il n'y a rien qui s'approche davantage.
Quotation
CARACTERE. Les Peintres entendent par ce mot, les qualités qui constituent l’essence d’une chose, & qui la distinguent d’une autre. Caractere des objets, caractere des passions.
Chaque espéce d’objet demande une marque différente de distinction, la pierre, les eaux, les arbres, la plume, &c.
Chaque animal demande une touche différente, qui exprime fidélement sont caractere ; le nud même des figures humaines a ses marques de distinction. De Piles, cours de Peint.
Quotation
CHAMP, terme de Peinture. Dans le sens propre, on appelle champ du tableau, le fond du tableau même ; dans le figuré on appelle champ, toute partie qui en soutient une autre, ou qui est placée derriere elle. On dit cette partie sert de champ à un bras, une terrasse sert de champ à une figure, une figure sert de champ à une autre, un ciel sert de champ à un arbre. On employe aussi le terme de fond dans cette seconde acception, & M. de Piles prétend qu’il est mieux de s’en servir en parlant des objets particuliers. Une draperie fait fond à un bras, une terrasse fait fond à une figure.
Quotation
Champ du Tableau : le champ, le fond & le derriere du Tableau ne signifient qu’une même chose, sinon que l’on appelle plus ordinairement fond, ce qui est derriere les objets en particulier, & l’on dit, une telle chose fait fond à telle autre, une draperie, par exemple, fait fond à un bras, une terrasse fait fond à une figure, une figure à une autre, un Ciel à un arbre, ou à une autre chose, & ainsi du reste.
Quotation
CHARGE, CHARGER. On appelle proprement charges ou tableaux chargés, des représentations où l’on exagére les choses en bien ou en mal, mais plûtôt ordinairement en mal.
Un Peintre satyrique en trois ou quatre coups de pinceau, fait un portrait ridicule, mais fort ressemblant, quoiqu’en laid, en exagérant la difformité de la personne qu’il représente.
On appelle encore charges certains caprices, & certaines figures grotesques : par éxemple, des animaux avec une figure humaine, des hommes avec des pieds d’animaux, des femmes sous la figure d’un pot ou de quelqu’autre vase.
C’est une espéce de genre burlesque que le mauvais goût, qui corrompt tous les Arts, a introduit dans la Peinture.
[...] Il est une troisième espéce de charges, qui sont à la vérité contre l’éxactitude du dessein, mais ce sont des licences permises aux Peintres, & même nécessaires en certains cas. Dans certaines distances, il faut nécessairement charger les objets : c’est la premiere régle de la perspective. « Il y a des contours chargés, qui plaisent, dit Mr de Piles... On ne peut s’empêcher de louer dans quelques grands ouvrages les choses chargées, quand une raisonnable distance, d’où on les voit les adoucit à nos yeux. »
On dit charger un portrait, faire des charges, charger des contours ; les charges d’Annibal Carache, de Callot, &c.
Une belle charge, une charge ridicule.
Quotation
CHARGE, CHARGER. On appelle proprement charges ou tableaux chargés, des représentations où l’on exagére les choses en bien ou en mal, mais plûtôt ordinairement en mal.
Un Peintre satyrique en trois ou quatre coups de pinceau, fait un portrait ridicule, mais fort ressemblant, quoiqu’en laid, en exagérant la difformité de la personne qu’il représente.
On appelle encore charges certains caprices, & certaines figures grotesques : par éxemple, des animaux avec une figure humaine, des hommes avec des pieds d’animaux, des femmes sous la figure d’un pot ou de quelqu’autre vase.
C’est une espéce de genre burlesque que le mauvais goût, qui corrompt tous les Arts, a introduit dans la Peinture.
[...] Il est une troisième espéce de charges, qui sont à la vérité contre l’éxactitude du dessein, mais ce sont des licences permises aux Peintres, & même nécessaires en certains cas. Dans certaines distances, il faut nécessairement charger les objets : c’est la premiere régle de la perspective. « Il y a des contours chargés, qui plaisent, dit Mr de Piles... On ne peut s’empêcher de louer dans quelques grands ouvrages les choses chargées, quand une raisonnable distance, d’où on les voit les adoucit à nos yeux. »
On dit charger un portrait, faire des charges, charger des contours ; les charges d’Annibal Carache, de Callot, &c.
Une belle charge, une charge ridicule.
Quotation
{III. Precepte. Du Sujet.}
Cela posé, il faudra choisir *un Sujet beau, & noble, qui estant de soy-mesme capable de toutes les graces & de tous les charmes que peuvent recevoir les Couleurs & l’élégance du Dessein, donne ensuite à l’Art parfait & consommé un beau champ & une matiere ample de montrer tout ce qu’il peut, & de faire voir quelque chose de fin & de judicieux, *qui soit plein de sel, & qui soit propre à instruire & à éclairer les esprits.
Quotation
Clair-obscur, est la science de placer les jours & les ombres, ce sont deux mots que l’on prononce comme un seul, & au lieu de dire le clair & l’obscur ; l’on dit le clair-obscur, à l’imitation des Italiens, qui disent chiaro scuro : & pour dire qu’un Peintre donne à ses figures un grand relief & une grande force, qu’il débroüille & qu’il fait connoître distinctement tous les objets du Tableau, pour avoir choisi sa lumiere avantageuse, & pour avoir scû disposer les corps ensorte que recevant de grandes lumières, ils soient suivis de grandes ombres, on dit : cet homme-là entend fort bien l’artifice du clair-obscur.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
{Couleur ou Cromatique. Troisième Partie de la Peinture.}
Aussi ne voit-on personne qui rétablisse *la † CROMATIQUE, & qui la remette en vigueur au point que la porta Zeuxis, lors que par cette Partie, qui est pleine de charmes & de magie, & qui sçait si admirablement tromper la veuë, il se rendit égal au fameux Apelle, le Prince des Peintres, & qu’il merita pour toûjours la reputation qu’il s’est établie par tout le monde. Et comme cette partie (que l’on peut dire l’ame & le dernier achevement de la Peinture) est une beauté trompeuse, mais flateuse & agreable, on l’accusoit de produire *sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer : Mais tant s’en faut que cette prostitution, ce fard & cette tromperie l’ayent jamais deshonorée, qu’au contraire elles n’ont servy qu’à sa loüange, & à faire voir son merite : Il sera donc tres-avantageux de la connoistre.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
Clair-obscur, est la science de placer les jours & les ombres, ce sont deux mots que l’on prononce comme un seul, & au lieu de dire le clair & l’obscur ; l’on dit le clair-obscur, à l’imitation des Italiens, qui disent chiaro scuro : & pour dire qu’un Peintre donne à ses figures un grand relief & une grande force, qu’il débroüille & qu’il fait connoître distinctement tous les objets du Tableau, pour avoir choisi sa lumiere avantageuse, & pour avoir scû disposer les corps ensorte que recevant de grandes lumières, ils soient suivis de grandes ombres, on dit : cet homme-là entend fort bien l’artifice du clair-obscur.
Quotation
{Couleur ou Cromatique. Troisième Partie de la Peinture.}
Aussi ne voit-on personne qui rétablisse *la † CROMATIQUE, & qui la remette en vigueur au point que la porta Zeuxis, lors que par cette Partie, qui est pleine de charmes & de magie, & qui sçait si admirablement tromper la veuë, il se rendit égal au fameux Apelle, le Prince des Peintres, & qu’il merita pour toûjours la reputation qu’il s’est établie par tout le monde. Et comme cette partie (que l’on peut dire l’ame & le dernier achevement de la Peinture) est une beauté trompeuse, mais flateuse & agreable, on l’accusoit de produire *sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer : Mais tant s’en faut que cette prostitution, ce fard & cette tromperie l’ayent jamais deshonorée, qu’au contraire elles n’ont servy qu’à sa loüange, & à faire voir son merite : Il sera donc tres-avantageux de la connoistre.
Quotation
LE COLORIS n’est autre chose que les couleurs employées, considérées dans leur totalité.
Tout l’artifice du coloris, consiste à imiter les couleurs apparentes des objets naturels, & à donner aux objets artificiels la couleur la plus avantageuse, & la plus propre pour tromper la vûe. De Piles
COLORIs précieux.
COLORIS fier : fierté de coloris.
COLORIS qui sent la farine. Voyez FARINE.
LE COLORIS du Titien du Corrége.
Quotation
COMPOSITION. Mr de Piles est le premier qui ait donné ce nom à cette partie de la Peinture, que tous les Peintres jusqu’à lui étoient convenus d’appeler INVENTION « On ne s’est servi jusqu’ici, dit-il, que du mot d’invention pour signifier la premiere partie de la Peinture. J’ai cru que pour en donner une idée nette, il falloit l’appeller composition, & la diviser en deux, l’invention & la disposition. »
Quotation
{XV. Du nombre des Figures.}
*De mesme que la Comedie est rarement bonne dans laquelle le nombre des Acteurs est trop grand, ainsi est-il bien rare & quasi comme impossible de faire un Tableau parfait, dans lequel il se trouve une grande quantité de Figures […] : parce que tant de choses dispersées apportent une confusion, & ostent une majesté grave & un silence doux, qui font la beauté du Tableau & la satisfaction des yeux ; mais si vous y estes contraint par le Sujet, il faudra concevoir le Tout ensemble & l’effet de l’Ouvrage comme tout d’une veuë, & non pas chaque chose en particulier.
Quotation
{DESSEIN, seconde partie de la Peinture. VII. Attitude.}
*Les Parties [ndr : des figures] doivent avoir leurs Contours en ondes, & ressembler en cela à la flâme, ou au serpent lors qu’il rampe sur la terre. Ces Contours seront coulans, grands, & presque imperceptibles au toucher, comme s’il n’y avoit ny eminences ny cavitez. Qu’ils soient conduits de loin sans interruption, pour en éviter le grand nombre. Que les Muscles soient bien inserez & liez, *selon la connoissance qu’en donne l’Anatomie. Qu’ils soient *desseignez à la Grecque, & qu’ils ne paroissent que peu, comme nous le montrent les Figures Antiques. Qu'il y ait enfin un entier* accord des Parties avec leur Tout, & qu'elles soient parfaitement bien ensemble.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
{VI. Qu’il faut rejetter ce qui affadit le Sujet.}
*Donnez-vous de garde que ce qui ne fait rien au Sujet & qui n'y est que peu convenable, entre dans vostre Tableau, & en occupe la principale place : Mais imitez en cecy la Tragedie, Sœur de la Peinture, qui déploye toutes les forces de son Art où le fort de l’action se passe.
Quotation
{IX. Convenance des Membres avec les Draperies.}
*Que chaque Membre soit fait pour sa Teste qu’il s’accorde avec elle, & que tous ensemble ne composent qu’un Corps avec les Draperies qui luy sont propres & convenables ;
Quotation
{LXI. L’Original dans la Teste, & la Copie sur la Toile.}
Ne donnez jamais aucun coup de Pinceau, qu’auparavant vous n'ayez bien examiné vostre Dessein, arresté vos Contours, *& que vous n'ayez present dans l'Esprit l'Effet de vostre Ouvrage. […]
Quotation
{IX. Convenance des Membres avec les Draperies.}
*Que chaque Membre soit fait pour sa Teste qu’il s’accorde avec elle, & que tous ensemble ne composent qu’un Corps avec les Draperies qui luy sont propres & convenables ;
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
{XLIII. Le choix de Lumiere.}
*C’est travailler en vain que de prendre dans les Tableaux un grand Jour de midy, veu que nous n’avons point de Couleurs qui puissent jamais y atteindre : mais il est plus à propos de prendre une Lumiere plus foible, comme celle du Soir, dont le Soleil dore les campagnes, ou celles du Matin, dont la blancheur est moderée, ou celle qui paroist apres une Pluye, lors que le Soleil ne nous la donne qu’au travers des nuages, ou pendant un tonnerre, que les nuées nous la dérobent, & nous la font paroistre rougeastre.
Quotation
[...]
ROMPUE [couleur] « On appelle couleur rompuë, dit Mr. de Piles, celle qui est diminuée & corrompuë par le mélange d’une autre [excepté du blanc qui ne pas corrompre, mais qui peut être corrompu.] On peut dire, par exemple qu’un tel azur d’outremer est rompu de laque, & d’ocre jaune , quand il y entre un peu de ces deux dernieres couleurs, & ainsi des autres.
Les couleurs rompuës, ajoute-t-il, servent à l’union & à l’accord des couleurs, soit dans les tournans des corps & dans leurs ombres, soit dans toute leur masse.
Titien, Paul Veronese, le Rimbrant ont employé avec beaucoup d’art les couleurs rompuës.
Couleur rompuë & couleur composée sont mots synonimes ; en parlant d’une draperie d’un jaune clair qui est ombrée d’une laque obscure, quelques uns disent que cette draperie est rompuë de rouge : ce n’est pas parler correctement : il faut dire : cette draperie est ombrée de laque, parce que ces deux couleurs sont séparées. Or le mot de rompu ne se dit au sens propre que de deux couleurs mêlées l’une dans l’autre.
Les Italiens disent rottura de colori.
Quotation
Couleurs rompuës. Les Couleurs sont rompües lorsqu’elles ne sont pas employées toutes simples & pures, mais qu’on en mesle deux ou plusieurs ensemble pour en affoiblir & éteindre une trop vive ; Comme quand pour diminuer de la vivacité de la Laque, on y mesle un peu de terre verte ; ou bien, quand pour oster de l’éclat du Vermillon, on y mesle du brun rouge, soit en détrempant les Couleurs sur la palette, soit après qu’elles sont couchées sur la toile & en travaillant. Quand une draperie que est d’un jaune clair se trouve ombrée d’une laque obscure, on dit d’ordinaire que cette draperie est jaune rompuë de rouge. C’est pourtant mieux dit qu’elle est jaune ombrée de laque, si les deux couleurs sont separées : car le mot rompu ne se prend proprement que lors que la couleur n’est pas pure, mais meslée avec une autre. Enfin une couleur rompuë, parmy les Peintres, est celle que l’on esteint, & dont l’on diminuë la force ; ce qui sert beaucoup pour l’union & l’accord qui doit estre dans toutes celles qui composent un Tableau. Le Titien, Paul Veronese, & les autres Lombards s’en sont heureusement servis, comme l’a fort bien remarqué M. de Pile sur la poëme du sieur du Fresnoy. Les Italiens nomment cela Rottura de colori.
Quotation
{LXX. L’ordre que doit tenir le Peintre dans ses Estudes.}
*Pour bien faire, *vous commencerez par la Geometrie ; & apres en avoir appris quelque chose, *mettez-vous à desseigner d'après les Antiques Grecques, *& ne vous donnez point de relasche ny jour ny nuit, qu'auparavant vous ne vous soyez acquis, par une continuelle pratique, une habitude facile de les imiter dans leurs Inventions & dans leur Maniere. Et ensuite lors que le Jugement se sera fortifié, & sera parvenu à sa maturité par les années, il sera tres-bon de voir & d'examiner l'un apres l'autre, & partie à partie par un ordre suivi de la manière que nous avons dit cy-devant & selon les Regles que nous en avons données, les Ouvrages qui ont donné tant de réputation aux Maistres de la premiere Classe ; comme sont les Romains, les Venitiens, les Parmesans, & ceux de Bologne. […]
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
Quoy qu’il y ait dans la Peinture plusieurs choses, dont on ne puisse pas donner de regles si precises (*veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes) je ne laisseray pourtant pas d’en donner quelques unes que j’ay choisies parmy les plus belles que nous avons receuës de la Nature cette sçavante maistresse, apres l’avoir examinée à fonds, aussi-bien que ces chefs-d’œuvres de l’Antiquité *les premiers Exemplaires de l’Art. Et c'est par ce moyen que l'esprit & la disposition naturelle se cultivent , & que la science perfectionne le génie […]
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{XLVI. Vivacité des Couleurs.}
*Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la Farine.
Quotation
DRAPER, DRAPERIE. Draper signifie en peinture habiller d’une Draperie, draper une figure. Draper se dit aussi absolument & sans y joindre de régime. M. de Piles a dit : l’Art de draper consiste principalement, &c.
On appelle draperies les vêtements dont on habille les figures.
Jetter une draperie.
Draperies légères & volantes.
Draperies majestueuses.
Draperies pauvres.
Draperies qui sentent le mannequin ; ce sont celles dont les plis sont durs & plein de roideur. Voyez MANNEQUIN.
Les plis des draperies doivent être coulans, faciles, amples en petit nombre.
Ils doivent être ondoians & voltigeans, en sorte que par leurs sinuosité & par leur mollesse, ils semblent en quelque sorte caresser les figures.
Sint faciles pannis flexus, sit grande volumen,
Sublimes amplique sinus, vaga lintea, parci
Anfractus : ut flamma volent, ut lympha dehiscant
Molliter, ut serpens sinuoso tramite currant,
Ac teretes palpent tactu leviore figuras.
