FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Cinquième partie, Paris, Veuve de Sébastien Mabre-Cramoisy, 1688, 5 vol., vol. V.
Sa forme littéraire, l’entretien, lui donne une dimension didactique et pédagogique que ne possède pas le genre du traité ou de la biographie. De plus, cela permet de légitimiser la plume de l’auteur qui n’est pas un artiste mais qui a acquis son savoir auprès de Poussin et en le regardant peindre. En dressant une histoire des peintres de l’Antiquité jusqu’au XVIIe siècle – les peintres vivants ne sont pas évoqués – l’ouvrage de Félibien aborde les notions fondamentales nécessaire à la compréhension de la théorie de l’art.
Le dernier volume des Entretiens, qui n’était pas prévu à l’origine par Félibien, s’achève par le Songe de Philomathe, paru pour la première fois en 1683 (Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy). Il s’agit d’un dialogue entre deux sœurs, l’une blonde incarnant la Poésie et l'autre brune, la Peinture, la première s'exprimant en vers, la seconde en prose. Le neuvième entretien concerne les genres autres que la peinture d’histoire, jugés moins nobles et retrace la vie de Pierre de Cortone et quelques français, tels que Le Sueur, Mignard et Bourdon. Le dixième entretien présente une forme de conclusion et de révision de certaines notions telles que le dessin et la raison. Félibien y évoque également les humeurs et tempérament en marge des vies des peintres français comme Champaigne et Dufresnoy.
Matthieu Lett et Marianne Freyssinet
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Seconde édition, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1685 - 1688, 2 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres, anciens et modernes. Seconde édition, Paris, Florentin et Pierre Delaulne, 1690, 2 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Seconde édition, Paris, Denys Mariette, 1696, 2 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Nouvelle édition augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, avec le Recueil historique de la vie et des ouvrages des plus célèbres architectes, FÉLIBIEN, Jean-François (éd.), Amsterdam, Estienne Roger, 1700, 4 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, par Mr. Félibien, Secrétaire de l'Académie des Sciences & Historiographe du Roi, Nouvelle édition revue, corrigée & augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, London, David Mortier, 1705, 4 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, par Mr. Félibien, Secrétaire de l'Académie des Sciences & Historiographe du Roi. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture, De l'Idée du Peintre parfait & des Traitez des Desseins, des Estampes, de la Connoissance des Tableaux & du Goût des Nations, Amsterdam, Estienne Roger, 1706, 4 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, avec la Vie des architectes, par Monsieur Félibien. Nouvelle édition revue, corrigée & augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture ; De l'Idée du Peintre parfait, des Traitez de la miniature, des Desseins, des Estamps, de la connoissance des Tableaux, & du Goût des Nations ; De la Description des Maisons de Campagne de Pline, & de celle des Invalides, FÉLIBIEN, Jean-François (éd.), Trévoux, Imprimerie de Son Altesse Sérénissime, 1725, 6 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, avec la vie des architectes; with an introductory note by Sir Anthony F. Blunt, BLUNT, Anthony (éd.), Farnborough, Gregg Press, 1967.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, Genève, Minkoff Reprint, 1972, 3 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes. Entretiens I et II. Introduction, établissement du texte et notes par René Démoris, DÉMORIS, René (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1987.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes. Entretiens I et II. Introduction, établissement du texte et notes par René Démoris, DÉMORIS, René (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 2007.
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THUILLIER, Jacques, « Pour André Félibien », Dix-septième siècle, 138, 1983, p. 65-95.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes. Entretiens I et II. Introduction, établissement du texte et notes par René Démoris, DÉMORIS, René (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1987.
DÉMORIS, René, « Félibien. Biographie, théorie et histoire dans les "Entretiens" », dans WASCHEK, Matthias (éd.), Les vies d’artistes , Actes du colloque de Paris, Paris, Musée du Louvre Éd. - École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1996, p. 177-193.
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HAAS, Bruno, « La méconnaissance du dessin comme fondement d’un discours sur l’art », Nouvelle revue d’esthétique, 4, 2009, p. 29-40 [En ligne : www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2009-2-page-29.htm consulté le 05/01/2015].
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GERMER, Stefan, Art, pouvoir, discours : la carrière intellectuelle d'André Félibien dans la France de Louis XIV, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2016.
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QUOTATIONS
Mais il est vray que quand je considere les Tableaux de cet excellent homme [ndr : Poussin], & ceux de quelques Peintres qui ont eû du merite, je voy qu’il y a une grande difference entre les bons & les sçavans Peintres. J’appelle un bon Peintre celuy qui dans ses ouvrages s’exprime avec ordre, avec beaucoup de force, de grace & de netteté, & qui en imitant bien ce qu’il veut representer, satisfait les esprits ordinaires & plaist aux yeux de tout le monde : Mais celuy-là seul me paroist digne d’estre appelé sçavant, qui non seulement possede toutes ces belles parties, mais encore qui attirant sur ses ouvrages l’admiration des esprits mesme du premier rang, ennoblit les matieres les plus communes par la sublimité de ses pensées, & trouve dans son imagination & dans sa mémoire, comme dans deux sources inépuisables, tout ce qui peut rendre ses Tableaux entierement parfaits.
Comme nous avons dit qu’il y a deux souveraines qualitez dans la Peinture ; l’une de travailler avec science pour instruire, & l’autre de peindre agreablement pour plaire ; & que celuy qui plaist fait un effet bien plus general que celuy qui instruit : on peut dire aussi que la qualité necessaire pour plaire estoit le partage de Pierre de Cortone.
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Comme nous avons dit qu’il y a deux souveraines qualitez dans la Peinture ; l’une de travailler avec science pour instruire, & l’autre de peindre agreablement pour plaire ; & que celuy qui plaist fait un effet bien plus general que celuy qui instruit : on peut dire aussi que la qualité necessaire pour plaire estoit le partage de Pierre de Cortone. Combien de fois avons-nous consideré dans Rome le Salon du Palais Barberin, où nous trouvions tant de graces & de noblesse dans la disposition des figures, tant d’agrément dans leurs attitudes & dans leurs airs de testes ; une si belle union dans les couleurs, & ce que les Italiens nomment Vaguezza ? Quoy-que cet ouvrage soit peint à fraisque, il n’y a pas moins de force & de tendresse que s’il estoit peint à huile. Et bien que le dessein n’en soit pas d’un goust exquis, ni les draperies des figures tout-à-fait bien entendües & naturelles ; cependant il se trouve que le tout ensemble a quelque chose de si gracieux & de si doux à la veûë, qu’il n’y a personne qui ne sente beaucoup de plaisir en le regardant.
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D’autres [ndr : Peintres] encore, qui ont eû des considérations plus raisonnables, ont connu qu’ils réussissoient mieux dans les grandes choses que dans les petites, comme il est ordinaire à ceux qui ont beaucoup de feu & de facilité à executer leurs pensées. Telles estoient les qualitez de Pierre de Cortone. Quand il travailloit à de grands Tableaux, la vivacité de son esprit, & une émotion violente qui animoit sa main, & qui luy estoit comme naturelle, l’échaufoit, & l’emportoit hors de luy-mesme : ce qui faisoit que ses productions estoient pleines de chaleur & de vehemence ; au lieu que quand recueïlli dans son cabinet il prenoit le pinceau pour travailler avec plus de repos, cette émotion qui comme un vent impetueux l’agitoit dans les grand lieux, se trouvant plus resserré, affoiblissait le feu de son imagination, & ses pensées demeurant sans vigueur, devenoient laguissantes.
Il n’en est pas de mesme de ceux qui se sont étudiez à travailler avec tranquillité d’une maniere plus correcte & plus arrestée : leur jugement les accompagne toûjours ; ils agissent en toutes choses avec les mesmes lumieres, & par ce moyen conservent une force égale & un semblable caractere, soit qu’ils travaillent à de grands Tableaux, soit qu’ils en peignent de plus petits, soit mesme qu’ils ne fassent que de simples desseins. Comme l’esprit ne peut estre continuellement dans un mesme degré de chaleur, lors que cette chaleur vient à diminuer, il faut que la force, & si j’ose le dire, toute la flamme d’un Peintre s’éteigne. De sorte que c’est seulement dans les grandes productions du Cortone qu’on découvre la beauté de son imagination ; comme au contraire on apperçoit également dans tous les Tableaux du Poussin cette force d’esprit, cette science solide, & ce profond raisonnement qui l’ont rendu superieur à tant d’autres.
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Comme l’esprit ne peut estre continuellement dans un mesme degré de chaleur, lors que cette chaleur vient à diminuer, il faut que la force, & si j’ose le dire, toute la flamme d’un Peintre s’éteigne. De sorte que c’est seulement dans les grandes productions du Cortone qu’on découvre la beauté de son imagination ; comme au contraire on apperçoit également dans tous les Tableaux du Poussin cette force d’esprit, cette science solide, & ce profond raisonnement qui l’ont rendu superieur à tant d’autres.
De sorte que c’est seulement dans les grandes productions du Cortone qu’on découvre la beauté de son imagination ; comme au contraire on apperçoit également dans tous les Tableaux du Poussin cette force d’esprit, cette science solide, & ce profond raisonnement qui l’ont rendu superieur à tant d’autres.
En 1650, il [ndr : Le Sueur] fit le Tableau qu’on a de coustume de presenter tous les ans à Nostre Dame de Paris le premier jour de May. […] La premiere pensée, ou plûtost l’original de ce Tableau, est, comme vous sçavez, dans le Cabinet de M. le Normand Greffier en chef du grand Conseil & Secretaire du Roy.
J’ay veû cét original, interrompit aussi-tost Pymandre : nostre ami qui le possede, prétend qu’il y a des choses plus belles que dans celuy qui est à Nostre-Dame. Les premieres pensées des grands hommes, luy dis-je, sont souvent les meilleures, non-seulement parce que la force de ce premier feu qui échauffe leur imagination s’y trouve toute entiere, mais aussi à cause qu’ayant beaucoup d’esprit & de lumiéres, ils sont capables de juger par eux-mesmes de la bonté de ce qu’ils produisent, & discerner le bien d’avec le mal.