Pictura Carmen.
Draperies de linge mouillé ; ce sont des Etoffes colées & ad’hérentes, que les anciens Sculpteurs employoient, & dont quelques Peintres, comme le Perugin, se sont servi pour draper ; mais elles n’ont jamais plû dans la Peinture ; au contraire elles font un fort bel effet dans la Sculpture : par-là on évite la grandeur & la dureté des plis, on rend les figures plus tendres, & les contours plus marqués. Dans l’orangerie d’Anet il y a une belle fontaine, où l’on voit une statuë de femme, dont la draperie est de linge mouillé, & ressemble si parfaitement à la chemise mouillée d’une femme qui sort du bain, que l’œil y est trompé.
Quotation
{IX. Convenance des Membres avec les Draperies.}
*Que chaque Membre soit fait pour sa Teste qu’il s’accorde avec elle, & que tous ensemble ne composent qu’un Corps avec les Draperies qui luy sont propres & convenables ;
Quotation
XXII. Les Draperies.}
*Que les Draperies soient jettées noblement, que les plis en soient amples, *& qu'ils suivent l'ordre des Parties, les faisant voir dessous par le moyen des Lumieres & des Ombres ; nonobstant que ces Parties soient souvent traversées par le coulant des Plis qui flotent à l'entour, *sans y estre trop adherans & collez ; mais qu'ils les marquent en les flatant par la discretion des ombres & des clairs. * Et si ces parties se trouvent trop écartées l'une de l'autre, en sorte qu'il y ait des vuides dans lesquels se trouvassent des bruns, il faudra prendre occasion de placer dans le vuide quelque pli pour les accoupler. *Et comme la beauté des membres ne consiste pas dans la quantité des muscles, qu'au contraire ceux qui en font moins paroistre, ont plus de majesté que les autres ; ainsi la beauté des Draperies ne consiste pas dans la quantité des plis, mais dans un ordre simple & naturel. Il y faut encore observer la qualité des personnes, *comme des Magistrats, à qui vous donnerez des Draperies fort amples ; aux Païsans & aux Esclaves, de grosses & de retroussées ; *& aux Filles, de tendres & de legeres. Il fera bon quelquefois de tirer des endroits creux quelque pli, & de le faire enfler ; afin que recevant du jour, il contribuë à étendre le clair aux endroits où la Masse le demande, & que par ce moyen il vous oste des ombres dures, qui ne font que des taches.
Quotation
DRAPER, DRAPERIE. Draper signifie en peinture habiller d’une Draperie, draper une figure. Draper se dit aussi absolument & sans y joindre de régime. M. de Piles a dit : l’Art de draper consiste principalement, &c.
On appelle draperies les vêtements dont on habille les figures.
Jetter une draperie.
Draperies légères & volantes.
Draperies majestueuses.
Draperies pauvres.
Draperies qui sentent le mannequin ; ce sont celles dont les plis sont durs & plein de roideur. Voyez MANNEQUIN.
Les plis des draperies doivent être coulans, faciles, amples en petit nombre.
Ils doivent être ondoians & voltigeans, en sorte que par leurs sinuosité & par leur mollesse, ils semblent en quelque sorte caresser les figures.
Sint faciles pannis flexus, sit grande volumen,
Sublimes amplique sinus, vaga lintea, parci
Anfractus : ut flamma volent, ut lympha dehiscant
Molliter, ut serpens sinuoso tramite currant,
Ac teretes palpent tactu leviore figuras.
Pictura Carmen.
Draperies de linge mouillé ; ce sont des Etoffes colées & ad’hérentes, que les anciens Sculpteurs employoient, & dont quelques Peintres, comme le Perugin, se sont servi pour draper ; mais elles n’ont jamais plû dans la Peinture ; au contraire elles font un fort bel effet dans la Sculpture : par-là on évite la grandeur & la dureté des plis, on rend les figures plus tendres, & les contours plus marqués. Dans l’orangerie d’Anet il y a une belle fontaine, où l’on voit une statuë de femme, dont la draperie est de linge mouillé, & ressemble si parfaitement à la chemise mouillée d’une femme qui sort du bain, que l’œil y est trompé.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{LXI. L’Original dans la Teste, & la Copie sur la Toile.}
Ne donnez jamais aucun coup de Pinceau, qu’auparavant vous n'ayez bien examiné vostre Dessein, arresté vos Contours, *& que vous n'ayez present dans l'Esprit l'Effet de vostre Ouvrage. […]
Quotation
ELÉGANCE, ELÉGANT : élégance du dessein. Peintre élégant, contours élégans, bâtiment élégant.
En fait de Peinture, l’élégance est l’Art de représenter les choses avec choix, d’une maniere polie, & avec agrément : avec choix, en se mettant au-dessus de ce que la nature & les Peintres sont ordinairement : avec politesse, en donnant aux choses un tour délicat qui frappe les gens de goût, & avec agrément, en répandant sur tout l’ouvrage ces graces naturelles & piquantes, qui plaisent à tous les hommes. De Piles.
Quotation
ELÉGANCE, ELÉGANT : élégance du dessein. Peintre élégant, contours élégans, bâtiment élégant.
En fait de Peinture, l’élégance est l’Art de représenter les choses avec choix, d’une maniere polie, & avec agrément : avec choix, en se mettant au-dessus de ce que la nature & les Peintres sont ordinairement : avec politesse, en donnant aux choses un tour délicat qui frappe les gens de goût, & avec agrément, en répandant sur tout l’ouvrage ces graces naturelles & piquantes, qui plaisent à tous les hommes. De Piles.
Quotation
{XIV. Equilibre du Tableau.}
*Que l’un des costez du Tableau ne demeure pas vuide, pendant que l’autre est rempli jusqu’en haut ; mais que l’on dispose si bien les choses, que si d’un costé le Tableau est rempli, l’on prenne occasion de remplir l’autre ; en sorte qu’ils paroissent en quelque façon égaux, soit qu’il y ait beaucoup de Figures, ou qu’elles y soient en petit nombre.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
Quoy qu’il y ait dans la Peinture plusieurs choses, dont on ne puisse pas donner de regles si precises (*veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes) je ne laisseray pourtant pas d’en donner quelques unes que j’ay choisies parmy les plus belles que nous avons receuës de la Nature cette sçavante maistresse, apres l’avoir examinée à fonds, aussi-bien que ces chefs-d’œuvres de l’Antiquité *les premiers Exemplaires de l’Art. Et c'est par ce moyen que l'esprit & la disposition naturelle se cultivent , & que la science perfectionne le génie […]
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{LXI. L’Original dans la Teste, & la Copie sur la Toile.}
Ne donnez jamais aucun coup de Pinceau, qu’auparavant vous n'ayez bien examiné vostre Dessein, arresté vos Contours, *& que vous n'ayez present dans l'Esprit l'Effet de vostre Ouvrage. […]
Quotation
ESQUISSE, ESQUISSER. L’esquisse est le premier crayon d’un ouvrage que l’on médite. Les Italiens disent schizzo.
« Les Peintres, dit Félibien, ne dessinent pas d’abord avec justesse toutes les parties, ils en font une légère esquisse, où ils établissent l’ordre de leurs pensées. » Esquisser un bras, une tête, une pensée, un dessein ; son opposé est arrêter, finir, terminer. Les Sculpteurs ont emprunté ce terme, & ils appellent esquisse les premiers modéles de terre ou de cire qu’ils font.
Ebauche & esquisse ne sont pas des mots tout-à-fait synonimes. L’esquisse est proprement la premiere pensée d’un tableau que l’on jette rapidement sur un papier, sur un carton séparé. L’ébauche est le commencement du tableau même, dont on trace les premieres lignes sur la toile. L’esquisse est séparée du tableau. L’ébauche se fait sur le tableau même. Nous avons les esquisses de Raphaël, de Jules Romain : Nous ne sçaurions avoir leurs ébauches : cependant ces deux mots se confondent dans le langage ordinaire ; mais c’est aux Léxicographes à marquer exactement leur signification propre, & c’est ce que la plûpart des Dictionnaires n’ont pas fait, nommément le Trévoux.
Mr de Piles a fait ce mot masculin.
Il a dit des esquisses légers.
Quotation
{XXVII. Les Graces & la Noblesse.}
Que l'on remarque dans tout ce que vous faites de la Noblesse *& de la Grace : mais, à dire le vray, c'est une chose tres-difficile, & un present tres-rare que l'homme reçoit plûtost du Ciel que de ses Estudes.
Quotation
{LXX. L’ordre que doit tenir le Peintre dans ses Estudes.}
*Pour bien faire, *vous commencerez par la Geometrie ; & apres en avoir appris quelque chose, *mettez-vous à desseigner d'après les Antiques Grecques, *& ne vous donnez point de relasche ny jour ny nuit, qu'auparavant vous ne vous soyez acquis, par une continuelle pratique, une habitude facile de les imiter dans leurs Inventions & dans leur Maniere. Et ensuite lors que le Jugement se sera fortifié, & sera parvenu à sa maturité par les années, il sera tres-bon de voir & d'examiner l'un apres l'autre, & partie à partie par un ordre suivi de la manière que nous avons dit cy-devant & selon les Regles que nous en avons données, les Ouvrages qui ont donné tant de réputation aux Maistres de la premiere Classe ; comme sont les Romains, les Venitiens, les Parmesans, & ceux de Bologne. […]
Quotation
EXPRESSION. Dans la division ordinaire, l’expression est comprise dans le dessein ; mais il me semble qu’on devroit en faire une partie séparée. Dessiner & exprimer sont des choses différentes. L’expression est la représentation véritable & naturelle des choses, surtout des mouvemens de l’âme & des passions.
On dit communément que le dessein & le coloris, sont le corps de la Peinture, & que l’expression en est l’âme.
Membris addenda est ignea virtus
Scilicet, atque hebetes anima infundenda per artus.
Singula vitali Spirent animata colore,
Gestus ubique micet vivax, vultusque loquaces
Spiritus intus alat.
Pictura Carmen.
L’expression, dit Mr de Piles, est la pierre de touche de l’esprit du Peintre.
Raphaël, Jules Romain, & le Dominiquin ont excellé dans l’expression, sont la justesse & la vérité, le naturel, la noblesse, la vivacité, la finesse.
Quotation
{LI. Le Portrait.}
*Pour ce qui est des Portraits, il faut faire precisement ce que la Nature vous montre, travaillant en mesme temps aux Parties qui se ressemblent, comme sont les Yeux, les Joües, les Lévres & les Narines, en sorte que vous touchiez à l'une si-tost que vous aurez donné un coup de Pinceau à l'autre, de peur que le temps & l'interruption ne vous fasse perdre l'idée d'une Partie, que la Nature a produite pour ressembler à l'autre ; & imitant ainsi trait pour trait toutes les Parties avec une juste & harmonieuse composition de Clair-Obscur & de Couleurs, & donnant à vostre Portrait le brillant que la facilité & la vigueur du Pinceau font voir, pour lors il paroistra tout plein de vie.
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{Couleur ou Cromatique. Troisième Partie de la Peinture.}
Aussi ne voit-on personne qui rétablisse *la † CROMATIQUE, & qui la remette en vigueur au point que la porta Zeuxis, lors que par cette Partie, qui est pleine de charmes & de magie, & qui sçait si admirablement tromper la veuë, il se rendit égal au fameux Apelle, le Prince des Peintres, & qu’il merita pour toûjours la reputation qu’il s’est établie par tout le monde. Et comme cette partie (que l’on peut dire l’ame & le dernier achevement de la Peinture) est une beauté trompeuse, mais flateuse & agreable, on l’accusoit de produire *sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer : Mais tant s’en faut que cette prostitution, ce fard & cette tromperie l’ayent jamais deshonorée, qu’au contraire elles n’ont servy qu’à sa loüange, & à faire voir son merite : Il sera donc tres-avantageux de la connoistre.
Quotation
{VI. Qu’il faut rejetter ce qui affadit le Sujet.}
*Cette partie [ndr : l'invention] si rare & si difficile ne s'acquiert point, ny par le travail, ny par les preceptes des Maistres : car il n'y a que ceux, qui ont receu en naissant quelque partie de ce feu celeste *[…] qui soient capables de recevoir ces divins presens […].
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{V. Fidélité du sujet}
*Que vos compositions soient conformes au texte des anciens Autheurs, aux coûtumes & aux temps.
Quotation
{XV. Du nombre des Figures.}
*De mesme que la Comedie est rarement bonne dans laquelle le nombre des Acteurs est trop grand, ainsi est-il bien rare & quasi comme impossible de faire un Tableau parfait, dans lequel il se trouve une grande quantité de Figures […] : parce que tant de choses dispersées apportent une confusion, & ostent une majesté grave & un silence doux, qui font la beauté du Tableau & la satisfaction des yeux ; mais si vous y estes contraint par le Sujet, il faudra concevoir le Tout ensemble & l’effet de l’Ouvrage comme tout d’une veuë, & non pas chaque chose en particulier.
Quotation
FIGURE. Quoique ce mot soit fort général, dit Mr de Piles, & qu’il signifie tout ce qui peut être décrit par plusieurs lignes, néanmoins en Peinture, on l’entend ordinairement des figures humaines. Peindre la figure, faire la figure.
Annibal Carrache ne croyait pas qu’on dût faire entrer plus de douze figures dans un tableau : Il exceptoit apparamment certains sujets qui en demandent nécessairement un plus grand nombre ; comme un Jugement universel, un massacre des Innocens, une bataille, une peste. Aristide, un des plus fameux Peintre de la Gréce, a fait entrer cent figures dans le tableau de l’expédition d’Alexandre.
Quotation
Figure, quoique ce terme soit fort général & qu’il signifie tout ce qui peut être décrit par plusieurs lignes, néanmoins en Peinture il se prend ordinairement pour des figures humaines.
Quotation
[...]
PRINCIPALE [figure] On appelle figure principale celle qui est le sujet d’un tableau. Cette figure doit tenir la premiere place dans une composition, & ne doit être éteinte, ni même obscurcie par aucune autre figure. Elle doit être plus touchée, plus terminée que toutes les autres. Elle doit se faire remarquer, dit M. de Piles, comme un Roi au milieu de la Cour.
Prima figurarum, seu Princeps dramatis, ultrò
Prosiliat mediâ in tabulâ, sub lumine primo,
Pulchrior ante alias, reliquis nec operta figuris. Du Fresnoy
In medio, reliquas inter Spectanda figuras, Contemplantum oculos Princeps persona moretur.
finibus extremis, longinquâ in parte tabellæ
Abjice vulgares, ingloria corpora, formas.
Marsy.
Quotation
{XI. La Principale Figure du Sujet.}
*Que la Principale Figure du Sujet paroisse au milieu du Tableau sous la principale lumiere ; qu’elle ayt quelque chose qui la fasse remarquer par-dessus les autres, & que les figures qui l’accompagnent, ne la dérobent point à la veuë.
Quotation
Que la principale figure du sujet paroisse au milieu du Tableau sous la principale lumiére ; qu’elle ait quelque chose qui la fasse remarquer pardessus les autres, & que les figures qui l’accompagnent, ne la dérobent point à la vûë.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
Champ du Tableau : le champ, le fond & le derriere du Tableau ne signifient qu’une même chose, sinon que l’on appelle plus ordinairement fond, ce qui est derriere les objets en particulier, & l’on dit, une telle chose fait fond à telle autre, une draperie, par exemple, fait fond à un bras, une terrasse fait fond à une figure, une figure à une autre, un Ciel à un arbre, ou à une autre chose, & ainsi du reste.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
Quoy qu’il y ait dans la Peinture plusieurs choses, dont on ne puisse pas donner de regles si precises (*veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes) je ne laisseray pourtant pas d’en donner quelques unes que j’ay choisies parmy les plus belles que nous avons receuës de la Nature cette sçavante maistresse, apres l’avoir examinée à fonds, aussi-bien que ces chefs-d’œuvres de l’Antiquité *les premiers Exemplaires de l’Art. Et c'est par ce moyen que l'esprit & la disposition naturelle se cultivent , & que la science perfectionne le génie […]
Quotation
{XIX. Qu’il ne faut pas trop s’attacher à la Nature, mais l’accommoder à son Genie.}
*Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, que vous ne donniez rien à vos estudes ny à vostre Genie : mais aussi ne croyez pas que vostre Genie & la seule memoire des choses que vous avez veuës vous fournissent assez pour faire un beau tableau, sans l’aide de cette incomparable maistresse la Nature, *que vous devez toûjours avoir presente comme un témoin de la verité.
Quotation
[…] *Les qualitez d’un excellent Peintre sont, d’avoir le Jugement bon, l’Esprit docile, le Cœur noble, le Sens sublime, de la Ferveur, de la Santé, de la Jeunesse, de la Beauté, la commodité des Biens, le Travail, l’Amour pour son Art, & d’estre sous la Discipline d’un sçavant Maistre. Et quelque Sujet que vous puissiez choisir, ou que le hazard & la bonne fortune vous presente, si vous n’avez le Genie ou l’inclination naturelle que demande vostre Art, vous ne parviendrez jamais à sa perfection avec tous ces grands avantages que je viens de dire : car il y a bien loin de ce que peut faire la Main à cette sorte d’intelligence que donne une heureuse Naissance & un beau Genie. […]
Quotation
GENIE. Mr de Piles a défini le genie une lumiére de l’esprit, laquelle conduit à la fin par des moyens faciles.
Le genie est ce qui distingue les grands Peintres d’avec les Peintres médiocres ; le genie ne s’acquiert point.
Nascitur, ut vates, naturæ munere Pictor.
Ne quisquam attrectans calamos obstante Minervâ.
Audeat ad sacros picturæ accedere fontes,
Ni Deus ex alto nascenti afflaverit ignes
Ætherios : ni vena fluat pollentibus undis :
Ni menti porrò insideat vis illa creatrix
Atque opifex rerum, quœ, Numinis œmula summi,
Indigesta prius socians elementa colorum,
Et rudibus vitam succis, animum que ministans,
Vertit in effigiem rerum : telâque potenti
Nunc homines spirare jubet, nunc prata vivere,
Ire amnes.
Pictura.
Quotation
Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d'un enfant doüé du génie de la Peinture. Ils fait connoître aux autres pour ce qu'il est, quand lui-même ne le sçait pas encore. Les Annalistes de la Peinture rapportent une infinité de faits qui confirment ce que j'avance. La plûpart des grands Peintres ne sont pas nez dans les atteliers. Très-peu sont des fils de Peintres, qui, suivant l'usage ordinaire, auroient été élevez dans la profession de leurs peres. Parmi les Artisans illustres qui font tant d'honneur aux deux derniers siècles, le seul Raphaël, autant qu'il m'en souvient, fut le fils d'un Peintre. Le pere du Georgeon & celui du Titien, ne manierent jamais ni pinceaux ni cizeaux, Leonard De Vinci, & Paul Veronése, n'eurent point de Peintres pour peres. Les parens de Michel-Ange vivoient, comme on dit, noblement, c'est-à-dire, sans exercer aucune profession lucrative. André Del Sarte étoit fils d'un Tailleur, & Le Tintoret d'un Tinturier. Le pere des Caraches, n'étoit pas d'une profession où l'on manie le craïon. Michel-Ange De Caravage étoit fils d'un Masson, & Le Correge fils d'un Laboureur. Le Guide étoit fils d'un Musicien, Le Dominiquin d'un Cordonnier, & L'Albane d'un Marchand de Soïe. Lanfranc étoit un enfant trouvé, à qui son génie enseigna la peinture, à peu près comme le génie de M Pascal lui enseigna les Mathématiques. Le pere de Rubens, qui étoit dans la Magistrature d'Anvers, n'avoit ni attelier ni boutique dans sa maison. Le pere de Vandick n'étoit ni Peintre ni Sculpteur. Du Fresnoy, dont nous avons un poëme sur la Peinture, qui a mérité d'être traduit & commenté par M. De Piles, & dont nous avons aussi des tableaux au-dessus du médiocre, avoit étudié pour être Médecin. Les peres des quatre meilleurs Peintres François du dernier siècle, Le Valentin, Le Sueur, Le Poussin & Le Brun, n'étoient pas des peintres. C'est le génie de ces grands hommes qui les a été chercher, pour ainsi dire, dans la maison de leurs parens, afin de les conduire sur le Parnasse. Les Peintres montent sur le Parnasse, aussi-bien que les Poëtes.
Quotation
{LXX. L’ordre que doit tenir le Peintre dans ses Estudes.}
*Pour bien faire, *vous commencerez par la Geometrie ; & apres en avoir appris quelque chose, *mettez-vous à desseigner d'après les Antiques Grecques, *& ne vous donnez point de relasche ny jour ny nuit, qu'auparavant vous ne vous soyez acquis, par une continuelle pratique, une habitude facile de les imiter dans leurs Inventions & dans leur Maniere. Et ensuite lors que le Jugement se sera fortifié, & sera parvenu à sa maturité par les années, il sera tres-bon de voir & d'examiner l'un apres l'autre, & partie à partie par un ordre suivi de la manière que nous avons dit cy-devant & selon les Regles que nous en avons données, les Ouvrages qui ont donné tant de réputation aux Maistres de la premiere Classe ; comme sont les Romains, les Venitiens, les Parmesans, & ceux de Bologne. […]
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
Goût en Peinture est une Idée qui suit l’inclination que les Peintres ont pour certaines choses : l’on dit voilà un ouvrage de grand goût, pour dire que tout y est grand & noble, que les parties sont dessinées librement, que les airs de têtes n’ont rien de bas, chacune dans son espece, que les plis des draperies sont amples, & que les jours & les ombres y sont largement étendus : dans cette signification l’on confond souvent goût avec maniere, & l’on dit tout de même : voilà un ouvrage de grande maniére.
Maniére est l’habitude que les Peintres ont prise, non seulement dans le manîment du pinceau, mais encore dans les trois principales parties de la Peinture, invention, dessein & coloris, & selon que cette habitude aura été contractée avec plus ou moins d’étude & de connoissance du beau naturel & des belles choses qui se voyent de Peinture & Sculpture, on l’appelle bonne ou mauvaise maniére ; c’est par cette maniére dont il est ici question, que l’on reconnoît l’ouvrage d’un Peintre, dont on a déjà vû quelque Tableau, de même que l’on reconnoît l’écriture & style d’un homme de qui on a déjà reçû quelque lettre : l’on dit même, connoître les maniéres, pour dire connoître de plusieurs Tableaux, & l’ouvrage de chaque Peintre en particulier.
Quotation
{III. Precepte. Du Sujet.}
Cela posé, il faudra choisir *un Sujet beau, & noble, qui estant de soy-mesme capable de toutes les graces & de tous les charmes que peuvent recevoir les Couleurs & l’élégance du Dessein, donne ensuite à l’Art parfait & consommé un beau champ & une matiere ample de montrer tout ce qu’il peut, & de faire voir quelque chose de fin & de judicieux, *qui soit plein de sel, & qui soit propre à instruire & à éclairer les esprits.
Quotation
{XXVII. Les Graces & la Noblesse.}
Que l'on remarque dans tout ce que vous faites de la Noblesse *& de la Grace : mais, à dire le vray, c'est une chose tres-difficile, & un present tres-rare que l'homme reçoit plûtost du Ciel que de ses Estudes.
Quotation
GRACE, grace & beauté, sont des choses fort différentes en Peinture.
LA grace est un certain tour que l’on donne aux choses qui les rend agréables. Une figure peut être dessinée parfaitement, & admirablement coloriée sans avoir cette grace dont nous parlons. Elle sera belle, elle ne sera sera pas gracieuse ; vultu pulchro magis quam venusto, comme Suetone le disoit de Neron : c’est cette grace qui a mis Apelle au dessus de tous les Peintres de l’antiquité, & qui fait préférer Raphaël à tous les Peintres modernes. De Piles.
Cette grace doit se trouver dans tous les sujets, dans les plus tristes, comme dans les plus gais, dans les plus terribles, comme dans les plus agréables, dans les vieillards & dans les soldats, comme dans les femmes & dans les enfans.
Gratia cum primis, decor & nativa venustas
Eniteant tabulis, & Spiret amabile tela,
Nescio quid.
Pictura Carmen.
Quotation
{XXXIII. Qu'il ne faut pas deux jours égaux dans le Tableau}
Evitez les Ombres fortes sur le milieu des Membres, de peur que le trop de Noir qui compose ces Ombres, ne semble entrer dedans & les couper : cherchez plûtost à les placer à l'entour, pour relever davantage les Parties, & prenez vostre Jour si avantageux, qu'apres de grandes Lumieres vous trouviez de grandes Ombres. D'où vient que c'est avec raison que l'on dit du Titien, qu'il n'avoit pas de meilleure Regle pour la distribution des Clairs & des Bruns, que la *Grappe de Raisin.
Quotation
{XII. Grouppes de Figures.}
*Que les Membres soient agrouppez de mesme que les Figures, c’est à dire, accouplez & ramassez ensemble, & que les Grouppes soient separez d’un vuide, pour éviter un papillotage confus, qui venant des parties dispersées mal à propos, fourmillantes & embarassées les unes dans les autres, divise la veuë en plusieurs rayons, & luy cause une confusion desagreable.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
Grouppes est un amas de plusieurs corps assemblez en un peloton, & l’on dit Grouppe de figures, grouppe d’animaux, grouppe de fruits, &c. il y en peut aussi avoir de corps de diverse nature, & l’on dit, telle & telle chose font grouppe avec telle autre, les Italiens disent groppo, qu’ils ont pris du mot Latin Globus.
Quotation
Grouppes est un amas de plusieurs corps assemblez en un peloton, & l’on dit Grouppe de figures, grouppe d’animaux, grouppe de fruits, &c. il y en peut aussi avoir de corps de diverse nature, & l’on dit, telle & telle chose font grouppe avec telle autre, les Italiens disent groppo, qu’ils ont pris du mot Latin Globus.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{XLVII. L’Ombre.}
*Qu’il y ait une telle harmonie dans les Masses de vostre Tableau, que toutes les Ombres n'en paroissent qu'une.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau.}
Cependant vous ne devez pas vous attendre que la fortune & le hazard vous donnent infailliblement les belles choses ; quoy que celles que nous voyons soient vrayes & naturelles, elles ne sont pas toûjours pour la bienséance & pour l’ornement : ce n’est pas assez d’imiter de point en point d’une maniere basse toute sorte de Nature ; mais il faut que le Peintre en prenne ce qui est de plus beau, *comme l’Arbitre souverain de son Art, & que par le progrès qu’il y aura fait, il en sçache reparer les defauts, & n’en laisse point échapper les beautez* fuyantes & passageres. […]
Quotation
{LXX. L’ordre que doit tenir le Peintre dans ses Estudes.}
*Pour bien faire, *vous commencerez par la Geometrie ; & apres en avoir appris quelque chose, *mettez-vous à desseigner d'après les Antiques Grecques, *& ne vous donnez point de relasche ny jour ny nuit, qu'auparavant vous ne vous soyez acquis, par une continuelle pratique, une habitude facile de les imiter dans leurs Inventions & dans leur Maniere. Et ensuite lors que le Jugement se sera fortifié, & sera parvenu à sa maturité par les années, il sera tres-bon de voir & d'examiner l'un apres l'autre, & partie à partie par un ordre suivi de la manière que nous avons dit cy-devant & selon les Regles que nous en avons données, les Ouvrages qui ont donné tant de réputation aux Maistres de la premiere Classe ; comme sont les Romains, les Venitiens, les Parmesans, & ceux de Bologne. […]
Quotation
{INVENTION premiere partie de la Peinture.}
Enfin j’entre en matiere, & je trouve d’abord une toile nüe : *où il faut disposer toute la Machine (pour ainsi dire) de vostre Tableau, & la pensée d’un Genie facile & puissant, *qui est justement ce que nous appellons Invention.
Quotation
JET, JETTER, termes de Peinture.
On dit jetter une draperie, le jet des draperies, draperies d’un beau jet.
Ce mot de jetter, dit Mr de Piles, est d’autant plus expressif, que les draperies, ne doivent pas être arrangées comme les habits dont on se sert dans le monde ; mais qu’en suivant le caractere de la pure nature, laquelle est éloignée affection, les plis se trouvent comme par hazard autour des membres.
Quotation
JET, JETTER, termes de Peinture.
On dit jetter une draperie, le jet des draperies, draperies d’un beau jet.
Ce mot de jetter, dit Mr de Piles, est d’autant plus expressif, que les draperies, ne doivent pas être arrangées comme les habits dont on se sert dans le monde ; mais qu’en suivant le caractere de la pure nature, laquelle est éloignée affection, les plis se trouvent comme par hazard autour des membres.
Quotation
{LXX. L’ordre que doit tenir le Peintre dans ses Estudes.}
*Pour bien faire, *vous commencerez par la Geometrie ; & apres en avoir appris quelque chose, *mettez-vous à desseigner d'après les Antiques Grecques, *& ne vous donnez point de relasche ny jour ny nuit, qu'auparavant vous ne vous soyez acquis, par une continuelle pratique, une habitude facile de les imiter dans leurs Inventions & dans leur Maniere. Et ensuite lors que le Jugement se sera fortifié, & sera parvenu à sa maturité par les années, il sera tres-bon de voir & d'examiner l'un apres l'autre, & partie à partie par un ordre suivi de la manière que nous avons dit cy-devant & selon les Regles que nous en avons données, les Ouvrages qui ont donné tant de réputation aux Maistres de la premiere Classe ; comme sont les Romains, les Venitiens, les Parmesans, & ceux de Bologne. […]
Quotation
LARGE, LARGEMENT, terme de Peinture. Lumiéres larges, c’est-à-dire étendues & grandes : peindre largement, c’est donner de grands coups de pinceau, & distribuer les objets par grandes masses. C’est en vain que vous travaillez, dit Mr de Piles, si vous ne conservez vos lumieres larges, puisque sans elles votre ouvrage ne fera jamais un bon effet de loin.
Quotation
LARGE, LARGEMENT, terme de Peinture. Lumiéres larges, c’est-à-dire étendues & grandes : peindre largement, c’est donner de grands coups de pinceau, & distribuer les objets par grandes masses. C’est en vain que vous travaillez, dit Mr de Piles, si vous ne conservez vos lumieres larges, puisque sans elles votre ouvrage ne fera jamais un bon effet de loin.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
{XI. La Principale Figure du Sujet.}
*Que la Principale Figure du Sujet paroisse au milieu du Tableau sous la principale lumiere ; qu’elle ayt quelque chose qui la fasse remarquer par-dessus les autres, & que les figures qui l’accompagnent, ne la dérobent point à la veuë.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
{XXXIII. Qu'il ne faut pas deux jours égaux dans le Tableau}
Evitez les Ombres fortes sur le milieu des Membres, de peur que le trop de Noir qui compose ces Ombres, ne semble entrer dedans & les couper : cherchez plûtost à les placer à l'entour, pour relever davantage les Parties, & prenez vostre Jour si avantageux, qu'apres de grandes Lumieres vous trouviez de grandes Ombres. D'où vient que c'est avec raison que l'on dit du Titien, qu'il n'avoit pas de meilleure Regle pour la distribution des Clairs & des Bruns, que la *Grappe de Raisin.
Quotation
{XLIII. Le choix de Lumiere.}
*C’est travailler en vain que de prendre dans les Tableaux un grand Jour de midy, veu que nous n’avons point de Couleurs qui puissent jamais y atteindre : mais il est plus à propos de prendre une Lumiere plus foible, comme celle du Soir, dont le Soleil dore les campagnes, ou celles du Matin, dont la blancheur est moderée, ou celle qui paroist apres une Pluye, lors que le Soleil ne nous la donne qu’au travers des nuages, ou pendant un tonnerre, que les nuées nous la dérobent, & nous la font paroistre rougeastre.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
XXII. Les Draperies.}
*Que les Draperies soient jettées noblement, que les plis en soient amples, *& qu'ils suivent l'ordre des Parties, les faisant voir dessous par le moyen des Lumieres & des Ombres ; nonobstant que ces Parties soient souvent traversées par le coulant des Plis qui flotent à l'entour, *sans y estre trop adherans & collez ; mais qu'ils les marquent en les flatant par la discretion des ombres & des clairs. * Et si ces parties se trouvent trop écartées l'une de l'autre, en sorte qu'il y ait des vuides dans lesquels se trouvassent des bruns, il faudra prendre occasion de placer dans le vuide quelque pli pour les accoupler. *Et comme la beauté des membres ne consiste pas dans la quantité des muscles, qu'au contraire ceux qui en font moins paroistre, ont plus de majesté que les autres ; ainsi la beauté des Draperies ne consiste pas dans la quantité des plis, mais dans un ordre simple & naturel. Il y faut encore observer la qualité des personnes, *comme des Magistrats, à qui vous donnerez des Draperies fort amples ; aux Païsans & aux Esclaves, de grosses & de retroussées ; *& aux Filles, de tendres & de legeres. Il fera bon quelquefois de tirer des endroits creux quelque pli, & de le faire enfler ; afin que recevant du jour, il contribuë à étendre le clair aux endroits où la Masse le demande, & que par ce moyen il vous oste des ombres dures, qui ne font que des taches.