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En 1650, il [ndr : Le Sueur] fit le Tableau qu’on a de coustume de presenter tous les ans à Nostre Dame de Paris le premier jour de May. […] La premiere pensée, ou plûtost l’original de ce Tableau, est, comme vous sçavez, dans le Cabinet de M. le Normand Greffier en chef du grand Conseil & Secretaire du Roy.
J’ay veû cét original, interrompit aussi-tost Pymandre : nostre ami qui le possede, prétend qu’il y a des choses plus belles que dans celuy qui est à Nostre-Dame. Les premieres pensées des grands hommes, luy dis-je, sont souvent les meilleures, non-seulement parce que la force de ce premier feu qui échauffe leur imagination s’y trouve toute entiere, mais aussi à cause qu’ayant beaucoup d’esprit & de lumiéres, ils sont capables de juger par eux-mesmes de la bonté de ce qu’ils produisent, & discerner le bien d’avec le mal. Cependant comme ils n’ont pas moins de sagesse & de prudence que de capacité, ils écoutent tous les avis qu’on leur donne, & il arrive quelquefois qu’aimant mieux déferer au jugement des autres qu’à leur propre sens, ils quittent leur opinion particuliére, & prennent le plus mauvais parti.
Et puis ne vous ay-je pas dit plusieurs fois que les maniéres de peindre sont differentes dans tous ceux qui travaillent, parce que les gousts ne sont point semblables, & que chacun croit voir les choses, & en juger mieux qu’un autre.
C’est ce qu’on a veû souvent dans des portraits de sa main [ndr : à Sébastien Bourdon] : car bien qu’il prist tous les soins possibles à faire une teste achevée, on remarquoit que plus il vouloit approcher du naturel & de la ressemblance, plus il s’éloignoit, faute de connoistre assez les principes de son art : semblable en cela à plusieurs autres Peintres, qui pour bien peindre une teste vont cherchant hors de leur sujet des moyens pour faire paroistre la ressemblance, & bien exprimer le naturel. Au lieu qu’un sçavant homme ne se sert que de la nature mesme pour en imiter tous les traits, & ne songe à mettre sur sa toile que l’image de ce qu’il voit, sans rappeler dans sa memoire les idées de quelques autres portraits pour en suivre les manieres ; ni croire que par le secours de certaines maximes, & de quelques observations qu’il aura faites sur les ouvrages d’autres Peintres, il puisse arriver à faire quelque chose plus parfait que ce que la nature, qu’il a presente, luy enseigne elle-mesme.
C’estoit souvent ce souvenir de quantité de Tableau que Bourdon avoit veûs, & qu’il vouloit imiter, qui affoiblissoit ses ouvrages. Car qu’un Peintre ait l’esprit plein de plusieurs choses qu’il aura veûës, ou mesme que son imagination luy fournisse un grand nombre de pensées, s’il n’a assez d’esprit & de jugement pour les bien ordonner, tout son ouvrage sera rempli de confusion.
Au lieu qu’un sçavant homme ne se sert que de la nature mesme pour en imiter tous les traits, & ne songe à mettre sur sa toile que l’image de ce qu’il voit, sans rappeler dans sa memoire les idées de quelques autres portraits pour en suivre les manieres ; ni croire que par le secours de certaines maximes, & de quelques observations qu’il aura faites sur les ouvrages d’autres Peintres, il puisse arriver à faire quelque chose plus parfait que ce que la nature, qu’il a presente, luy enseigne elle-mesme.
C’estoit souvent ce souvenir de quantité de Tableau que Bourdon avoit veûs, & qu’il vouloit imiter, qui affoiblissoit ses ouvrages. Car qu’un Peintre ait l’esprit plein de plusieurs choses qu’il aura veûës, ou mesme que son imagination luy fournisse un grand nombre de pensées, s’il n’a assez d’esprit & de jugement pour les bien ordonner, tout son ouvrage sera rempli de confusion.
C’estoit souvent ce souvenir de quantité de Tableau que Bourdon avoit veûs, & qu’il vouloit imiter, qui affoiblissoit ses ouvrages. Car qu’un Peintre ait l’esprit plein de plusieurs choses qu’il aura veûës, ou mesme que son imagination luy fournisse un grand nombre de pensées, s’il n’a assez d’esprit & de jugement pour les bien ordonner, tout son ouvrage sera rempli de confusion.
Car qu’un Peintre ait l’esprit plein de plusieurs choses qu’il aura veûës, ou mesme que son imagination luy fournisse un grand nombre de pensées, s’il n’a assez d’esprit & de jugement pour les bien ordonner, tout son ouvrage sera rempli de confusion.
Vous sçavez que dans toutes sortes d’ouvrages la disposition est une des principales parties, & celle où l’on reconnoist d’abord la force d’esprit, & le jugement de ceux qui en sont les Auteurs.