Quotation
{INVENTION premiere partie de la Peinture.}
Enfin j’entre en matiere, & je trouve d’abord une toile nüe : *où il faut disposer toute la Machine (pour ainsi dire) de vostre Tableau, & la pensée d’un Genie facile & puissant, *qui est justement ce que nous appellons Invention.
Quotation
{Couleur ou Cromatique. Troisième Partie de la Peinture.}
Aussi ne voit-on personne qui rétablisse *la † CROMATIQUE, & qui la remette en vigueur au point que la porta Zeuxis, lors que par cette Partie, qui est pleine de charmes & de magie, & qui sçait si admirablement tromper la veuë, il se rendit égal au fameux Apelle, le Prince des Peintres, & qu’il merita pour toûjours la reputation qu’il s’est établie par tout le monde. Et comme cette partie (que l’on peut dire l’ame & le dernier achevement de la Peinture) est une beauté trompeuse, mais flateuse & agreable, on l’accusoit de produire *sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer : Mais tant s’en faut que cette prostitution, ce fard & cette tromperie l’ayent jamais deshonorée, qu’au contraire elles n’ont servy qu’à sa loüange, & à faire voir son merite : Il sera donc tres-avantageux de la connoistre.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
*De mesme que la seule Pratique destituée des lumieres de l’Art, est toûjours preste de tomber dans le precipice comme une aveugle, sans pouvoir rien produire qui contribuë à une solide reputation ; ainsi la Theorie sans l’aide de la main, ne peut jamais atteindre à la perfection qu’elle s’est proposée : […]
Quotation
MANIERE, MANIERISTE, MANIERÉ. Maniere en terme de Peinture est la même chose que style en terme de littérature : ainsi la maniere d’un Peintre est la façon particuliere de dessiner, de colorier, de composer, d’exprimer ; selon que cette maniere approche plus ou moins de la nature & du beau : on l’appelle bonne ou mauvaise maniere.
C’est à la maniere qu’on reconnoît les ouvrages d’un Peintre, dont on aura déja vû quelque tableau.
La maniere dégénere en défaut lorsqu’elle est trop uniforme, & qu’un Peintre se copie continuellement lui-même, dans ses attitudes, dans les airs de tête, dans les autres expressions : c’est ce que les Peintres appellent tomber dans la maniere.
Ceux qui tombent dans ce défaut, s’appellent manieristes. Un dessein manieré.
Les desseins du Teste sont manierés.
On distingue ordinairement trois manieres dans un même Peintre. La premiere, qu’il s’est formée sur le goût de son maître : ainsi Raphaël travailla d’abord dans la maniere du Perugin son maître, & s’abandonna à son propre génie. La troisiéme qui dégénere ordinairement dans ce qu’on appelle proprement maniere, c’est le défaut dont je viens de parler, & c’est celui de presque tous les Peintres, qui par sterilité, ou par paresse, contractent la mauvaise habitude de se répéter. De Piles.
Maniere ne se dit qu’au singulier. La maniere du Poussin, & non pas les manieres du Poussin. Il faut en excepter deux cas : 1°. lorsqu’on parle de plusieurs Peintres : connoître les manieres, c’est distinguer parmi plusieurs tableaux, l’Auteur de chacun en particulier. 2°. Lorsqu’on parle des différentes manieres d’un Peintre ; Raphaël a eu plusieurs manieres.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
MANIERE, MANIERISTE, MANIERÉ. Maniere en terme de Peinture est la même chose que style en terme de littérature : ainsi la maniere d’un Peintre est la façon particuliere de dessiner, de colorier, de composer, d’exprimer ; selon que cette maniere approche plus ou moins de la nature & du beau : on l’appelle bonne ou mauvaise maniere.
C’est à la maniere qu’on reconnoît les ouvrages d’un Peintre, dont on aura déja vû quelque tableau.
La maniere dégénere en défaut lorsqu’elle est trop uniforme, & qu’un Peintre se copie continuellement lui-même, dans ses attitudes, dans les airs de tête, dans les autres expressions : c’est ce que les Peintres appellent tomber dans la maniere.
Ceux qui tombent dans ce défaut, s’appellent manieristes. Un dessein manieré.
Les desseins du Teste sont manierés.
On distingue ordinairement trois manieres dans un même Peintre. La premiere, qu’il s’est formée sur le goût de son maître : ainsi Raphaël travailla d’abord dans la maniere du Perugin son maître, & s’abandonna à son propre génie. La troisiéme qui dégénere ordinairement dans ce qu’on appelle proprement maniere, c’est le défaut dont je viens de parler, & c’est celui de presque tous les Peintres, qui par sterilité, ou par paresse, contractent la mauvaise habitude de se répéter. De Piles.
Maniere ne se dit qu’au singulier. La maniere du Poussin, & non pas les manieres du Poussin. Il faut en excepter deux cas : 1°. lorsqu’on parle de plusieurs Peintres : connoître les manieres, c’est distinguer parmi plusieurs tableaux, l’Auteur de chacun en particulier. 2°. Lorsqu’on parle des différentes manieres d’un Peintre ; Raphaël a eu plusieurs manieres.
Quotation
Goût en Peinture est une Idée qui suit l’inclination que les Peintres ont pour certaines choses : l’on dit voilà un ouvrage de grand goût, pour dire que tout y est grand & noble, que les parties sont dessinées librement, que les airs de têtes n’ont rien de bas, chacune dans son espece, que les plis des draperies sont amples, & que les jours & les ombres y sont largement étendus : dans cette signification l’on confond souvent goût avec maniere, & l’on dit tout de même : voilà un ouvrage de grande maniére.
Maniére est l’habitude que les Peintres ont prise, non seulement dans le manîment du pinceau, mais encore dans les trois principales parties de la Peinture, invention, dessein & coloris, & selon que cette habitude aura été contractée avec plus ou moins d’étude & de connoissance du beau naturel & des belles choses qui se voyent de Peinture & Sculpture, on l’appelle bonne ou mauvaise maniére ; c’est par cette maniére dont il est ici question, que l’on reconnoît l’ouvrage d’un Peintre, dont on a déjà vû quelque Tableau, de même que l’on reconnoît l’écriture & style d’un homme de qui on a déjà reçû quelque lettre : l’on dit même, connoître les maniéres, pour dire connoître de plusieurs Tableaux, & l’ouvrage de chaque Peintre en particulier.
Quotation
MANIERE, MANIERISTE, MANIERÉ. Maniere en terme de Peinture est la même chose que style en terme de littérature : ainsi la maniere d’un Peintre est la façon particuliere de dessiner, de colorier, de composer, d’exprimer ; selon que cette maniere approche plus ou moins de la nature & du beau : on l’appelle bonne ou mauvaise maniere.
C’est à la maniere qu’on reconnoît les ouvrages d’un Peintre, dont on aura déja vû quelque tableau.
La maniere dégénere en défaut lorsqu’elle est trop uniforme, & qu’un Peintre se copie continuellement lui-même, dans ses attitudes, dans les airs de tête, dans les autres expressions : c’est ce que les Peintres appellent tomber dans la maniere.
Ceux qui tombent dans ce défaut, s’appellent manieristes. Un dessein manieré.
Les desseins du Teste sont manierés.
On distingue ordinairement trois manieres dans un même Peintre. La premiere, qu’il s’est formée sur le goût de son maître : ainsi Raphaël travailla d’abord dans la maniere du Perugin son maître, & s’abandonna à son propre génie. La troisiéme qui dégénere ordinairement dans ce qu’on appelle proprement maniere, c’est le défaut dont je viens de parler, & c’est celui de presque tous les Peintres, qui par sterilité, ou par paresse, contractent la mauvaise habitude de se répéter. De Piles.
Maniere ne se dit qu’au singulier. La maniere du Poussin, & non pas les manieres du Poussin. Il faut en excepter deux cas : 1°. lorsqu’on parle de plusieurs Peintres : connoître les manieres, c’est distinguer parmi plusieurs tableaux, l’Auteur de chacun en particulier. 2°. Lorsqu’on parle des différentes manieres d’un Peintre ; Raphaël a eu plusieurs manieres.
Quotation
{III. Precepte. Du Sujet.}
Cela posé, il faudra choisir *un Sujet beau, & noble, qui estant de soy-mesme capable de toutes les graces & de tous les charmes que peuvent recevoir les Couleurs & l’élégance du Dessein, donne ensuite à l’Art parfait & consommé un beau champ & une matiere ample de montrer tout ce qu’il peut, & de faire voir quelque chose de fin & de judicieux, *qui soit plein de sel, & qui soit propre à instruire & à éclairer les esprits.
Quotation
{XLI. Qu’il faut éviter les Extrêmes contraires.}
*Que jamais deux extremitez contraires ne se touchent, soit en Couleur, ou en Lumiere ; mais qu'il y ait un milieu participant de l'un & de l'autre.
Quotation
{XLIX. Le Miroir est le Maître des Peintres.}
*Le Miroir vous apprendra quantité de belles choses, que vous remarquerez sur la Nature, aussi bien que les Objets veus le Soir dans des endroits spacieux.
Quotation
{XXIX. Des Passions.}
D'exprimer outre tout cela les Mouvemens des esprits & les Affections qui ont leur siege dans le cœur ; en un mot, de faire avec un peu de couleurs que l'ame nous soit visible,* c'est où consiste la plus grande difficulté […]
Quotation
{I. Precepte. Du Beau}
*La principale & la plus importante partie de la Peinture, est de sçavoir connoistre ce que la Nature a fait de plus beau & de plus convenable à cet Art ; *dont le choix s’en doit faire selon le Goust & la Maniere des Anciens […]
Quotation
{XIX. Qu’il ne faut pas trop s’attacher à la Nature, mais l’accommoder à son Genie.}
*Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, que vous ne donniez rien à vos estudes ny à vostre Genie : mais aussi ne croyez pas que vostre Genie & la seule memoire des choses que vous avez veuës vous fournissent assez pour faire un beau tableau, sans l’aide de cette incomparable maistresse la Nature, *que vous devez toûjours avoir presente comme un témoin de la verité.
Quotation
Vous donnerez le relief & la rondeur aux corps *de la mesme façon que le Miroir convexe vous le montre, dans lequel nous voyons les Figures & toutes les autres choses qui avancent plus fortes & plus vives que le Naturel mesme, *& que celles qui tournent, sont de couleurs rompuës, comme estant moins distinguées & plus proches des bords.
Quotation
{III. Precepte. Du Sujet.}
Cela posé, il faudra choisir *un Sujet beau, & noble, qui estant de soy-mesme capable de toutes les graces & de tous les charmes que peuvent recevoir les Couleurs & l’élégance du Dessein, donne ensuite à l’Art parfait & consommé un beau champ & une matiere ample de montrer tout ce qu’il peut, & de faire voir quelque chose de fin & de judicieux, *qui soit plein de sel, & qui soit propre à instruire & à éclairer les esprits.
Quotation
{XXVII. Les Graces & la Noblesse.}
Que l'on remarque dans tout ce que vous faites de la Noblesse *& de la Grace : mais, à dire le vray, c'est une chose tres-difficile, & un present tres-rare que l'homme reçoit plûtost du Ciel que de ses Estudes.
Quotation
{XXXIV. Le Blanc & le Noir.}
*Le Blanc tout pur avance ou recule indifferemment : il s'approche avec du Noir, & s'éloigne sans luy : *Mais pour le Noir tout pur, il n'y a rien qui s'approche davantage.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
{XXXIII. Qu'il ne faut pas deux jours égaux dans le Tableau}
Evitez les Ombres fortes sur le milieu des Membres, de peur que le trop de Noir qui compose ces Ombres, ne semble entrer dedans & les couper : cherchez plûtost à les placer à l'entour, pour relever davantage les Parties, & prenez vostre Jour si avantageux, qu'apres de grandes Lumieres vous trouviez de grandes Ombres. D'où vient que c'est avec raison que l'on dit du Titien, qu'il n'avoit pas de meilleure Regle pour la distribution des Clairs & des Bruns, que la *Grappe de Raisin.
Quotation
{XLVII. L’Ombre.}
*Qu’il y ait une telle harmonie dans les Masses de vostre Tableau, que toutes les Ombres n'en paroissent qu'une.
Quotation
{LXI. L’Original dans la Teste, & la Copie sur la Toile.}
Ne donnez jamais aucun coup de Pinceau, qu’auparavant vous n'ayez bien examiné vostre Dessein, arresté vos Contours, *& que vous n'ayez present dans l'Esprit l'Effet de vostre Ouvrage. […]
Quotation
ORIGINAL, son opposé est copie.
Tableau original ; un original : il peut y avoir deux ou trois originaux sur un même sujet. Les Peintres ont souvent répété leurs ouvrages : le Titien a répété jusqu’à huit fois le méme tableau.
Mr de Piles s’est servi du mot d’originalité dans cette phrase : il y a des choses qui semblent favoriser l’originalité d’un ouvrage.
Quotation
{XXIII. Ornement du Tableau.}
*Les marques des vertus contribuënt beaucoup par leur noblesse à l’ornement des Figures […]
Quotation
PALETTE. Instrument de bois, de forme ovale avec une ouverture par le haut, pour y passer le pouce. Les Peintres mettent sur cet instrument les couleurs toutes préparées.
On dit de certains tableaux, qu’ils sentent la palette c’est-à-dire, que les couleurs n’en sont point assez vraies, que la nature y est mal caracterisée, & que l’on n’y trouve point cette parfaite imitation, seule capable de séduire & tromper les yeux, Ce qui doit être le premier but des Peintres.
Mr de Piles a dit en parlant de le Brun, « ses couleurs locales sont mauvaises, & il n’a point fait assez d’attention à donner par cette partie le véritable caractère à chaque objet : ce qui est la seule cause pour laquelle ses tableaux sentent toujours comme on dit la palette, & ne font point cette fidele sensation de la nature. »
Quotation
{XXIX. Des Passions.}
D'exprimer outre tout cela les Mouvemens des esprits & les Affections qui ont leur siege dans le cœur ; en un mot, de faire avec un peu de couleurs que l'ame nous soit visible,* c'est où consiste la plus grande difficulté […]
Quotation
PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c.
M. de Piles définit ainsi la peinture.
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles.
La Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris.
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’expression. Voyez EXPRESSION.
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer.
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres.
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel.
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé, de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois.
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{I. Precepte. Du Beau.}
Cependant vous ne devez pas vous attendre que la fortune & le hazard vous donnent infailliblement les belles choses ; quoy que celles que nous voyons soient vrayes & naturelles, elles ne sont pas toûjours pour la bienséance & pour l’ornement : ce n’est pas assez d’imiter de point en point d’une maniere basse toute sorte de Nature ; mais il faut que le Peintre en prenne ce qui est de plus beau, *comme l’Arbitre souverain de son Art, & que par le progrès qu’il y aura fait, il en sçache reparer les defauts, & n’en laisse point échapper les beautez* fuyantes & passageres. […]
Quotation
{LIX. L’Art sujet au Peintre.}
*Cherchez tout ce qui aide vostre Art & qui luy convient, fuyez tout ce qui luy repugne.
Quotation
[…] *Les qualitez d’un excellent Peintre sont, d’avoir le Jugement bon, l’Esprit docile, le Cœur noble, le Sens sublime, de la Ferveur, de la Santé, de la Jeunesse, de la Beauté, la commodité des Biens, le Travail, l’Amour pour son Art, & d’estre sous la Discipline d’un sçavant Maistre. Et quelque Sujet que vous puissiez choisir, ou que le hazard & la bonne fortune vous presente, si vous n’avez le Genie ou l’inclination naturelle que demande vostre Art, vous ne parviendrez jamais à sa perfection avec tous ces grands avantages que je viens de dire : car il y a bien loin de ce que peut faire la Main à cette sorte d’intelligence que donne une heureuse Naissance & un beau Genie. […]
Quotation
PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c.
M. de Piles définit ainsi la peinture.
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles.
La Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris.
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’expression. Voyez EXPRESSION.
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer.
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres.
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel.
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé, de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois.
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.
Quotation
Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d'un enfant doüé du génie de la Peinture. Ils fait connoître aux autres pour ce qu'il est, quand lui-même ne le sçait pas encore. Les Annalistes de la Peinture rapportent une infinité de faits qui confirment ce que j'avance. La plûpart des grands Peintres ne sont pas nez dans les atteliers. Très-peu sont des fils de Peintres, qui, suivant l'usage ordinaire, auroient été élevez dans la profession de leurs peres. Parmi les Artisans illustres qui font tant d'honneur aux deux derniers siècles, le seul Raphaël, autant qu'il m'en souvient, fut le fils d'un Peintre. Le pere du Georgeon & celui du Titien, ne manierent jamais ni pinceaux ni cizeaux, Leonard De Vinci, & Paul Veronése, n'eurent point de Peintres pour peres. Les parens de Michel-Ange vivoient, comme on dit, noblement, c'est-à-dire, sans exercer aucune profession lucrative. André Del Sarte étoit fils d'un Tailleur, & Le Tintoret d'un Tinturier. Le pere des Caraches, n'étoit pas d'une profession où l'on manie le craïon. Michel-Ange De Caravage étoit fils d'un Masson, & Le Correge fils d'un Laboureur. Le Guide étoit fils d'un Musicien, Le Dominiquin d'un Cordonnier, & L'Albane d'un Marchand de Soïe. Lanfranc étoit un enfant trouvé, à qui son génie enseigna la peinture, à peu près comme le génie de M Pascal lui enseigna les Mathématiques. Le pere de Rubens, qui étoit dans la Magistrature d'Anvers, n'avoit ni attelier ni boutique dans sa maison. Le pere de Vandick n'étoit ni Peintre ni Sculpteur. Du Fresnoy, dont nous avons un poëme sur la Peinture, qui a mérité d'être traduit & commenté par M. De Piles, & dont nous avons aussi des tableaux au-dessus du médiocre, avoit étudié pour être Médecin. Les peres des quatre meilleurs Peintres François du dernier siècle, Le Valentin, Le Sueur, Le Poussin & Le Brun, n'étoient pas des peintres. C'est le génie de ces grands hommes qui les a été chercher, pour ainsi dire, dans la maison de leurs parens, afin de les conduire sur le Parnasse. Les Peintres montent sur le Parnasse, aussi-bien que les Poëtes.
Quotation
PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c.
M. de Piles définit ainsi la peinture.
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles.
La Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris.
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’expression. Voyez EXPRESSION.
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer.
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres.
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel.
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé, de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois.
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.
Quotation
{INVENTION premiere partie de la Peinture.}
Enfin j’entre en matiere, & je trouve d’abord une toile nüe : *où il faut disposer toute la Machine (pour ainsi dire) de vostre Tableau, & la pensée d’un Genie facile & puissant, *qui est justement ce que nous appellons Invention.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
*De mesme que la seule Pratique destituée des lumieres de l’Art, est toûjours preste de tomber dans le precipice comme une aveugle, sans pouvoir rien produire qui contribuë à une solide reputation ; ainsi la Theorie sans l’aide de la main, ne peut jamais atteindre à la perfection qu’elle s’est proposée : […]
Quotation
[…] *Les qualitez d’un excellent Peintre sont, d’avoir le Jugement bon, l’Esprit docile, le Cœur noble, le Sens sublime, de la Ferveur, de la Santé, de la Jeunesse, de la Beauté, la commodité des Biens, le Travail, l’Amour pour son Art, & d’estre sous la Discipline d’un sçavant Maistre. Et quelque Sujet que vous puissiez choisir, ou que le hazard & la bonne fortune vous presente, si vous n’avez le Genie ou l’inclination naturelle que demande vostre Art, vous ne parviendrez jamais à sa perfection avec tous ces grands avantages que je viens de dire : car il y a bien loin de ce que peut faire la Main à cette sorte d’intelligence que donne une heureuse Naissance & un beau Genie. […]
Quotation
{VII. Attitude.}
Que la Partie qui en produit une autre, soit plus puissante que celle qu’elle produit, & qu’on voye le Tout d’un mesme point de veuë : *quoy que la Perspective ne puisse pas estre appellée une Regle certaine ou un acheminement de la Peinture ; mais un grand secours dans l’Art, & un moyen facile pour agir, tombant assez souvent dans l’erreur, & nous faisant voir des choses sous un faux aspect : car les corps ne sont pas toûjours representez selon le plan Geometral, mais tels qu’ils sont veus.
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
PONDÉRATION, terme de Peinture. On entend par-là le juste équilibre des corps : cet équilibre étant nécessaire pour le mouvement, les Peintres ne peuvent donner d’attitudes, ni de mouvemens véritables à leurs figures, sans observer les régles prescrites par la nature. Leonard de Vinci, & quelques autres Peintres qui ont le plus réfléchi sur cette partie essentielle du dessein, ont fait les remarques suivantes, qui passent pour autant d’axiomes, reçus dans la Peinture. Ils ont observé que la tête doit être tournée du côté du pied qui soutient le corps : qu’en se tournant elle ne doit jamais passer les épaules : que les mains ne doivent pas s’élever plus haut que la tête, le poignet plus haut que l’épaule, le pied plus haut que le genou : qu’un pied ne doit être distant de l’autre que de sa longueur : que lorsque l’on représente une figure qui éléve un bras, toutes les parties de ce côté-là doivent suivre le même mouvement ; que la cuisse par exemple doit s’allonger, & le talon du pied s’élever ; que dans les actions violentes & forcées ces mouvemens à la vérité ne sont pas tout-à-fait si compassés, mais que l’équilibre ne doit se perdre jamais : qu’enfin sans cette juste pondération les corps ne peuvent agir comme il faut, ni même se mouvoir.
« Les mouvemens, dit Mr de Piles, ne sont jamais naturels, si les membres ne sont également balancés sur leur centre, & ils ne peuvent être balancés sur leur centre dans une égalité de poids, qu’ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir clairement cette vérité. Le corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots : s’il n’y a en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, ensorte que si, par exemple, le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le corps soit tant soit peu courbé du côté contraire pour être dans son équilibre, & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les vieillards que les deux pieds portent également, & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la même prudence si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre pied portât le reste. »
Personne n’a mieux écrit sur la pondération des corps, que Leonard de Vinci dans son Traité de Peinture.
Quotation
{LI. Le Portrait.}
*Pour ce qui est des Portraits, il faut faire precisement ce que la Nature vous montre, travaillant en mesme temps aux Parties qui se ressemblent, comme sont les Yeux, les Joües, les Lévres & les Narines, en sorte que vous touchiez à l'une si-tost que vous aurez donné un coup de Pinceau à l'autre, de peur que le temps & l'interruption ne vous fasse perdre l'idée d'une Partie, que la Nature a produite pour ressembler à l'autre ; & imitant ainsi trait pour trait toutes les Parties avec une juste & harmonieuse composition de Clair-Obscur & de Couleurs, & donnant à vostre Portrait le brillant que la facilité & la vigueur du Pinceau font voir, pour lors il paroistra tout plein de vie.
Quotation
[...]
PORTRAIT. Tableau qui contient la représentation lineale du corps humain.
Portrait en grand, en petit : portrait en pastel, en miniature : portrait à la plume, au crayon.
Portrait chargé, voyez CHARGE.
Peintre pour le portrait.
L’essence du portrait, consiste moins à attraper une grossiere ressemblance, ce que font les Peintres les plus mediocres, qu’à exprimer le véritable temperament, le caractère, & l’air de Physionomie des personne qu’on représente.
« Si la personne que vous peignez est naturellement triste, dit Mr. de Piles, il le faudra bien garder de lui donner de la gayeté, qui seroit toujours quelque chose d’étranger sur son visage : si elle est enjouée, il faut faire paroître cette belle humeur par l’expression des parties où elle agit, & où elle se montre, si elle est grave & majestueuse, les ris fort sensibles rendront cette majesté fade & niaise. »
Pline raconte d’après Appien le grammairien, qu’Apelle faisoit ses portraits si ressemblans, & marquoit avec tant de fidélité les traits des personnes qu’il peignoit, que sur l’inspection des tableaux les Astrologues tiroient l’horoscope de la vie & de la mort des personnes.
Dufresnoy conseille aux faiseurs de portraits de travailler en même tems les parties doubles de la tête, comme les yeux, les oreilles, les narines, les jouës & les levres, c’est-à-dire de passer continuellement de l’une à l’autre, de les retoucher & de les finir ensemble, de peur que l’interruption ne fasse perdre l’idée de ces parties.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
*De mesme que la seule Pratique destituée des lumieres de l’Art, est toûjours preste de tomber dans le precipice comme une aveugle, sans pouvoir rien produire qui contribuë à une solide reputation ; ainsi la Theorie sans l’aide de la main, ne peut jamais atteindre à la perfection qu’elle s’est proposée : […]
Quotation
{LXX. L’ordre que doit tenir le Peintre dans ses Estudes.}
*Pour bien faire, *vous commencerez par la Geometrie ; & apres en avoir appris quelque chose, *mettez-vous à desseigner d'après les Antiques Grecques, *& ne vous donnez point de relasche ny jour ny nuit, qu'auparavant vous ne vous soyez acquis, par une continuelle pratique, une habitude facile de les imiter dans leurs Inventions & dans leur Maniere. Et ensuite lors que le Jugement se sera fortifié, & sera parvenu à sa maturité par les années, il sera tres-bon de voir & d'examiner l'un apres l'autre, & partie à partie par un ordre suivi de la manière que nous avons dit cy-devant & selon les Regles que nous en avons données, les Ouvrages qui ont donné tant de réputation aux Maistres de la premiere Classe ; comme sont les Romains, les Venitiens, les Parmesans, & ceux de Bologne. […]
Quotation
Prononcer se dit en Peinture des parties du corps, comme dans l’expression ordinaire il se dit des paroles ; le langage de la Peinture est le langage des muets ; elle ne se fait entendre que lorsque certaines parties s’accordent ensemble, & sont disposées de maniére qu’elles expriment les sentimens du cœur, de même que font les paroles quand elles sont jointes ; & l’on dit prononcer une main, un bras, une épaule, un genou, ou quelque autre partie, pour dire, la marquer, la specifier, la débrouïller, la donner à connoître parfaitement, comme l’on dit prononcer une telle parole ; pour dire la donner à entendre distinctément & sans begayer.
Quotation
[...]
PRONONCER. « Prononcer, dit Mr de Piles, se dit en Peinture des parties du corps, comme dans le langage ordinaire il se dit des paroles articulées. Les parties d’un tableau lorsqu’elles sont bien liées, expriment les sentimens & les idées, de même que font les paroles quand elles sont jointes. Prononcer une main, un bras, un pied, ou une tout autre partie, c’est la bien marquer, la specifier, la faire connoître clairement, comme prononcer une parole, c’est l’articuler & la faire entendre distinctement. » On ne peut rien ajouter à la précision & à la clarté de cette définition.
Quotation
Prononcer, en terme de peinture ; C’est marquer & specifier les parties de toutes sortes de corps avec autant de force & de netteté qu’il est necessaire pour les rendre plus ou moins distinctes. Ainsi les Peintres, en parlant d’un tableau, disent que certaines parties en sont bien prononcées ; qui est une marque metaphorique de s’enoncer ; Comme lorsqu’on dit d’un homme qui parle bien, qu’il a une belle prononciation ; ce que M. de Piles a fort bien remarqué dans ses notes sur le poëme du sieur du Fresnoy.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
Quoy qu’il y ait dans la Peinture plusieurs choses, dont on ne puisse pas donner de regles si precises (*veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes) je ne laisseray pourtant pas d’en donner quelques unes que j’ay choisies parmy les plus belles que nous avons receuës de la Nature cette sçavante maistresse, apres l’avoir examinée à fonds, aussi-bien que ces chefs-d’œuvres de l’Antiquité *les premiers Exemplaires de l’Art. Et c'est par ce moyen que l'esprit & la disposition naturelle se cultivent , & que la science perfectionne le génie […]
Quotation
{VII. Attitude.}
Que la Partie qui en produit une autre, soit plus puissante que celle qu’elle produit, & qu’on voye le Tout d’un mesme point de veuë : *quoy que la Perspective ne puisse pas estre appellée une Regle certaine ou un acheminement de la Peinture ; mais un grand secours dans l’Art, & un moyen facile pour agir, tombant assez souvent dans l’erreur, & nous faisant voir des choses sous un faux aspect : car les corps ne sont pas toûjours representez selon le plan Geometral, mais tels qu’ils sont veus.
Quotation
{XXXIII. Qu'il ne faut pas deux jours égaux dans le Tableau}
Evitez les Ombres fortes sur le milieu des Membres, de peur que le trop de Noir qui compose ces Ombres, ne semble entrer dedans & les couper : cherchez plûtost à les placer à l'entour, pour relever davantage les Parties, & prenez vostre Jour si avantageux, qu'apres de grandes Lumieres vous trouviez de grandes Ombres. D'où vient que c'est avec raison que l'on dit du Titien, qu'il n'avoit pas de meilleure Regle pour la distribution des Clairs & des Bruns, que la *Grappe de Raisin.
Quotation
Vous donnerez le relief & la rondeur aux corps *de la mesme façon que le Miroir convexe vous le montre, dans lequel nous voyons les Figures & toutes les autres choses qui avancent plus fortes & plus vives que le Naturel mesme, *& que celles qui tournent, sont de couleurs rompuës, comme estant moins distinguées & plus proches des bords.
Quotation
[...]
REPOS. On appelle repos dans un tableau, certains endroits où les grandes lumieres sont rompües par de grandes ombres qui délassent la vûe, & qui lui servent en quelque sorte de repos.
« Ces repos, dit Mr de Piles, se font de deux manieres, dont l’une est naturelle, & l’autre artificielle. La naturelle se fait par une étenduë de clairs & d’ombres, qui suivent naturellement & nécessairement les corps solides, ou les masses de plusieurs figures agroupées, lorsque le jour vient à frapper dessus. L’artificielle consiste dans les corps des couleurs que le Peintre donne à de certaines choses, telles qu’il lui plaît, & les compose de sorte qu’elles ne fassent point de tort aux objets qui sont auprès d’elles. Une draperie par exemple que l’on aura faite jaune ou rouge en certains endroits, pourra être dans un autre de couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. »
La Peinture comme la Musique doit avoir des repos.
Les figures jettées en trop grand nombre, ou représentées sous des attitudes trop vives, & trop bruyantes, étourdissent la vûe & troublent ce repos, ce silence qui doit régner dans une belle composition.
Arcenda tabellis
Turba figurarum, nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quase mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangrunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telæ
Serpat amœna quies & docta silentia regnent.
Pictura.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
[...]
ROMPUE [couleur] « On appelle couleur rompuë, dit Mr. de Piles, celle qui est diminuée & corrompuë par le mélange d’une autre [excepté du blanc qui ne pas corrompre, mais qui peut être corrompu.] On peut dire, par exemple qu’un tel azur d’outremer est rompu de laque, & d’ocre jaune , quand il y entre un peu de ces deux dernieres couleurs, & ainsi des autres.
Les couleurs rompuës, ajoute-t-il, servent à l’union & à l’accord des couleurs, soit dans les tournans des corps & dans leurs ombres, soit dans toute leur masse.
Titien, Paul Veronese, le Rimbrant ont employé avec beaucoup d’art les couleurs rompuës.
Couleur rompuë & couleur composée sont mots synonimes ; en parlant d’une draperie d’un jaune clair qui est ombrée d’une laque obscure, quelques uns disent que cette draperie est rompuë de rouge : ce n’est pas parler correctement : il faut dire : cette draperie est ombrée de laque, parce que ces deux couleurs sont séparées. Or le mot de rompu ne se dit au sens propre que de deux couleurs mêlées l’une dans l’autre.
Les Italiens disent rottura de colori.
Quotation
Couleurs rompuës. Les Couleurs sont rompües lorsqu’elles ne sont pas employées toutes simples & pures, mais qu’on en mesle deux ou plusieurs ensemble pour en affoiblir & éteindre une trop vive ; Comme quand pour diminuer de la vivacité de la Laque, on y mesle un peu de terre verte ; ou bien, quand pour oster de l’éclat du Vermillon, on y mesle du brun rouge, soit en détrempant les Couleurs sur la palette, soit après qu’elles sont couchées sur la toile & en travaillant. Quand une draperie que est d’un jaune clair se trouve ombrée d’une laque obscure, on dit d’ordinaire que cette draperie est jaune rompuë de rouge. C’est pourtant mieux dit qu’elle est jaune ombrée de laque, si les deux couleurs sont separées : car le mot rompu ne se prend proprement que lors que la couleur n’est pas pure, mais meslée avec une autre. Enfin une couleur rompuë, parmy les Peintres, est celle que l’on esteint, & dont l’on diminuë la force ; ce qui sert beaucoup pour l’union & l’accord qui doit estre dans toutes celles qui composent un Tableau. Le Titien, Paul Veronese, & les autres Lombards s’en sont heureusement servis, comme l’a fort bien remarqué M. de Pile sur la poëme du sieur du Fresnoy. Les Italiens nomment cela Rottura de colori.
Quotation
{XV. Du nombre des Figures.}
*De mesme que la Comedie est rarement bonne dans laquelle le nombre des Acteurs est trop grand, ainsi est-il bien rare & quasi comme impossible de faire un Tableau parfait, dans lequel il se trouve une grande quantité de Figures […] : parce que tant de choses dispersées apportent une confusion, & ostent une majesté grave & un silence doux, qui font la beauté du Tableau & la satisfaction des yeux ; mais si vous y estes contraint par le Sujet, il faudra concevoir le Tout ensemble & l’effet de l’Ouvrage comme tout d’une veuë, & non pas chaque chose en particulier.