Je croy vous avoir déjà dit comment dans les derniers siecles on trouva le secret de conserver encore plus étenduë que dans les Medailles l’histoire des grands Hommes. Il est vray que cette representation ne se fait pas dans un si petit volume ; mais c’est par un moyen qui se répend par toute la terre de mesme que les Medailles. Vous jugez bien que j’entends parler de la Graveûre sur le cuivre dont les estampes se multiplient presque à l’infini, & que chacun peut avoir sans beaucoup de dépense.
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Un Graveur mediocre, pourveû qu’il ait quelque bonne qualité, peut estre agreable ; sur tout lors que l’ordonnance de son ouvrage est naturelle & gracieuse, parce qu’il n’y a rien qui ait plus de pouvoir sur l’esprit de l’homme que l’ordre & la grace.
Je croy, interompit Pymandre, qu’en effet un Peintre ne doit pas ignorer la Phisionomie pour bien connoistre & bien peindre les differentes inclinations des hommes.
Cela est vray, répondis-je, si celuy qui peint veut donner une parfaite expression à ses visages, bien marquer leur temperament, & representer mesme jusques aux pensées qui peuvent les occuper. Mais ce n’est pas de cette maniere sçavante que le Fevre traitoit ses ouvrages ; cette force d’expressions où l’on voit un veritable caractere des passions & du naturel des hommes ne se rencontroit pas dans tous les sujets qu’il representoit.
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Mais parce qu’il y a quatre humeurs principales qui dominent dans l’homme, & qui sont la cause de ses differentes inclinations, le Peintre doit tascher de connoistre & de remarquer celle qui a le plus de force sur chaque corps, afin que sçachant quel est son temperamment, il puisse juger des choses ausquelles il sera naturellement porté.
La premiere marque, à mon avis, & la plus generale que la nature nous en donne, est dans la couleur qu’elle répand sur tout le corps. Elle fait voir la difference qu’il y a d’un homme sanguin à un homme mélancholique ; & comme le mélange des humeurs est la cause de la diversités des inclinations, on tasche de les connoistre chacune par quelques apparences exterieures & quelques signes qu’on en voit sur le corps : de sorte que si dans une personne la couleur dominante est violette, plombée, & livide, comme elle marque une bile noire, elle signifie l’inclination d’un homme à estre colere, envieux, & sujet à d’autres actions mauvaises qui procedent pour l’ordinaire d’un tel temperament.
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Je croy, dît Pymandre, que c’est principalement dans les Portraits qu’un Peintre cherche à faire paroistre la Phisionomie, s’il est vray ce qu’on a écrit d’Apelle, qu’il estoit si habile à bien observer, & à bien peindre toutes les parties d’un visage, qu’il y avoit des personnes qui prétendoient prédire la bonne ou la mauvaise fortune en voyant seulement les Portraits de ceux qu’il avoit peints : Mais pour moy, je doute aussi-bien que vous qu’il y ait des gens non seulement assez penetrans pour connoistre ainsi les choses qui doivent arriver, & mesme qu’un Portrait soit susceptible d’une ressemblance si parfaite qu’on puisse juger ainsi de la fortune des hommes.
Si selon Platon la beauté n’est autre chose que la splendeur de la bonté, il est certain que plus un corps est beau, & plus on doit croire que l’ame qui loge dedans a de bonté & de perfection ; Et comme la beauté du corps consiste dans une juste proportion des membres, dans la couleur de la chair & dans la grace, il faut qu’un Peintre regarde suivant les sujets qu’il traite, à bien observer ces trois conditions dans les personnes qu’il veut representer, & pour éviter de faire quelques parties du corps humain qui ne soient ni belles ni avantageuses, établir plusieurs maximes.
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C’est une chose loûable dans un Tableau lors qu’on y voit toutes les regles de la Geometrie, & de la Perspective parfaitement observée ; Et ce qui doit encore davantage faire estimer cette excactitude, est le peu d’estat que quelques-uns en font. Je sçay bien, comme je croy vous l’avoir déjà dit, que la Perspective n’est pas la principale chose qu’il faille considerer dans les grands ouvrages ; Que les Peintres les plus excellens ont eû souvent pour cela beaucoup de negligence ; que cette grande regularité est plûtost le principal devoir de ceux qui font des ornemens & des morceaux d’Architecture, que ceux qui s’appliquent uniquement à l’histoire et aux figures. Cependant, si ce n’est pas un grand avantage à un Peintre de paroistre sçavant dans la Perspective, il luy est honteux de l’ignorer.