Quotation
{XXVI. La Scene du Tableau.}
*Que l’on considere les lieux où l’on met la Scene du Tableau, les Païs d’où sont ceux que l’on y fait paroistre, leurs Façons de faire, leurs Coûtumes, leurs Loix, & ce qui fait leur Bien-seance.
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
Quoy qu’il y ait dans la Peinture plusieurs choses, dont on ne puisse pas donner de regles si precises (*veu que les plus belles choses ne se peuvent souvent exprimer faute de termes) je ne laisseray pourtant pas d’en donner quelques unes que j’ay choisies parmy les plus belles que nous avons receuës de la Nature cette sçavante maistresse, apres l’avoir examinée à fonds, aussi-bien que ces chefs-d’œuvres de l’Antiquité *les premiers Exemplaires de l’Art. Et c'est par ce moyen que l'esprit & la disposition naturelle se cultivent , & que la science perfectionne le génie […]
Quotation
{III. Precepte. Du Sujet.}
Cela posé, il faudra choisir *un Sujet beau, & noble, qui estant de soy-mesme capable de toutes les graces & de tous les charmes que peuvent recevoir les Couleurs & l’élégance du Dessein, donne ensuite à l’Art parfait & consommé un beau champ & une matiere ample de montrer tout ce qu’il peut, & de faire voir quelque chose de fin & de judicieux, *qui soit plein de sel, & qui soit propre à instruire & à éclairer les esprits.
Quotation
[...]
SITE. Signifie en Peinture la situation, l’assiette d’un lieu. Les Italiens disent SITO dans le même sens. Ces deux mots viennent originairement du mot latin SITUS.
Site s’entend particulierement du païsage : il y a des Sites de plusieurs genres, bornes ou étendus, montueux, plats, aquatiques, cultivés ou incultes, habités ou déserts.
Sites insipides : ce sont des Sites dont le choix est trivial. Claude le Lorrain n’a introduit dans ses païsages que des sites insipides : mais cela est bien reparé par les graces du coloris, & par la beauté de l’éxécution.
Les Sites doivent être d’un beau choix, il faut qu’ils soient bien liés & bien débrouillés par leurs formes : ils doivent avoir quelque chose de nouveau & de piquant. Le moyen de les varier à l’infini, dit monsieur de Piles, est d’y faire survenir quelques-uns de ces accidens qu’arrivent si communément, & qui repandenttant de varieté dans la nature ; par exemple l’interposition de quelques nuages qui cause de l’interruption dans la lumiere : ensorte qu’il y ait des endroits éclairés sur la terre, & d’autres ombres, qui selon le mouvement des nuages se succédent les uns aux autres, & font des effets merveilleux, & des changemens de clair obscur qui semblent produire autant de nouveaux sites.
Les païsages du Poussin sont remarquables par l’agrément, la nouveauté, la richesse & l’ingénieuse diversité des sites.
Quotation
[...]
SITE. Signifie en Peinture la situation, l’assiette d’un lieu. Les Italiens disent SITO dans le même sens. Ces deux mots viennent originairement du mot latin SITUS.
Site s’entend particulierement du païsage : il y a des Sites de plusieurs genres, bornes ou étendus, montueux, plats, aquatiques, cultivés ou incultes, habités ou déserts.
Sites insipides : ce sont des Sites dont le choix est trivial. Claude le Lorrain n’a introduit dans ses païsages que des sites insipides : mais cela est bien reparé par les graces du coloris, & par la beauté de l’éxécution.
Les Sites doivent être d’un beau choix, il faut qu’ils soient bien liés & bien débrouillés par leurs formes : ils doivent avoir quelque chose de nouveau & de piquant. Le moyen de les varier à l’infini, dit monsieur de Piles, est d’y faire survenir quelques-uns de ces accidens qu’arrivent si communément, & qui repandenttant de varieté dans la nature ; par exemple l’interposition de quelques nuages qui cause de l’interruption dans la lumiere : ensorte qu’il y ait des endroits éclairés sur la terre, & d’autres ombres, qui selon le mouvement des nuages se succédent les uns aux autres, & font des effets merveilleux, & des changemens de clair obscur qui semblent produire autant de nouveaux sites.
Les païsages du Poussin sont remarquables par l’agrément, la nouveauté, la richesse & l’ingénieuse diversité des sites.
Quotation
[...]
SITE. Signifie en Peinture la situation, l’assiette d’un lieu. Les Italiens disent SITO dans le même sens. Ces deux mots viennent originairement du mot latin SITUS.
Site s’entend particulierement du païsage : il y a des Sites de plusieurs genres, bornes ou étendus, montueux, plats, aquatiques, cultivés ou incultes, habités ou déserts.
Sites insipides : ce sont des Sites dont le choix est trivial. Claude le Lorrain n’a introduit dans ses païsages que des sites insipides : mais cela est bien reparé par les graces du coloris, & par la beauté de l’éxécution.
Les Sites doivent être d’un beau choix, il faut qu’ils soient bien liés & bien débrouillés par leurs formes : ils doivent avoir quelque chose de nouveau & de piquant. Le moyen de les varier à l’infini, dit monsieur de Piles, est d’y faire survenir quelques-uns de ces accidens qu’arrivent si communément, & qui repandenttant de varieté dans la nature ; par exemple l’interposition de quelques nuages qui cause de l’interruption dans la lumiere : ensorte qu’il y ait des endroits éclairés sur la terre, & d’autres ombres, qui selon le mouvement des nuages se succédent les uns aux autres, & font des effets merveilleux, & des changemens de clair obscur qui semblent produire autant de nouveaux sites.
Les païsages du Poussin sont remarquables par l’agrément, la nouveauté, la richesse & l’ingénieuse diversité des sites.
Quotation
{III. Precepte. Du Sujet.}
Cela posé, il faudra choisir *un Sujet beau, & noble, qui estant de soy-mesme capable de toutes les graces & de tous les charmes que peuvent recevoir les Couleurs & l’élégance du Dessein, donne ensuite à l’Art parfait & consommé un beau champ & une matiere ample de montrer tout ce qu’il peut, & de faire voir quelque chose de fin & de judicieux, *qui soit plein de sel, & qui soit propre à instruire & à éclairer les esprits.
Quotation
{V. Fidélité du sujet}
*Que vos compositions soient conformes au texte des anciens Autheurs, aux coûtumes & aux temps.
Quotation
{VI. Qu’il faut rejetter ce qui affadit le Sujet.}
*Donnez-vous de garde que ce qui ne fait rien au Sujet & qui n'y est que peu convenable, entre dans vostre Tableau, & en occupe la principale place : Mais imitez en cecy la Tragedie, Sœur de la Peinture, qui déploye toutes les forces de son Art où le fort de l’action se passe.
Quotation
{XIV. Equilibre du Tableau.}
*Que l’un des costez du Tableau ne demeure pas vuide, pendant que l’autre est rempli jusqu’en haut ; mais que l’on dispose si bien les choses, que si d’un costé le Tableau est rempli, l’on prenne occasion de remplir l’autre ; en sorte qu’ils paroissent en quelque façon égaux, soit qu’il y ait beaucoup de Figures, ou qu’elles y soient en petit nombre.
Quotation
{XLVIII. Que le Tableau soit tout d’une Paste.}
Que vostre Tableau *soit tout d'une Paste, & fuyez tant que vous pourrez de peindre à sec.
Quotation
{LXIX. Les Tablettes.}
*Soyez prompt à mettre sur vos Tablettes (que vous aurez toûjours prestes) tout ce que vous en jugerez digne, soit sur la Terre, ou dans l'Air, ou sur les Eaux, pendant que les especes en demeurent encore fraisches dans vostre Esprit.
Quotation
Le talent de la composition poëtique & le talent de la composition pittoresque sont tellement séparez, que nous voïons des Peintres excellens dans l'une, être grossiers dans l'autre. […]
Monsieur De Piles grand amateur de la peinture, et qui lui-même manioit le pinceau, nous a laissé plusieurs écrits touchant cet art, qui meritent d'être connus de tout le monde ; mais un de ces écrits merite toutes les loüanges qui sont dûës aux livres originaux : c'est sa balance des peintres.
Quotation
[...]
TERRASSE, par rapport à la Peinture, s’entend d’un espace de terre dénué ou peu chargé d’herbes & de plantes, comme sont les grands chemins, & d’autres lieux forts fréquentés.
« On n’employe gueres les terrasses, dit Mr de Piles, que sur le devant du tableau ; elles doivent être spacieuses & bien ouvertes, accompagnées si l’on veut de quelque verdure, qui s’y trouve comme par accident, aussi bien que de quelques cailloutages, qui étant jettés avec prudence, rendent la terrasse plus vrai-semblable. » [...].
Quotation
{II. Precepte. De la Theorie & de la Pratique.}
*De mesme que la seule Pratique destituée des lumieres de l’Art, est toûjours preste de tomber dans le precipice comme une aveugle, sans pouvoir rien produire qui contribuë à une solide reputation ; ainsi la Theorie sans l’aide de la main, ne peut jamais atteindre à la perfection qu’elle s’est proposée : […]
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
[...]
TON. Dans la Peinture, on distingue différens modes comme dans la Musique.
Ces modes qui ne sont autre chose que les differentes espéces de couleurs considerées selon l’amitié ou l’antipatie qu’elles ont entr’elles, s’appellent tons.
« Il y a une harmonie & une dissonance dans les espéces de couleurs, dit Mr. de Piles. ... Comme les instrumens de Musique, ne conviennent pas toujours les uns aux autres, par exemple le Luth avec le Haut-bois, ni Clavecin avec la Musette, de la même matiere, il y a des couleurs qui ne peuvent demeurer ensemble sans offenser la vûe, comme le vermillon avec les verds, les bleus, & les jaunes. »
Quotation
[...]
TOURMENTER. On dit tourmenter des couleurs : c’est les remanier & les frotter après les avoir couchées sur la toile, ce qui en ternit l’éclat. Quand on les a une fois placées le mieux seroit de n’y point toucher du tout, si la chose étoit possible. Mais comme il n’arrive guéres qu’elles fassent leur effet du premier coup, il faut du moins en les retouchant les épargner le plus que l’on peut, & éviter de les tracasser & de les tourmenter. De Piles a dit : la fraîcheur des couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.
Quotation
{IV. Disposition ou œconomie de tout l’ouvrage}
*Il est fort à propos, en cherchant les Attitudes, de prevoir l’effet & l’harmonie des Lumieres & des Ombres avec les Couleurs qui doivent entrer dans le Tout, prenant des unes & des autres ce qui doit contribuer davantage à produire un bel effet.
Quotation
{XV. Du nombre des Figures.}
*De mesme que la Comedie est rarement bonne dans laquelle le nombre des Acteurs est trop grand, ainsi est-il bien rare & quasi comme impossible de faire un Tableau parfait, dans lequel il se trouve une grande quantité de Figures […] : parce que tant de choses dispersées apportent une confusion, & ostent une majesté grave & un silence doux, qui font la beauté du Tableau & la satisfaction des yeux ; mais si vous y estes contraint par le Sujet, il faudra concevoir le Tout ensemble & l’effet de l’Ouvrage comme tout d’une veuë, & non pas chaque chose en particulier.
Quotation
{XVIII. Ce qu’il faut éviter dans la distribution des Figures.}
Fuyez les veuës difficiles à trouver & qui sont peu naturelles, les mouvemens & les actions forcées, avec toutes les Parties desagreables à voir, comme sont les Racourcis.
*Fuyez encore les lignes & les contours égaux, qui font des paralleles, & d'autres figures aiguës & Geometrales, comme des quarrez, des triangles, & toutes celles qui pour estre trop comptées, vous font une certaine symmetrie ingrate, qui ne produit aucun bon effet ; mais, comme nous avons déja dit, les principales lignes se doivent contraster l'une l'autre : C'est pourquoy dans ces contours vous aurez principalement égard au Tout-ensemble ; car c'est de luy que vient la beauté & la force des Parties.
Quotation
ENSEMBLE, ce qui résulte de l’union des différentes parties d’un tableau, s’appelle, l’ensemble, ou le tout ensemble du tableau.
[...] « Le tout ensemble, dit, Mr de Piles, est une subordination générale des objets, les uns aux autres, qui les fait concourir tous ensemble à n’en faire qu’un. C’est un résultat, dit-il encore, des parties qui composent le tableau. L’effet qui en résulte, consiste dans une subordination générale où les bruns font valoir les bruns, & où le mérite de chaque chose n’est fondé que sur une naturelle dépendance. L’Art du tout ensemble, consiste à fixer agréablement les yeux par des liaisons de lumières et d’ombres, par des unions de couleurs, & par des oppositions d’une étendue suffisante pour soutenir les groupes, & leur servir de repos. Ce n’est point assez, ajoute-t-il, que les parties d’un tableau ayent leur arrangement & leur justesse en particulier ; il faut encore qu’elles s’accordent toutes ensemble, & qu’elles ne fassent qu’un tout harmonieux : de même qu’il ne suffit pas pour un concert de musique, que chaque partie ne fasse entendre avec justesse, & demeure dans l’arrangement particulier de ses notes : il faut encore qu’elles conviennent d’une harmonie qui les rassemble, & qui de plusieurs tons particuliers, n’en fasse qu’un. »
Quotation
{Couleur ou Cromatique. Troisième Partie de la Peinture.}
Aussi ne voit-on personne qui rétablisse *la † CROMATIQUE, & qui la remette en vigueur au point que la porta Zeuxis, lors que par cette Partie, qui est pleine de charmes & de magie, & qui sçait si admirablement tromper la veuë, il se rendit égal au fameux Apelle, le Prince des Peintres, & qu’il merita pour toûjours la reputation qu’il s’est établie par tout le monde. Et comme cette partie (que l’on peut dire l’ame & le dernier achevement de la Peinture) est une beauté trompeuse, mais flateuse & agreable, on l’accusoit de produire *sa Sœur, & de nous engager adroitement à l’aimer : Mais tant s’en faut que cette prostitution, ce fard & cette tromperie l’ayent jamais deshonorée, qu’au contraire elles n’ont servy qu’à sa loüange, & à faire voir son merite : Il sera donc tres-avantageux de la connoistre.
Quotation
{LX. La diversité & la facilité plaisent.}
*Les Corps de diverse nature aggrouppez ensemble sont agreables & plaisans à la veuë, *aussi bien que les choses qui paroissent estre faites avec Facilité ; parce qu’elles sont pleines d’esprit & d’un certain Feu celeste qui les anime : Mais vous ne ferez pas les choses avec cette Facilité, qu’apres les avoir long-temps roulées dans vostre Esprit : Et c’est ainsi que vous cacherez sous une agreable tromperie la peine que vous aura donné vostre Art & vostre Ouvrage ; mais le plus grand de tous les Artifices est de faire paroistre qu’il n’y en a point.
Quotation
{XIX. Qu’il ne faut pas trop s’attacher à la Nature, mais l’accommoder à son Genie.}
*Ne soyez pas si fort attaché à la Nature, que vous ne donniez rien à vos estudes ny à vostre Genie : mais aussi ne croyez pas que vostre Genie & la seule memoire des choses que vous avez veuës vous fournissent assez pour faire un beau tableau, sans l’aide de cette incomparable maistresse la Nature, *que vous devez toûjours avoir presente comme un témoin de la verité.
Quotation
{LI. Le Portrait.}
*Pour ce qui est des Portraits, il faut faire precisement ce que la Nature vous montre, travaillant en mesme temps aux Parties qui se ressemblent, comme sont les Yeux, les Joües, les Lévres & les Narines, en sorte que vous touchiez à l'une si-tost que vous aurez donné un coup de Pinceau à l'autre, de peur que le temps & l'interruption ne vous fasse perdre l'idée d'une Partie, que la Nature a produite pour ressembler à l'autre ; & imitant ainsi trait pour trait toutes les Parties avec une juste & harmonieuse composition de Clair-Obscur & de Couleurs, & donnant à vostre Portrait le brillant que la facilité & la vigueur du Pinceau font voir, pour lors il paroistra tout plein de vie.
Quotation
{XLVI. Vivacité des Couleurs.}
*Que vos Couleurs soient vives, sans pourtant donner, comme on dit, dans la Farine.
Quotation
{VII. Attitude.}
Que la Partie qui en produit une autre, soit plus puissante que celle qu’elle produit, & qu’on voye le Tout d’un mesme point de veuë : *quoy que la Perspective ne puisse pas estre appellée une Regle certaine ou un acheminement de la Peinture ; mais un grand secours dans l’Art, & un moyen facile pour agir, tombant assez souvent dans l’erreur, & nous faisant voir des choses sous un faux aspect : car les corps ne sont pas toûjours representez selon le plan Geometral, mais tels qu’ils sont veus.