Apres m’estre arresté, je sçay bien, repris-je, que parmis ceux [ndr : les peintres] dont je viens de parler il y en a que j’aurois pu passer sous silence pour abreger mon discours, bien que je n’en aye dit que peu de chose. Mais ayant commencé à vous marquer l’établissement de l’Académie, j’ay crû devoir rapporter tous ceux qui en ont esté ; car quels qu’ils ayent pu estre, ils ont eû assez de mérite pour estre receûs dans cette assemblée, où, ainsi que dans les autres corps, on peut dire qu’ils ne sont pas tous d’une égale consideration. Il y a mesme une chose à observer ; c’est que tous ceux qui ont esté receûs dans l’Academie, y ont esté admis pour differens talens. Et bien que les Peintres qui traitent des histoires & des sujets les plus nobles, doivent estre plus estimez que ceux qui ne representent que des païsages, ou des animaux, ou des fleurs, ou des fruits, ou des choses encore moins considerables : cependant on ne laisse pas parmi ces derniers d’en rencontrer qui ont tant d’habileté & de sçavoir dans les choses dont ils se meslent que les plus habiles d’entre-eux sont souvent beaucoup plus estimez que d’autres qui travaillent à des ouvrages plus relevez. Par exemple, un excellent Païsagiste, tel que quelqu’un de ceux dont nous avons parlé ; un homme qui fait des Animaux de toutes natures, tel qu’on esté Sncidre & ses Eleves, Nicasius & Vamboule, sera plus consideré qu’un autre qui ne peint que médiocrement des figures. Le Pere Zegre, Mario di Fiori, Baudesson, auront toûjours de la reputation pour les fleurs, de mesme que Michel Ange des batailles, Labrador & de Somme pour toutes sortes de fruits : parce que dans les choses qu’ils ont faites, ils ont acquis un degré de perfection bien plus élevé que celuy où sont parvenus beaucoup de Peintres qui font des Tableaux d’Histoires, ou des Portraits.
N’est ce pas aussi, interrompit Pymandre, qu’il est bien plus facile de representer ces sortes d’objets qu’on peut dire inanimez pour la pluspart, & sans action, que des figures d’hommes où il y a mille expressions differentes de vie, d’action, & de mouvemens ?
N’en doutez pas, repartis-je, car comme il faut un genie plus élevé pour inventer & disposer de grands sujets d’Histoires, les peindre, & les rendre accomplis dans toutes leurs parties. Aussi est-il plus rare de trouver des personnes qui ayent les qualitez necessaires à s’en bien acquiter, qu’il n’est malaisé de trouver des hommes d’un esprit moins sublime qui peuvent representer des choses ordinaires.
Nous avons dit assez souvent combien un Peintre doit avoir de differentes connoissances pour arriver au point où Raphaël, si vous voulez, & le Poussin sont parvenus. Il n’est pas necessaire que je repete ce que j’ay dit en examinant leurs ouvrages ; Mais à l’égard de ceux qui n’ont qu’à bien copier la nature comme sont les derniers dont j’ay parlé, il suffit qu’ils ayent de l’amour pour leur art, de la patience & du jugement, sans quoy leur ouvrage seroit froid, sans beauté & sans choix.
Apres m’estre arresté, je sçay bien, repris-je, que parmis ceux [ndr : les peintres] dont je viens de parler il y en a que j’aurois pu passer sous silence pour abreger mon discours, bien que je n’en aye dit que peu de chose. Mais ayant commencé à vous marquer l’établissement de l’Académie, j’ay crû devoir rapporter tous ceux qui en ont esté ; car quels qu’ils ayent pu estre, ils ont eû assez de mérite pour estre receûs dans cette assemblée, où, ainsi que dans les autres corps, on peut dire qu’ils ne sont pas tous d’une égale consideration. Il y a mesme une chose à observer ; c’est que tous ceux qui ont esté receûs dans l’Academie, y ont esté admis pour differens talens. Et bien que les Peintres qui traitent des histoires & des sujets les plus nobles, doivent estre plus estimez que ceux qui ne representent que des païsages, ou des animaux, ou des fleurs, ou des fruits, ou des choses encore moins considerables : cependant on ne laisse pas parmi ces derniers d’en rencontrer qui ont tant d’habileté & de sçavoir dans les choses dont ils se meslent que les plus habiles d’entre-eux sont souvent beaucoup plus estimez que d’autres qui travaillent à des ouvrages plus relevez. Par exemple, un excellent Païsagiste, tel que quelqu’un de ceux dont nous avons parlé ; un homme qui fait des Animaux de toutes natures, tel qu’on esté Sncidre & ses Eleves, Nicasius & Vamboule, sera plus consideré qu’un autre qui ne peint que médiocrement des figures. Le Pere Zegre, Mario di Fiori, Baudesson, auront toûjours de la reputation pour les fleurs, de mesme que Michel Ange des batailles, Labrador & de Somme pour toutes sortes de fruits : parce que dans les choses qu’ils ont faites, ils ont acquis un degré de perfection bien plus élevé que celuy où sont parvenus beaucoup de Peintres qui font des Tableaux d’Histoires, ou des Portraits.
N’en doutez pas, repartis-je, car comme il faut un genie plus élevé pour inventer & disposer de grands sujets d’Histoires, les peindre, & les rendre accomplis dans toutes leurs parties. Aussi est-il plus rare de trouver des personnes qui ayent les qualitez necessaires à s’en bien acquiter, qu’il n’est malaisé de trouver des hommes d’un esprit moins sublime qui peuvent representer des choses ordinaires.