Quotation
{XI. La Principale Figure du Sujet.}
*Que la Principale Figure du Sujet paroisse au milieu du Tableau sous la principale lumiere ; qu’elle ayt quelque chose qui la fasse remarquer par-dessus les autres, & que les figures qui l’accompagnent, ne la dérobent point à la veuë.
Quotation
{XV. Du nombre des Figures.}
*De mesme que la Comedie est rarement bonne dans laquelle le nombre des Acteurs est trop grand, ainsi est-il bien rare & quasi comme impossible de faire un Tableau parfait, dans lequel il se trouve une grande quantité de Figures […] : parce que tant de choses dispersées apportent une confusion, & ostent une majesté grave & un silence doux, qui font la beauté du Tableau & la satisfaction des yeux ; mais si vous y estes contraint par le Sujet, il faudra concevoir le Tout ensemble & l’effet de l’Ouvrage comme tout d’une veuë, & non pas chaque chose en particulier.
Quotation
{XXXI. Conduite des Tons, des Lumières & des Ombres.}
Il faut donc que les corps ronds, qui sont veus vis-à-vis en angle droit, soient de couleurs vives & fortes, & que les extremitez tournent en se perdant insensiblement & confusément, sans que le Clair se precipite tout d'un coup dans l'Obscur, ny l'Obscur tout d'un coup dans le Clair : il se fera un passage commun & imperceptible des Clairs dans les Ombres & des Ombres dans les Clairs. Et c’est conformément à ces principes qu’il faut traiter tout un Grouppe de Figures, quoy que composé de plusieurs parties ; de mesme que vous feriez une seule teste, soit qu’il y ait deux Grouppes, ou mesme trois (*ce qui sera tout au plus) si vôtre composition le demande, & prenez garde qu’ils soient détachez les uns des autres : Enfin, vous ménagerez si bien les Couleurs, les Clairs & les Ombres, *que vous fassiez paroître les corps éclairez par des Ombres qui arrestent vostre veuë, qui ne luy permettent pas si-tost d’aller plus loing, & qui la font reposer pour quelque temps, & que reciproquement vous rendiez les Ombres sensibles par un Fond éclairé.
Quotation
{VI. Qu’il faut rejetter ce qui affadit le Sujet.}
*Donnez-vous de garde que ce qui ne fait rien au Sujet & qui n'y est que peu convenable, entre dans vostre Tableau, & en occupe la principale place : Mais imitez en cecy la Tragedie, Sœur de la Peinture, qui déploye toutes les forces de son Art où le fort de l’action se passe.
Quotation
Couleurs rompuës. Les Couleurs sont rompües lorsqu’elles ne sont pas employées toutes simples & pures, mais qu’on en mesle deux ou plusieurs ensemble pour en affoiblir & éteindre une trop vive ; Comme quand pour diminuer de la vivacité de la Laque, on y mesle un peu de terre verte ; ou bien, quand pour oster de l’éclat du Vermillon, on y mesle du brun rouge, soit en détrempant les Couleurs sur la palette, soit après qu’elles sont couchées sur la toile & en travaillant. Quand une draperie que est d’un jaune clair se trouve ombrée d’une laque obscure, on dit d’ordinaire que cette draperie est jaune rompuë de rouge. C’est pourtant mieux dit qu’elle est jaune ombrée de laque, si les deux couleurs sont separées : car le mot rompu ne se prend proprement que lors que la couleur n’est pas pure, mais meslée avec une autre. Enfin une couleur rompuë, parmy les Peintres, est celle que l’on esteint, & dont l’on diminuë la force ; ce qui sert beaucoup pour l’union & l’accord qui doit estre dans toutes celles qui composent un Tableau. Le Titien, Paul Veronese, & les autres Lombards s’en sont heureusement servis, comme l’a fort bien remarqué M. de Pile sur la poëme du sieur du Fresnoy. Les Italiens nomment cela Rottura de colori.
Quotation
Prononcer, en terme de peinture ; C’est marquer & specifier les parties de toutes sortes de corps avec autant de force & de netteté qu’il est necessaire pour les rendre plus ou moins distinctes. Ainsi les Peintres, en parlant d’un tableau, disent que certaines parties en sont bien prononcées ; qui est une marque metaphorique de s’enoncer ; Comme lorsqu’on dit d’un homme qui parle bien, qu’il a une belle prononciation ; ce que M. de Piles a fort bien remarqué dans ses notes sur le poëme du sieur du Fresnoy.
Quotation
Monsieur de Piles has a pretty Invention of a Scale whereby he gives an Idea in short of the Merit of the Painters, I have given some Account of it in the latter end of my former Essay : This, with a little Alteration and Improvement may be of great use to Lovers of Art, and Connoisseurs.
Quotation
Le talent de la composition poëtique & le talent de la composition pittoresque sont tellement séparez, que nous voïons des Peintres excellens dans l'une, être grossiers dans l'autre. […]
Monsieur De Piles grand amateur de la peinture, et qui lui-même manioit le pinceau, nous a laissé plusieurs écrits touchant cet art, qui meritent d'être connus de tout le monde ; mais un de ces écrits merite toutes les loüanges qui sont dûës aux livres originaux : c'est sa balance des peintres.
Quotation
CARACTERE. Les Peintres entendent par ce mot, les qualités qui constituent l’essence d’une chose, & qui la distinguent d’une autre. Caractere des objets, caractere des passions.
Chaque espéce d’objet demande une marque différente de distinction, la pierre, les eaux, les arbres, la plume, &c.
Chaque animal demande une touche différente, qui exprime fidélement sont caractere ; le nud même des figures humaines a ses marques de distinction. De Piles, cours de Peint.
Quotation
CHAMP, terme de Peinture. Dans le sens propre, on appelle champ du tableau, le fond du tableau même ; dans le figuré on appelle champ, toute partie qui en soutient une autre, ou qui est placée derriere elle. On dit cette partie sert de champ à un bras, une terrasse sert de champ à une figure, une figure sert de champ à une autre, un ciel sert de champ à un arbre. On employe aussi le terme de fond dans cette seconde acception, & M. de Piles prétend qu’il est mieux de s’en servir en parlant des objets particuliers. Une draperie fait fond à un bras, une terrasse fait fond à une figure.
Quotation
CHARGE, CHARGER. On appelle proprement charges ou tableaux chargés, des représentations où l’on exagére les choses en bien ou en mal, mais plûtôt ordinairement en mal.
Un Peintre satyrique en trois ou quatre coups de pinceau, fait un portrait ridicule, mais fort ressemblant, quoiqu’en laid, en exagérant la difformité de la personne qu’il représente.
On appelle encore charges certains caprices, & certaines figures grotesques : par éxemple, des animaux avec une figure humaine, des hommes avec des pieds d’animaux, des femmes sous la figure d’un pot ou de quelqu’autre vase.
C’est une espéce de genre burlesque que le mauvais goût, qui corrompt tous les Arts, a introduit dans la Peinture.
[...] Il est une troisième espéce de charges, qui sont à la vérité contre l’éxactitude du dessein, mais ce sont des licences permises aux Peintres, & même nécessaires en certains cas. Dans certaines distances, il faut nécessairement charger les objets : c’est la premiere régle de la perspective. « Il y a des contours chargés, qui plaisent, dit Mr de Piles... On ne peut s’empêcher de louer dans quelques grands ouvrages les choses chargées, quand une raisonnable distance, d’où on les voit les adoucit à nos yeux. »
On dit charger un portrait, faire des charges, charger des contours ; les charges d’Annibal Carache, de Callot, &c.
Une belle charge, une charge ridicule.
Quotation
LE COLORIS n’est autre chose que les couleurs employées, considérées dans leur totalité.
Tout l’artifice du coloris, consiste à imiter les couleurs apparentes des objets naturels, & à donner aux objets artificiels la couleur la plus avantageuse, & la plus propre pour tromper la vûe. De Piles
COLORIs précieux.
COLORIS fier : fierté de coloris.
COLORIS qui sent la farine. Voyez FARINE.
LE COLORIS du Titien du Corrége.
Quotation
COMPOSITION. Mr de Piles est le premier qui ait donné ce nom à cette partie de la Peinture, que tous les Peintres jusqu’à lui étoient convenus d’appeler INVENTION « On ne s’est servi jusqu’ici, dit-il, que du mot d’invention pour signifier la premiere partie de la Peinture. J’ai cru que pour en donner une idée nette, il falloit l’appeller composition, & la diviser en deux, l’invention & la disposition. »
Quotation
DRAPER, DRAPERIE. Draper signifie en peinture habiller d’une Draperie, draper une figure. Draper se dit aussi absolument & sans y joindre de régime. M. de Piles a dit : l’Art de draper consiste principalement, &c.
On appelle draperies les vêtements dont on habille les figures.
Jetter une draperie.
Draperies légères & volantes.
Draperies majestueuses.
Draperies pauvres.
Draperies qui sentent le mannequin ; ce sont celles dont les plis sont durs & plein de roideur. Voyez MANNEQUIN.
Les plis des draperies doivent être coulans, faciles, amples en petit nombre.
Ils doivent être ondoians & voltigeans, en sorte que par leurs sinuosité & par leur mollesse, ils semblent en quelque sorte caresser les figures.
Sint faciles pannis flexus, sit grande volumen,
Sublimes amplique sinus, vaga lintea, parci
Anfractus : ut flamma volent, ut lympha dehiscant
Molliter, ut serpens sinuoso tramite currant,
Ac teretes palpent tactu leviore figuras.
Pictura Carmen.
Draperies de linge mouillé ; ce sont des Etoffes colées & ad’hérentes, que les anciens Sculpteurs employoient, & dont quelques Peintres, comme le Perugin, se sont servi pour draper ; mais elles n’ont jamais plû dans la Peinture ; au contraire elles font un fort bel effet dans la Sculpture : par-là on évite la grandeur & la dureté des plis, on rend les figures plus tendres, & les contours plus marqués. Dans l’orangerie d’Anet il y a une belle fontaine, où l’on voit une statuë de femme, dont la draperie est de linge mouillé, & ressemble si parfaitement à la chemise mouillée d’une femme qui sort du bain, que l’œil y est trompé.
Quotation
ELÉGANCE, ELÉGANT : élégance du dessein. Peintre élégant, contours élégans, bâtiment élégant.
En fait de Peinture, l’élégance est l’Art de représenter les choses avec choix, d’une maniere polie, & avec agrément : avec choix, en se mettant au-dessus de ce que la nature & les Peintres sont ordinairement : avec politesse, en donnant aux choses un tour délicat qui frappe les gens de goût, & avec agrément, en répandant sur tout l’ouvrage ces graces naturelles & piquantes, qui plaisent à tous les hommes. De Piles.
Quotation
ENSEMBLE, ce qui résulte de l’union des différentes parties d’un tableau, s’appelle, l’ensemble, ou le tout ensemble du tableau.
[...] « Le tout ensemble, dit, Mr de Piles, est une subordination générale des objets, les uns aux autres, qui les fait concourir tous ensemble à n’en faire qu’un. C’est un résultat, dit-il encore, des parties qui composent le tableau. L’effet qui en résulte, consiste dans une subordination générale où les bruns font valoir les bruns, & où le mérite de chaque chose n’est fondé que sur une naturelle dépendance. L’Art du tout ensemble, consiste à fixer agréablement les yeux par des liaisons de lumières et d’ombres, par des unions de couleurs, & par des oppositions d’une étendue suffisante pour soutenir les groupes, & leur servir de repos. Ce n’est point assez, ajoute-t-il, que les parties d’un tableau ayent leur arrangement & leur justesse en particulier ; il faut encore qu’elles s’accordent toutes ensemble, & qu’elles ne fassent qu’un tout harmonieux : de même qu’il ne suffit pas pour un concert de musique, que chaque partie ne fasse entendre avec justesse, & demeure dans l’arrangement particulier de ses notes : il faut encore qu’elles conviennent d’une harmonie qui les rassemble, & qui de plusieurs tons particuliers, n’en fasse qu’un. »
Quotation
ESQUISSE, ESQUISSER. L’esquisse est le premier crayon d’un ouvrage que l’on médite. Les Italiens disent schizzo.
« Les Peintres, dit Félibien, ne dessinent pas d’abord avec justesse toutes les parties, ils en font une légère esquisse, où ils établissent l’ordre de leurs pensées. » Esquisser un bras, une tête, une pensée, un dessein ; son opposé est arrêter, finir, terminer. Les Sculpteurs ont emprunté ce terme, & ils appellent esquisse les premiers modéles de terre ou de cire qu’ils font.
Ebauche & esquisse ne sont pas des mots tout-à-fait synonimes. L’esquisse est proprement la premiere pensée d’un tableau que l’on jette rapidement sur un papier, sur un carton séparé. L’ébauche est le commencement du tableau même, dont on trace les premieres lignes sur la toile. L’esquisse est séparée du tableau. L’ébauche se fait sur le tableau même. Nous avons les esquisses de Raphaël, de Jules Romain : Nous ne sçaurions avoir leurs ébauches : cependant ces deux mots se confondent dans le langage ordinaire ; mais c’est aux Léxicographes à marquer exactement leur signification propre, & c’est ce que la plûpart des Dictionnaires n’ont pas fait, nommément le Trévoux.
Mr de Piles a fait ce mot masculin.
Il a dit des esquisses légers.
Quotation
EXPRESSION. Dans la division ordinaire, l’expression est comprise dans le dessein ; mais il me semble qu’on devroit en faire une partie séparée. Dessiner & exprimer sont des choses différentes. L’expression est la représentation véritable & naturelle des choses, surtout des mouvemens de l’âme & des passions.
On dit communément que le dessein & le coloris, sont le corps de la Peinture, & que l’expression en est l’âme.
Membris addenda est ignea virtus
Scilicet, atque hebetes anima infundenda per artus.
Singula vitali Spirent animata colore,
Gestus ubique micet vivax, vultusque loquaces
Spiritus intus alat.
Pictura Carmen.
L’expression, dit Mr de Piles, est la pierre de touche de l’esprit du Peintre.
Raphaël, Jules Romain, & le Dominiquin ont excellé dans l’expression, sont la justesse & la vérité, le naturel, la noblesse, la vivacité, la finesse.
Quotation
FIGURE. Quoique ce mot soit fort général, dit Mr de Piles, & qu’il signifie tout ce qui peut être décrit par plusieurs lignes, néanmoins en Peinture, on l’entend ordinairement des figures humaines. Peindre la figure, faire la figure.
Annibal Carrache ne croyait pas qu’on dût faire entrer plus de douze figures dans un tableau : Il exceptoit apparamment certains sujets qui en demandent nécessairement un plus grand nombre ; comme un Jugement universel, un massacre des Innocens, une bataille, une peste. Aristide, un des plus fameux Peintre de la Gréce, a fait entrer cent figures dans le tableau de l’expédition d’Alexandre.
Quotation
GENIE. Mr de Piles a défini le genie une lumiére de l’esprit, laquelle conduit à la fin par des moyens faciles.
Le genie est ce qui distingue les grands Peintres d’avec les Peintres médiocres ; le genie ne s’acquiert point.
Nascitur, ut vates, naturæ munere Pictor.
Ne quisquam attrectans calamos obstante Minervâ.
Audeat ad sacros picturæ accedere fontes,
Ni Deus ex alto nascenti afflaverit ignes
Ætherios : ni vena fluat pollentibus undis :
Ni menti porrò insideat vis illa creatrix
Atque opifex rerum, quœ, Numinis œmula summi,
Indigesta prius socians elementa colorum,
Et rudibus vitam succis, animum que ministans,
Vertit in effigiem rerum : telâque potenti
Nunc homines spirare jubet, nunc prata vivere,
Ire amnes.
Pictura.
Quotation
GRACE, grace & beauté, sont des choses fort différentes en Peinture.
LA grace est un certain tour que l’on donne aux choses qui les rend agréables. Une figure peut être dessinée parfaitement, & admirablement coloriée sans avoir cette grace dont nous parlons. Elle sera belle, elle ne sera sera pas gracieuse ; vultu pulchro magis quam venusto, comme Suetone le disoit de Neron : c’est cette grace qui a mis Apelle au dessus de tous les Peintres de l’antiquité, & qui fait préférer Raphaël à tous les Peintres modernes. De Piles.
Cette grace doit se trouver dans tous les sujets, dans les plus tristes, comme dans les plus gais, dans les plus terribles, comme dans les plus agréables, dans les vieillards & dans les soldats, comme dans les femmes & dans les enfans.
Gratia cum primis, decor & nativa venustas
Eniteant tabulis, & Spiret amabile tela,
Nescio quid.
Pictura Carmen.
Quotation
JET, JETTER, termes de Peinture.
On dit jetter une draperie, le jet des draperies, draperies d’un beau jet.