Les premiers Peintres de l’Antiquité, ont bien pu à l’égard des autres parties de la Peinture surpasser ceux des derniers siècles, parce qu’il est certain que ceux des païs chauds ont plus de feu pour imaginer ; qu’il n’y avoit en ces temps-là que les personnes qui avoient un génie propre pour les arts qui s’y adonnassent : qu’ils avoient, comme je croy vous avoir dit, plus de moyens & d’occasions d’étudier d’après les hommes & les femmes ce qu’il y a de plus beau dans la composition et la forme du corps humain, & qu’ils s’y appliquoient entierement ; au lieu que dans les derniers temps les beaux arts n’ont plus esté cultivez, pour la plus part, que par des personnes qui en font une profession pour vivre, & qui souvent n’ont nulle disposition pour cela.
Anciens (les)
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Fouquieres, repris-je, peignoit agreablement, & representoit parfaitement bien la Nature ; & quoy-que ce soit le principal devoir du Peintre de s’étudier à la bien imiter, il y en a eû neanmoins depuis luy qui ont méprisé cette étude, pour suivre certaines pratiques de peindre qui ne sont point naturelles ni dans les Païsages ni dans les figures.
Fouquieres, repris-je, peignoit agreablement, & representoit parfaitement bien la Nature ; & quoy-que ce soit le principal devoir du Peintre de s’étudier à la bien imiter, il y en a eû neanmoins depuis luy qui ont méprisé cette étude, pour suivre certaines pratiques de peindre qui ne sont point naturelles ni dans les Païsages ni dans les figures. C’est pour cela que Lubin Baugin ne peut estre mis au nombre des excellens Peintres, quoy-qu’il ait fait plusieurs grands desseins pour des Tapisseries, & qu’il fust employé en ce temps-là à quantité d’autres ouvrages pour des particuliers.
Ainsi vous pouvez sçavoir à present que pour bien juger d’un Tableau & du génie de celuy qui l’a fait, il faut regarder d’abord quelle est l’Invention de ce Tableau ; si elle est nouvelle, noble, & agréable. La Disposition du sujet vous fera connoistre si l’Ouvrier a du jugement, & s’il a de l’ordre dans ses pensées.
Non seulement je vous ay nommé les plus celebres Peintres Italiens, mais encore ceux des autres Nations qui ont travaillé avec quelque estime. Je vous ay marqué leurs differens talens & le merite de leurs ouvrages. C’est en voyant ces ouvrages que je vous ay parlé des qualitez necessaires à former un sçavant Peintre. Ainsi vous pouvez sçavoir à present que pour bien juger d’un Tableau & du génie de celuy qui l’a fait, il faut regarder d’abord quelle est l’Invention de ce Tableau ; si elle est nouvelle, noble, & agréable. La Disposition du sujet vous fera connoistre si l’Ouvrier a du jugement, & s’il a de l’ordre dans ses pensées.
Non seulement je vous ay nommé les plus celebres Peintres Italiens, mais encore ceux des autres Nations qui ont travaillé avec quelque estime. Je vous ay marqué leurs differens talens & le merite de leurs ouvrages. C’est en voyant ces ouvrages que je vous ay parlé des qualitez necessaires à former un sçavant Peintre. Ainsi vous pouvez sçavoir à present que pour bien juger d’un Tableau & du génie de celuy qui l’a fait, il faut regarder d’abord quelle est l’Invention de ce Tableau ; si elle est nouvelle, noble, & agréable. La Disposition du sujet vous fera connoistre si l’Ouvrier a du jugement, & s’il a de l’ordre dans ses pensées.
C’est dans le Dessein que le Peintre fait paroistre la force de son esprit, sa science, & le fruit de ses études. Par le dessein il donne de la proportion, de la grace, & de la majesté à ses figures ; il en marque toutes les beautez ; il exprime les differentes actions du corps, & les divers mouvemens de l’ame. Enfin le dessein est comme la base & le fondement de toutes les autres parties.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister. On doit prendre garde sur tout à ne se pas laisser surprendre par les charmes du coloris ; car la Couleur n’est pas seulement un agrément que la nature ait répandu sur les corps pour en relever la beauté & leur donner plus d’éclat, mais elle est aussi dans les ouvrages de l’art un moyen merveilleux pour les rendre agréables, & donner plus de plaisir à la veûë. [...] De sorte qu’il faut mettre de la différence entre le jugement que l’œil fait d’un Tableau, & celuy que la raison en donne. L’un se contente de l’agrément, & l’autre recherche la vérité & la vraysemblance. Et par là vous voyez que la lumiere de la raison doit conduire toutes les operations de l’esprit, comme la lumiere de l’œil les operations de la main, & qu’il est besoin d’une grande prudence & d’un grand discernement pour distribuer toutes choses selon qu’il est necessaire pour la perfection d’un ouvrage, lors qu’on veut satisfaire également les yeux & la raison. Et c’est ce discernement & cette prudence qu’il faut beaucoup estimer dans les Ouvriers & dans leurs ouvrages.
Ainsi vous pouvez sçavoir à present que pour bien juger d’un Tableau & du génie de celuy qui l’a fait, il faut regarder d’abord quelle est l’Invention de ce Tableau ; si elle est nouvelle, noble, & agréable. La Disposition du sujet vous fera connoistre si l’Ouvrier a du jugement, & s’il a de l’ordre dans ses pensées.
C’est dans le Dessein que le Peintre fait paroistre la force de son esprit, sa science, & le fruit de ses études. Par le dessein il donne de la proportion, de la grace, & de la majesté à ses figures ; il en marque toutes les beautez ; il exprime les differentes actions du corps, & les divers mouvemens de l’ame. Enfin le dessein est comme la base & le fondement de toutes les autres parties.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister. On doit prendre garde sur tout à ne se pas laisser surprendre par les charmes du coloris ; car la Couleur n’est pas seulement un agrément que la nature ait répandu sur les corps pour en relever la beauté & leur donner plus d’éclat, mais elle est aussi dans les ouvrages de l’art un moyen merveilleux pour les rendre agréables, & donner plus de plaisir à la veûë. [...] De sorte qu’il faut mettre de la différence entre le jugement que l’œil fait d’un Tableau, & celuy que la raison en donne. L’un se contente de l’agrément, & l’autre recherche la vérité & la vraysemblance. Et par là vous voyez que la lumiere de la raison doit conduire toutes les operations de l’esprit, comme la lumiere de l’œil les operations de la main, & qu’il est besoin d’une grande prudence & d’un grand discernement pour distribuer toutes choses selon qu’il est necessaire pour la perfection d’un ouvrage, lors qu’on veut satisfaire également les yeux & la raison. Et c’est ce discernement & cette prudence qu’il faut beaucoup estimer dans les Ouvriers & dans leurs ouvrages.
C’est dans le Dessein que le Peintre fait paroistre la force de son esprit, sa science, & le fruit de ses études. Par le dessein il donne de la proportion, de la grace, & de la majesté à ses figures ; il en marque toutes les beautez ; il exprime les differentes actions du corps, & les divers mouvemens de l’ame. Enfin le dessein est comme la base & le fondement de toutes les autres parties.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister. On doit prendre garde sur tout à ne se pas laisser surprendre par les charmes du coloris ; car la Couleur n’est pas seulement un agrément que la nature ait répandu sur les corps pour en relever la beauté & leur donner plus d’éclat, mais elle est aussi dans les ouvrages de l’art un moyen merveilleux pour les rendre agréables, & donner plus de plaisir à la veûë. Et de vray, comme nous voyons que les couleurs de l’arc-en-Ciel, qui ne marquent rien de particulier, ne laissent pas de faire regarder avec admiration : aussi les diverses couleurs qui brillent dans un Tableau, quoy-que privé des autres parties de la peinture, ne laissent pas de fraper les yeux, & mesme d’émouvoir l’ame, qui se laisse remuer par les sens avec lesquels elle a une si grande liaison, que d’abord elle ne pense, s’il faut ainsi dire, qu’à prendre part au plaisir qu’ils reçoivent, sans examiner les choses par la raison.
C’est pourquoy je croy vous avoir fait observer sur le sujet des tableaux du Poussin, que ce Peintre dans le coloris de ses figures s’étudioit à les representer telles qu’elles paroissent dans le naturel, lors que par la distance qui se trouve entre-elles & celuy qui les voit, l’air qui est interposé les rend plus grises, & fait que la carnation n’est pas si vive & si agréable.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister. On doit prendre garde sur tout à ne se pas laisser surprendre par les charmes du coloris ; car la Couleur n’est pas seulement un agrément que la nature ait répandu sur les corps pour en relever la beauté & leur donner plus d’éclat, mais elle est aussi dans les ouvrages de l’art un moyen merveilleux pour les rendre agréables, & donner plus de plaisir à la veûë. Et de vray, comme nous voyons que les couleurs de l’arc-en-Ciel, qui ne marquent rien de particulier, ne laissent pas de faire regarder avec admiration : aussi les diverses couleurs qui brillent dans un Tableau, quoy-que privé des autres parties de la peinture, ne laissent pas de fraper les yeux, & mesme d’émouvoir l’ame, qui se laisse remuer par les sens avec lesquels elle a une si grande liaison, que d’abord elle ne pense, s’il faut ainsi dire, qu’à prendre part au plaisir qu’ils reçoivent, sans examiner les choses par la raison.
C’est pourquoy je croy vous avoir fait observer sur le sujet des tableaux du Poussin, que ce Peintre dans le coloris de ses figures s’étudioit à les representer telles qu’elles paroissent dans le naturel, lors que par la distance qui se trouve entre-elles & celuy qui les voit, l’air qui est interposé les rend plus grises, & fait que la carnation n’est pas si vive & si agréable.
Cependant quoy-que la raison fasse voir que c’est une regle qu’on doit observer, il est vray neanmoins que les Peintres qui ne l’ont pas suivie, & qui s’en sont dispensez, tels que le Titien, Paul Veronese, & ceux de l’école du Lombardie, ont esté plus agréables que les autres dans leurs carnations, parce que l’œil ne se soucie pas toûjours que les choses soient conduites par les regles de la raison pourveû qu’elles luy plaisent. Et de mesme que les lunettes de longue veûë luy font discerner & mieux connoistre les objets éloignez, ainsi le Peintre en fortifiant ses couleurs, & les rendant plus sensibles, fait un effet semblable, & luy represente des choses plûtost belles & agréables que régulières.
Quelque beauté de coloris qu’un Peintre donne à son ouvrage, quelque amitié de couleurs qu’il observe pour le rendre aimable & plaisant à la veûë ; quelques jours & quelques lumieres qu’il y répande pour l’éclairer, de quelques ombres dont il tasche de le fortifier & d’en relever l’eclat, si tout cela n’est soustenu du dessein, il n’y a rien, pour beau & riche qu’il soit, qui puisse subsister. On doit prendre garde sur tout à ne se pas laisser surprendre par les charmes du coloris ; car la Couleur n’est pas seulement un agrément que la nature ait répandu sur les corps pour en relever la beauté & leur donner plus d’éclat, mais elle est aussi dans les ouvrages de l’art un moyen merveilleux pour les rendre agréables, & donner plus de plaisir à la veûë. [...] De sorte qu’il faut mettre de la différence entre le jugement que l’œil fait d’un Tableau, & celuy que la raison en donne. L’un se contente de l’agrément, & l’autre recherche la vérité & la vraysemblance.
C’est pourquoy je croy vous avoir fait observer sur le sujet des tableaux du Poussin, que ce Peintre dans le coloris de ses figures s’étudioit à les representer telles qu’elles paroissent dans le naturel, lors que par la distance qui se trouve entre-elles & celuy qui les voit, l’air qui est interposé les rend plus grises, & fait que la carnation n’est pas si vive & si agréable.
Cependant quoy-que la raison fasse voir que c’est une regle qu’on doit observer, il est vray neanmoins que les Peintres qui ne l’ont pas suivie, & qui s’en sont dispensez, tels que le Titien, Paul Veronese, & ceux de l’école du Lombardie, ont esté plus agréables que les autres dans leurs carnations, parce que l’œil ne se soucie pas toûjours que les choses soient conduites par les regles de la raison pourveû qu’elles luy plaisent.
Quoy-qu’un Peintre ne doive rien négliger, il doit toutefois prendre garde à ne pas tant travailler pour aquerir de l’estime par la beauté des ornemens que par l’excellence de son principal ouvrage. Et c’est de quoy Zeuxis se plaint dans Lucien, disant avec indignation que l’on loûë dans la Peinture ce qui n’est que de la fange. Apulée nomme aussi les ornemens les feuïlles de l’art, & de veritables amusemens. C’est pourquoy comme le Peintre n’en doit pas faire le capital de son travail, cela ne merite pas aussi qu’on s’attache trop à les considerer.
C’est une espece de plaisir de sçavoir les noms des Peintres, de connoistre leurs differentes manieres, & de discerner les originaux des copies : mais c’est un contentement achevé quand on peut juger de l’art & de la science de l’Ouvrier ; qu’on entre dans ses pensées, & que l’on comprend l’artifice dont il s’est servi pour tromper les yeux, & perfectionner son ouvrage.
Car de tous les Arts que l’esprit de l’homme possede, y en a-t-il un plus admirable que celuy de la Peinture, par le moyen duquel on sçait representer la nature mesme, & faire voir par le mélange des couleurs l’image de toutes les choses qui tombent sous les sens.
Car de tous les Arts que l’esprit de l’homme possede, y en a-t-il un plus admirable que celuy de la Peinture, par le moyen duquel on sçait representer la nature mesme, & faire voir par le mélange des couleurs l’image de toutes les choses qui tombent sous les sens. Que si c’est un grand avantage à l’homme de comprendre dans son esprit les images des corps animez & inanimez, combien est-ce une chose digne d’admiration d’en pouvoir tracer la ressemblance, & encore plus de se former une idée de toutes les beautez de la Nature pour en faire une plus parfaite, telle qu’estoit cette figure de Pirrha qui surpassoit toutes les plus belles femmes ?
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Car de tous les Arts que l’esprit de l’homme possede, y en a-t-il un plus admirable que celuy de la Peinture, par le moyen duquel on sçait representer la nature mesme, & faire voir par le mélange des couleurs l’image de toutes les choses qui tombent sous les sens. Que si c’est un grand avantage à l’homme de comprendre dans son esprit les images des corps animez & inanimez, combien est-ce une chose digne d’admiration d’en pouvoir tracer la ressemblance, & encore plus de se former une idée de toutes les beautez de la Nature pour en faire une plus parfaite, telle qu’estoit cette figure de Pirrha qui surpassoit toutes les plus belles femmes ? Mais comme il est rare de trouver une personne parfaitement belle, aussi est-il extrémement difficile de faire l’image d’une beauté accomplie. C’est pourquoy les plus sçavans hommes de l’antiquité, pour avoir part à la gloire d’un Art si merveilleux, non seulement ont eû une estime toute particulière pour la Peinture, mais encore ont voulu peindre eux-mesmes.
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