Ce mot de jetter, dit Mr de Piles, est d’autant plus expressif, que les draperies, ne doivent pas être arrangées comme les habits dont on se sert dans le monde ; mais qu’en suivant le caractere de la pure nature, laquelle est éloignée affection, les plis se trouvent comme par hazard autour des membres.
Quotation
LARGE, LARGEMENT, terme de Peinture. Lumiéres larges, c’est-à-dire étendues & grandes : peindre largement, c’est donner de grands coups de pinceau, & distribuer les objets par grandes masses. C’est en vain que vous travaillez, dit Mr de Piles, si vous ne conservez vos lumieres larges, puisque sans elles votre ouvrage ne fera jamais un bon effet de loin.
Quotation
MANIERE, MANIERISTE, MANIERÉ. Maniere en terme de Peinture est la même chose que style en terme de littérature : ainsi la maniere d’un Peintre est la façon particuliere de dessiner, de colorier, de composer, d’exprimer ; selon que cette maniere approche plus ou moins de la nature & du beau : on l’appelle bonne ou mauvaise maniere.
C’est à la maniere qu’on reconnoît les ouvrages d’un Peintre, dont on aura déja vû quelque tableau.
La maniere dégénere en défaut lorsqu’elle est trop uniforme, & qu’un Peintre se copie continuellement lui-même, dans ses attitudes, dans les airs de tête, dans les autres expressions : c’est ce que les Peintres appellent tomber dans la maniere.
Ceux qui tombent dans ce défaut, s’appellent manieristes. Un dessein manieré.
Les desseins du Teste sont manierés.
On distingue ordinairement trois manieres dans un même Peintre. La premiere, qu’il s’est formée sur le goût de son maître : ainsi Raphaël travailla d’abord dans la maniere du Perugin son maître, & s’abandonna à son propre génie. La troisiéme qui dégénere ordinairement dans ce qu’on appelle proprement maniere, c’est le défaut dont je viens de parler, & c’est celui de presque tous les Peintres, qui par sterilité, ou par paresse, contractent la mauvaise habitude de se répéter. De Piles.
Maniere ne se dit qu’au singulier. La maniere du Poussin, & non pas les manieres du Poussin. Il faut en excepter deux cas : 1°. lorsqu’on parle de plusieurs Peintres : connoître les manieres, c’est distinguer parmi plusieurs tableaux, l’Auteur de chacun en particulier. 2°. Lorsqu’on parle des différentes manieres d’un Peintre ; Raphaël a eu plusieurs manieres.
Quotation
ORIGINAL, son opposé est copie.
Tableau original ; un original : il peut y avoir deux ou trois originaux sur un même sujet. Les Peintres ont souvent répété leurs ouvrages : le Titien a répété jusqu’à huit fois le méme tableau.
Mr de Piles s’est servi du mot d’originalité dans cette phrase : il y a des choses qui semblent favoriser l’originalité d’un ouvrage.
Quotation
PALETTE. Instrument de bois, de forme ovale avec une ouverture par le haut, pour y passer le pouce. Les Peintres mettent sur cet instrument les couleurs toutes préparées.
On dit de certains tableaux, qu’ils sentent la palette c’est-à-dire, que les couleurs n’en sont point assez vraies, que la nature y est mal caracterisée, & que l’on n’y trouve point cette parfaite imitation, seule capable de séduire & tromper les yeux, Ce qui doit être le premier but des Peintres.
Mr de Piles a dit en parlant de le Brun, « ses couleurs locales sont mauvaises, & il n’a point fait assez d’attention à donner par cette partie le véritable caractère à chaque objet : ce qui est la seule cause pour laquelle ses tableaux sentent toujours comme on dit la palette, & ne font point cette fidele sensation de la nature. »
Quotation
PEINDRE, PEINTRE, PEINTURE. Peindre, c’est representer une chose avec des couleurs ; la Peinture est cette représentation ; le Peintre est celui qui la fait. Peindre en huile ; peindre en détrempe ; peindre à fraisque ; peindre en pastel ; peindre en miniature ; peindre en émail ; peindre sur verre, sur bois, sur cuivre, &c. Peindre l’Histoire, le Païsage, le Portrait, les Animaux, les Fleurs, les Grotesques, &c.
M. de Piles définit ainsi la peinture.
C’est un Art, dit-il, qui par le moyen du dessein & la couleur, imite sur une superficie plate tous les objets visibles.
La Peinture, suivant la division commune, renferme trois parties, la composition, le dessein & le coloris.
On peut, comme je l’ai remarqué, y ajouter l’expression. Voyez EXPRESSION.
Il est naturel de penser que l’ombre de l’homme a fait naître la premiere idée de la Peinture. [...]
Felibien ne nous apprend rien de nouveau lorsqu’il dit dans son Vocabulaire [car c’est tout le nom que mérite son dictionnaire imparfait, où il a obmis les trois quarts des termes de l’Art] qu’il faut dire peindre, & non pas peinturer.
Peinturer est un mot barbare que Menage a essayé en vain de soutenir, & que l’usage, l’arbitre souverain des langues a proscrit. On est surpris de le trouver dans les Dictionnaires estimés, & de n’y point trouver d’autres termes qui sont dans la bouche de tous les Peintres.
Les meilleurs Auteurs qui ayent écrit sur la Peinture, sont Leonard de Vinci, M. de Chambrai, Vazari, Felibien, de Piles, & M. Coypel.
Nous avons deux Poëmes latins sur la Peinture, l’un d’Alphonse du Fresnoy, intitulé, de Arte Graphica l’autre de Mr l’Abbé de M. qui a pour titre Pictura : l’un & l’autre ont été traduits en François, & imprimés plusieurs fois.
Nous avons aussi deux Poëmes François sur le même sujet, l’un de Perrault & l’autre de Moliere. Celui de Perrault n’a pas fait plus de fortune que ses paralleles.
Quotation
PONDÉRATION, terme de Peinture. On entend par-là le juste équilibre des corps : cet équilibre étant nécessaire pour le mouvement, les Peintres ne peuvent donner d’attitudes, ni de mouvemens véritables à leurs figures, sans observer les régles prescrites par la nature. Leonard de Vinci, & quelques autres Peintres qui ont le plus réfléchi sur cette partie essentielle du dessein, ont fait les remarques suivantes, qui passent pour autant d’axiomes, reçus dans la Peinture. Ils ont observé que la tête doit être tournée du côté du pied qui soutient le corps : qu’en se tournant elle ne doit jamais passer les épaules : que les mains ne doivent pas s’élever plus haut que la tête, le poignet plus haut que l’épaule, le pied plus haut que le genou : qu’un pied ne doit être distant de l’autre que de sa longueur : que lorsque l’on représente une figure qui éléve un bras, toutes les parties de ce côté-là doivent suivre le même mouvement ; que la cuisse par exemple doit s’allonger, & le talon du pied s’élever ; que dans les actions violentes & forcées ces mouvemens à la vérité ne sont pas tout-à-fait si compassés, mais que l’équilibre ne doit se perdre jamais : qu’enfin sans cette juste pondération les corps ne peuvent agir comme il faut, ni même se mouvoir.
« Les mouvemens, dit Mr de Piles, ne sont jamais naturels, si les membres ne sont également balancés sur leur centre, & ils ne peuvent être balancés sur leur centre dans une égalité de poids, qu’ils ne se contrastent les uns les autres. Un homme qui danse sur la corde, fait voir clairement cette vérité. Le corps est un poids balancé sur ses pieds, comme sur deux pivots : s’il n’y a en a qu’un qui porte, comme il arrive le plus souvent, vous voyez que tout le poids est retiré dessus centralement, ensorte que si, par exemple, le bras avance, il faut de nécessité, ou que l’autre bras, ou que la jambe aille en arriere, ou que le corps soit tant soit peu courbé du côté contraire pour être dans son équilibre, & dans une situation hors de contrainte. Il se peut faire, mais rarement, si ce n’est dans les vieillards que les deux pieds portent également, & pour lors il n’y a qu’à distribuer la moitié du poids sur chaque pied. Vous userez de la même prudence si l’un des pieds portoit les trois quarts du fardeau, & que l’autre pied portât le reste. »
Personne n’a mieux écrit sur la pondération des corps, que Leonard de Vinci dans son Traité de Peinture.
Quotation
[...]
PORTRAIT. Tableau qui contient la représentation lineale du corps humain.
Portrait en grand, en petit : portrait en pastel, en miniature : portrait à la plume, au crayon.
Portrait chargé, voyez CHARGE.
Peintre pour le portrait.
L’essence du portrait, consiste moins à attraper une grossiere ressemblance, ce que font les Peintres les plus mediocres, qu’à exprimer le véritable temperament, le caractère, & l’air de Physionomie des personne qu’on représente.
« Si la personne que vous peignez est naturellement triste, dit Mr. de Piles, il le faudra bien garder de lui donner de la gayeté, qui seroit toujours quelque chose d’étranger sur son visage : si elle est enjouée, il faut faire paroître cette belle humeur par l’expression des parties où elle agit, & où elle se montre, si elle est grave & majestueuse, les ris fort sensibles rendront cette majesté fade & niaise. »
Pline raconte d’après Appien le grammairien, qu’Apelle faisoit ses portraits si ressemblans, & marquoit avec tant de fidélité les traits des personnes qu’il peignoit, que sur l’inspection des tableaux les Astrologues tiroient l’horoscope de la vie & de la mort des personnes.
Dufresnoy conseille aux faiseurs de portraits de travailler en même tems les parties doubles de la tête, comme les yeux, les oreilles, les narines, les jouës & les levres, c’est-à-dire de passer continuellement de l’une à l’autre, de les retoucher & de les finir ensemble, de peur que l’interruption ne fasse perdre l’idée de ces parties.
Quotation
[...]
PRINCIPALE [figure] On appelle figure principale celle qui est le sujet d’un tableau. Cette figure doit tenir la premiere place dans une composition, & ne doit être éteinte, ni même obscurcie par aucune autre figure. Elle doit être plus touchée, plus terminée que toutes les autres. Elle doit se faire remarquer, dit M. de Piles, comme un Roi au milieu de la Cour.
Prima figurarum, seu Princeps dramatis, ultrò
Prosiliat mediâ in tabulâ, sub lumine primo,
Pulchrior ante alias, reliquis nec operta figuris. Du Fresnoy
In medio, reliquas inter Spectanda figuras, Contemplantum oculos Princeps persona moretur.
finibus extremis, longinquâ in parte tabellæ
Abjice vulgares, ingloria corpora, formas.
Marsy.
Quotation
[...]
PRONONCER. « Prononcer, dit Mr de Piles, se dit en Peinture des parties du corps, comme dans le langage ordinaire il se dit des paroles articulées. Les parties d’un tableau lorsqu’elles sont bien liées, expriment les sentimens & les idées, de même que font les paroles quand elles sont jointes. Prononcer une main, un bras, un pied, ou une tout autre partie, c’est la bien marquer, la specifier, la faire connoître clairement, comme prononcer une parole, c’est l’articuler & la faire entendre distinctement. » On ne peut rien ajouter à la précision & à la clarté de cette définition.
Quotation
[...]
REPOS. On appelle repos dans un tableau, certains endroits où les grandes lumieres sont rompües par de grandes ombres qui délassent la vûe, & qui lui servent en quelque sorte de repos.
« Ces repos, dit Mr de Piles, se font de deux manieres, dont l’une est naturelle, & l’autre artificielle. La naturelle se fait par une étenduë de clairs & d’ombres, qui suivent naturellement & nécessairement les corps solides, ou les masses de plusieurs figures agroupées, lorsque le jour vient à frapper dessus. L’artificielle consiste dans les corps des couleurs que le Peintre donne à de certaines choses, telles qu’il lui plaît, & les compose de sorte qu’elles ne fassent point de tort aux objets qui sont auprès d’elles. Une draperie par exemple que l’on aura faite jaune ou rouge en certains endroits, pourra être dans un autre de couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. »
La Peinture comme la Musique doit avoir des repos.
Les figures jettées en trop grand nombre, ou représentées sous des attitudes trop vives, & trop bruyantes, étourdissent la vûe & troublent ce repos, ce silence qui doit régner dans une belle composition.
Arcenda tabellis
Turba figurarum, nimio confusa tumultu,
Indiscreta locis, ubi concurrentia passim
Corpora corporibus, quase mutua bella lacessunt,
Et malè contiguis sibi frangrunt artubus artus.
Sit procul iste fragor, placido sed in œquore telæ
Serpat amœna quies & docta silentia regnent.
Pictura.
Quotation
[...]
ROMPUE [couleur] « On appelle couleur rompuë, dit Mr. de Piles, celle qui est diminuée & corrompuë par le mélange d’une autre [excepté du blanc qui ne pas corrompre, mais qui peut être corrompu.] On peut dire, par exemple qu’un tel azur d’outremer est rompu de laque, & d’ocre jaune , quand il y entre un peu de ces deux dernieres couleurs, & ainsi des autres.
Les couleurs rompuës, ajoute-t-il, servent à l’union & à l’accord des couleurs, soit dans les tournans des corps & dans leurs ombres, soit dans toute leur masse.
Titien, Paul Veronese, le Rimbrant ont employé avec beaucoup d’art les couleurs rompuës.
Couleur rompuë & couleur composée sont mots synonimes ; en parlant d’une draperie d’un jaune clair qui est ombrée d’une laque obscure, quelques uns disent que cette draperie est rompuë de rouge : ce n’est pas parler correctement : il faut dire : cette draperie est ombrée de laque, parce que ces deux couleurs sont séparées. Or le mot de rompu ne se dit au sens propre que de deux couleurs mêlées l’une dans l’autre.
Les Italiens disent rottura de colori.
Quotation
[...]
SITE. Signifie en Peinture la situation, l’assiette d’un lieu. Les Italiens disent SITO dans le même sens. Ces deux mots viennent originairement du mot latin SITUS.
Site s’entend particulierement du païsage : il y a des Sites de plusieurs genres, bornes ou étendus, montueux, plats, aquatiques, cultivés ou incultes, habités ou déserts.
Sites insipides : ce sont des Sites dont le choix est trivial. Claude le Lorrain n’a introduit dans ses païsages que des sites insipides : mais cela est bien reparé par les graces du coloris, & par la beauté de l’éxécution.
Les Sites doivent être d’un beau choix, il faut qu’ils soient bien liés & bien débrouillés par leurs formes : ils doivent avoir quelque chose de nouveau & de piquant. Le moyen de les varier à l’infini, dit monsieur de Piles, est d’y faire survenir quelques-uns de ces accidens qu’arrivent si communément, & qui repandenttant de varieté dans la nature ; par exemple l’interposition de quelques nuages qui cause de l’interruption dans la lumiere : ensorte qu’il y ait des endroits éclairés sur la terre, & d’autres ombres, qui selon le mouvement des nuages se succédent les uns aux autres, & font des effets merveilleux, & des changemens de clair obscur qui semblent produire autant de nouveaux sites.
Les païsages du Poussin sont remarquables par l’agrément, la nouveauté, la richesse & l’ingénieuse diversité des sites.
Quotation
[...]
TERRASSE, par rapport à la Peinture, s’entend d’un espace de terre dénué ou peu chargé d’herbes & de plantes, comme sont les grands chemins, & d’autres lieux forts fréquentés.
« On n’employe gueres les terrasses, dit Mr de Piles, que sur le devant du tableau ; elles doivent être spacieuses & bien ouvertes, accompagnées si l’on veut de quelque verdure, qui s’y trouve comme par accident, aussi bien que de quelques cailloutages, qui étant jettés avec prudence, rendent la terrasse plus vrai-semblable. » [...].
Quotation
[...]
TON. Dans la Peinture, on distingue différens modes comme dans la Musique.
Ces modes qui ne sont autre chose que les differentes espéces de couleurs considerées selon l’amitié ou l’antipatie qu’elles ont entr’elles, s’appellent tons.
« Il y a une harmonie & une dissonance dans les espéces de couleurs, dit Mr. de Piles. ... Comme les instrumens de Musique, ne conviennent pas toujours les uns aux autres, par exemple le Luth avec le Haut-bois, ni Clavecin avec la Musette, de la même matiere, il y a des couleurs qui ne peuvent demeurer ensemble sans offenser la vûe, comme le vermillon avec les verds, les bleus, & les jaunes. »
Quotation
[...]
TOURMENTER. On dit tourmenter des couleurs : c’est les remanier & les frotter après les avoir couchées sur la toile, ce qui en ternit l’éclat. Quand on les a une fois placées le mieux seroit de n’y point toucher du tout, si la chose étoit possible. Mais comme il n’arrive guéres qu’elles fassent leur effet du premier coup, il faut du moins en les retouchant les épargner le plus que l’on peut, & éviter de les tracasser & de les tourmenter. De Piles a dit : la fraîcheur des couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant.