FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, Quatrième partie, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1685, 5 vol. , vol. IV.
Sa forme littéraire, l’entretien, lui donne une dimension didactique et pédagogique que ne possède pas le genre du traité ou de la biographie. De plus, cela permet de légitimiser la plume de l’auteur qui n’est pas un artiste mais qui a acquis son savoir auprès de Poussin et en le regardant peindre. En dressant une histoire des peintres de l’Antiquité jusqu’au XVIIe siècle – les peintres vivants ne sont pas évoqués – l’ouvrage de Félibien aborde les notions fondamentales nécessaire à la compréhension de la théorie de l’art.
Dans le septième entretien ouvrant le quatrième volume paru en 1685, Félibien retrace la vie de peintres français, italiens et flamands contemporains de Poussin parmi lesquels Jacques Callot, Rubens, Dominiquin, Guido Reni et Rembrandt, ce qui lui permet d’aborder le genre du portrait et également la technique de la gravure. Le huitième entretien est exclusivement consacré à Poussin. Il contient des transcriptions de ses lettres et rapporte certaines de ses idées concernant la peinture. Félibien décrit également de manière détaillée certaines de ses œuvres, en particulier la Manne.
Matthieu Lett et Marianne Freyssinet
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Seconde édition, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1685 - 1688, 2 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres, anciens et modernes. Seconde édition, Paris, Florentin et Pierre Delaulne, 1690, 2 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Seconde édition, Paris, Denys Mariette, 1696, 2 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Nouvelle édition augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, avec le Recueil historique de la vie et des ouvrages des plus célèbres architectes, FÉLIBIEN, Jean-François (éd.), Amsterdam, Estienne Roger, 1700, 4 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, par Mr. Félibien, Secrétaire de l'Académie des Sciences & Historiographe du Roi, Nouvelle édition revue, corrigée & augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, London, David Mortier, 1705, 4 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, par Mr. Félibien, Secrétaire de l'Académie des Sciences & Historiographe du Roi. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture, De l'Idée du Peintre parfait & des Traitez des Desseins, des Estampes, de la Connoissance des Tableaux & du Goût des Nations, Amsterdam, Estienne Roger, 1706, 4 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, avec la Vie des architectes, par Monsieur Félibien. Nouvelle édition revue, corrigée & augmentée des Conférences de l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture ; De l'Idée du Peintre parfait, des Traitez de la miniature, des Desseins, des Estamps, de la connoissance des Tableaux, & du Goût des Nations ; De la Description des Maisons de Campagne de Pline, & de celle des Invalides, FÉLIBIEN, Jean-François (éd.), Trévoux, Imprimerie de Son Altesse Sérénissime, 1725, 6 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, avec la vie des architectes; with an introductory note by Sir Anthony F. Blunt, BLUNT, Anthony (éd.), Farnborough, Gregg Press, 1967.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, Genève, Minkoff Reprint, 1972, 3 vol.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes. Entretiens I et II. Introduction, établissement du texte et notes par René Démoris, DÉMORIS, René (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1987.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes. Entretiens I et II. Introduction, établissement du texte et notes par René Démoris, DÉMORIS, René (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 2007.
MARIN, Louis, « La lecture du tableau d'après Poussin », Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 24, 1972, p. 251-266 [En ligne : www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1972_num_24_1_1013 consulté le 24/10/2016].
VAN HELSDINGEN, Hans Willem, « Body and Soul in French Art Theory of the Seventeenth Century after Descartes », Simiolus. Netherlands Quarterly for the History of Art, 11/1, 1980, p. 14-22 [En ligne : http://www.jstor.org/stable/3780510 consulté le 24/10/2016].
THUILLIER, Jacques, « Pour André Félibien », Dix-septième siècle, 138, 1983, p. 65-95.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes. Entretiens I et II. Introduction, établissement du texte et notes par René Démoris, DÉMORIS, René (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1987.
DÉMORIS, René, « Félibien. Biographie, théorie et histoire dans les "Entretiens" », dans WASCHEK, Matthias (éd.), Les vies d’artistes , Actes du colloque de Paris, Paris, Musée du Louvre Éd. - École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1996, p. 177-193.
ROSENBERG, Raphael, « André Félibien et la description de tableaux. Naissance d'un genre et professionnalisation d'un discours », Revue d’esthétique. La naissance de la théorie de l’art en France 1640-1720, 31-32, 1997, p. 149-159.
DIONNE, Ugo, « Félibien dialoguiste : les "Entretiens" sur les vies des peintres », Dix-septième siècle, 210, 2001, p. 49-74 [En ligne : www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2001-1-page-49.htm consulté le 05/01/2015].
BONFAIT, Olivier, « Félibien lecteur de Bellori : des "Vite de’ pittori moderni" aux "Entretiens sur les plus excellens peintres" », dans BONFAIT, Olivier (éd.), L’idéal classique : les échanges artistiques entre Rome et Paris au temps de Bellori, Actes du colloque de Rome, Roma - Paris, Somogy - Académie de France à Rome, 2002, p. 86-104.
FRICHEAU, Catherine, « L’entretien des arts entre eux », Nouvelle revue d’esthétique, 4, 2009, p. 49-60 [En ligne : www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2009-2-page-49.htm consulté le 05/01/2015].
STANIC, Milovan, « Aimer Rome et Paris comme Anvers et Venise ? La peinture vénitienne dans la querelle du coloris au XVIIe siècle », dans HOCHMANN, Michel (éd.), Venise et Paris, 1500 – 1700. La peinture vénitienne de la Renaissance et sa réception en France, Actes du colloques de Bordeaux et Caen, Genève, Droz, 2011, p. 177-192.
MÉROT, Alain, « "Manières" et "modes" chez André Félibien : les premières analyses du style de Nicolas Poussin », dans LE BLANC, Marianne, POUZADOUX, Claude et PRIOUX, Évelyne (éd.), L’Héroïque et le champêtre. Volume I. Les catégories stylistiques dans le discours critique sur les arts, Actes du colloque international de Paris, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014, p. 187-203.
GERMER, Stefan, Art, pouvoir, discours : la carrière intellectuelle d'André Félibien dans la France de Louis XIV, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2016.
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QUOTATIONS
Et c’est ce qui m’a donné occasion de rapporter cette Histoire plus amplement que je n’aurois fait, pour vous faire voir, que le Peintre vouant traiter son sujet d’une manière poëtique, a crû pouvoir accompagner les principaux personnages, d’autres figures qui servent à l’intelligence de l’Histoire, & qui en mesme temps, luy donnent moyen d’embellir ses tableaux, par des vestemens & des armes antiques, qu’il mesle avec les habits & les armures propres et convenables au temps, & aux personnes qu’il représente.
Callot, à leur exemple, commença à desseigner en petit. Il eut pour cela un genie si heureux, qu’il ne mit guéres à les surpasser ; aussi a-t-on vû dans la suite, comment il s’est rendu incomparable dans cette sorte de travail. Ce fut alors qu’il résolut de quitter le burin, pour s’appliquer à l’eau-forte : jugeant que c’estoit un veritable moyen de pouvoir mettre au jour, avec plus de facilité, de grandes ordonnances, & de produire beaucoup plus d’ouvrages, qui s’exécutant plus promptement qu’au burin, reçoivent aussi bien mieux l’esprit & le feu que l’Ouvrier leur inspire. […]
Aussi est-il tres-important, qu’un Graveur à l’eau-forte manie fort bien le burin, & sache comment il faut couper le cuivre, afin de réparer les manquemens qui peuvent arriver par le défaut du vernis, de l’eau-forte, ou quelque autre accident, & aussi pour retrouver & pour donner plus ou moins de force aux endroits qui peuvent en avoir besoin ; & c’est ce que Callot sçavoit faire excellemment bien.
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Il [ndr : Jacques Callot] fut le premier qui se servit du vernis dur. Car avant luy, les Graveurs à l’eau-forte n’employoient que du vernis mol. Mais pendant qu’il estoit à Florence, ayant examiné le vernis des faiseurs de luts, & observé comme il se séche & durcit promptement, il crut qu’il pourroit en faire un bon usage. En ayant essayé, il trouva qu’en effet, il estoit beaucoup plus propre pour les ouvrages qu’il faisoit, que le vernis mol, tant parce que l’aiguille & l’eschope gravent plus nettement sur cette sorte de vernis, qu’à cause qu’on est plus assûré de ne le pas gâter, lorsqu’en travaillant on appuye la main dessus : outre cela, on a l’avantage de n’y mettre l’eau forte, que quand on veut, pouvant laisser six mois & un an tout entier une planche avec le vernis dessus sans y toucher. Ce qui ne se peut faire sur le vernis mol, où l’eau-forte de mord pas, si on ne la met aussi-tost qu’on a gravé, ou peu de temps après.
On peut encore ajoûter à ces considérations, que pour ce qui regarde l’Architecture, on tire des lignes beaucoup mieux sur le vernis dur, où toutes les choses, comme j’ay dit, s’y gravent plus nettement. Il est vray, que pour le paysage qui se doit toucher d’une maniére libre & facile, il paroist plus moëlleux & moins sec, lorsqu’on se sert du vernis mol.
Il [ndr : Callot] regrava ensuite les Caprices qu’il avoit déjà faits à Florence ; un autre Caprice de Pantalons & de Comédiens, au nombre de vingt-quatre piéces, dont il avoit fait les desseins en Italie ; un autre Caprice de Bossus, qui contient vingt-une piéces ; un livre de douze piéces, représentant la Noblesse ; un autre de Gueux, de vingt-cinq pièces. C’estoit dans les temps qu’il vouloit se délasser l’esprit, & souvent à la lumiére de la lampe, qu’il travailloit à ces différentes fantaisies, choisissant des sujets extraordinaires & ridicules pour se divertir. Et comme il sçavoit que ce qui peut faire rire, se trouve toûjours dans quelque difformité & dans quelque defaut ; il jugeoit fort bien, que l’unique moyen de divertir & de donner du plaisir à ceux qui verroient ses Caprices, estoit de marquer quelque chose de defectueux & de difforme ; mais pourtant de le marquer d’une manière qui ne fût pas defectueuse. C’est aussi ce qu’il a fait si parfaitement, qu’on a donné le nom de postures de Callot, à toutes celles que l’on voit représentées.
Dans le septième tableau le Peintre [ndr : Rubens] a représenté ce mariage, d’une manière poëtique. Le Roy & la Reyne sous les figures de Jupiter & de Junon, sont peints dans le ciel, assis sur des nuages. […]
Son genie [ndr : Rubens] ne luy permettant point de reformer ce qu’il avoit produit, ainsi emporté par la rapidité de son naturel vif & impetueux, il ne pensoit pas à donner à ses figures, ny de beaux airs de teste, ny de la grace dans les contours qui se trouvent souvent alterez par sa maniére peu étudiée. On voit que la plupart de ses visages semblent estre tous formez sur une mesme idée qui ne les rend pas assez différens les uns des autres, & moins encore agreables & beaux, mais plûtost des visages ordinaires & communs, de mesme que les proportions des corps qui s’éloignent fort de celles des antiques. Les vestemens ne sont point faits avec un beau choix ; les plis n’en sont ny bien jettez, ny bien entendus, ny bien corrects. Cette grande liberté qu’il avoit à peindre, fait voir en plusieurs de ses tableaux plus de pratique de pinceau, que de correction dans les choses où la Nature doit estre exactement représentée ; non seulement dans son dessein, mais aussi dans son coloris, où les teintes des carnations paroissent souvent si fortes & si séparées les unes des autres, qu’elles semblent des taches ; & dans les reflais des lumiéres qui rendent les corps comme dipahane & transparens.
Quoy-que la représentation d’un visage ne soit, s’il faut dire, que la moindre partie de tant de choses qu’embrasse la Peinture ; il me semble pourtant que celuy qui réüssit le mieux à exprimer sur une toile la ressemblance des hommes, entre bien avant dans ce qui regarde la science de son Art.
Il est vray, repartis-je, que si l’on s’attache à cette quantité de connoissances qu’ont euës Raphaël & Jules Romain, on pourra dire que l’ouvrage d’une teste n’en est que la moindre partie. Mais si l’on veut bien se renfermer dans la considération particulière des choses necessaires à bien faire un portrait, on verra pourtant que pour y reüssir comme a fait Vandéik, il y a bien des observations à faire, & des connoissances à acquérir.
Le visage de l’homme est composé de tant de parties différentes les unes des autres, qu’il n’est pas aisé qu’on pourroit croire, de bien faire un portrait. Ces parties, quoy-que petites chacunes à part, ne laissent pas d’estre difficiles à bien desseigner. L’œil qui tient si peu d’espace dans le visage est si mal-aisé à bien représenter, que le Guide disoit autrefois à un de ses amis, qu’encore qu’il en eût desseigné des millions, il estoit neammoins obligé d’avouër qu’il ne sçavoit pas encore les faire parfaitement. […]
Jugez donc, je vous prie, si un Peintre qui veut bien faire un portrait, n’est pas obligé, non seulement de sçavoir desseigner fort correctement ; mais de placer avec justesse toutes les parties d’une teste, les unes auprés des autres ; d’observer mille différences de contours dans leur forme, dans leurs couleurs, dans les ombres & dans les jours : & cependant, si bien joindre toutes ces diverses parties les unes avec les autres, qu’il semble que ce ne soit qu’une seule masse & une mesme couleur ; & que ce que ce mesme Peintre représente avec une infinité de teintes différentes, & plusieurs coups de pinceau, paroisse une seule couleur, & comme si l’ouvrage estoit, s’il faut ainsi dire, souflé & fait tout d’un coup & toutes les couleurs fondües ensemble. C’est alors, je vous avouë, que l’on connoist la difficulté du travail, & l’esprit du Peintre. Aussi vous pouvez observer, que toute l’intelligence d’un habile homme qui fait un portrait, consiste à la travailler également par tout en mesme temps, afin que toutes les parties naissent sous sa main s’il faut ainsi dire, toutes à la fois, imitant en cela la nature, qui lorsqu’elle a donné la premiére forme au corps de l’homme, travaille également dans tous les membres, jusques à ce qu’elle ait perfectionné son ouvrage.
Si l’on veut ajoûter à ce que je viens de dire, l’art avec lequel un sçavant Peintre conduit & répand les lumiéres & les ombres sur un portrait ; l’affoiblissement qu’il fait des unes & des autres, pour arondir & donner du relief à toutes les parties ; les reflais plus foibles ou plus forts qu’il observe, pour leur donner plus de force ou plus de grace ; l’esprit & la vie qu’il inspire sur ce visage qu’il peint ; les inclinations & les affections de l’ame qu’il y fait voir ; l’action & les mouvemens necessaires pour l’expression des passions les plus fortes : si, dis-je, l’on considére sérieusement, & avec attention tant de choses si differentes ; que peut on dire d’un homme qui les sçait si parfaitement, que sur la surface d’une toile il représente des visages qui paroissent animez ? C’est ce qu’a fait Vandéik ; & ce luy est une grande gloire, d’avoir fait que tant de grands hommes, morts il y a si long-temps, soient encore comme vivans dans leurs portraits ; & de s’estre immortalisé luy-mesme par ses ouvrages.
D’où vient qu’un Peintre médiocre réussit quelquefois mieux à faire ressembler, qu’un tres-sçavant homme ?
Cela peut arriver, repartis-je, lorsque les habiles Peintres negligent la ressemblance, pour ne travailler qu’à faire une belle teste. Mais prenez garde, que ce qui paroist ressemblant dans ces portraits médiocres, n’est rien moins que cela. Je croy vous avoir dit, qu’Annibal Carache faisoit avec deux coups de crayon, des portraits qu’on nomme chargez ; c’est-à-dire qu’il marquoit si fort les principales parties d’un visage, que d’abord elles frappoient les yeux : mais il faisoit cela avec beaucoup de science. Or du moment que par quelque signe il se forme dans nostre esprit une image, qui a du rapport à une chose que nous connoissons, nous croyons aussi-tost y trouver une grande ressemblance, quoy-qu’à la bien examiner, il n’y en a souvent qu’une legere idée.
D’où vient qu’un Peintre médiocre réussit quelquefois mieux à faire ressembler, qu’un tres-sçavant homme ?
Cela peut arriver, repartis-je, lorsque les habiles Peintres negligent la ressemblance, pour ne travailler qu’à faire une belle teste. Mais prenez garde, que ce qui paroist ressemblant dans ces portraits médiocres, n’est rien moins que cela. Je croy vous avoir dit, qu’Annibal Carache faisoit avec deux coups de crayon, des portraits qu’on nomme chargez ; c’est-à-dire qu’il marquoit si fort les principales parties d’un visage, que d’abord elles frappoient les yeux : mais il faisoit cela avec beaucoup de science. Or du moment que par quelque signe il se forme dans nostre esprit une image, qui a du rapport à une chose que nous connoissons, nous croyons aussi-tost y trouver une grande ressemblance, quoy-qu’à la bien examiner, il n’y en a souvent qu’une legere idée.
Je conviens avec vous, qu’il y a d’assez mauvais portraits qui d’abord ont quelque marque assez forte de la personne qu’on a voulu peindre, & par là plaisent davantage aux ignorans, que certains autres portraits beaucoup mieux peints. Mais il faut considérer que si ces derniers manquent dans la ressemblance, c’est qu’ils n’ont pas esté faits par des gens assez entendus dans ce genre de peindre, lesquels ont pris des veuës, ou des dispositions de lumières & d’ombres, qui mesme vous feroient méconnoistre l’original, si vous le voyiez dans le mesme endroit où il estoit lorsqu’on l’a peint. Aussi quand un sçavant Peintre veut faire un portrait que tout le monde connoisse aisément, il doit d’abord bien étudier le visage qu’il veut peindre ; le considérer de tous les costez ; voir quel est son air ordinaire : car il y a des visages qui changent à tous momens, & qui dans le repos sont si différens de ce qu’ils sont dans l’action, qu’ils deviennent méconnoissables. […] Outre cela, il y a des visages qui sont plus avantageux à peindre de front, d’autres à estre veus de trois quarts, ou de costé. Les uns demandent beaucoup de lumiéres, d’autres font plus d’effet quand il y a des ombres. C’est donc ce qu’un habile Peintre doit observer ; & comme ces habiles sont rares, aussi se voit-il peu de portraits aussi beaux qu’on les souhaite.
C’estoit [ndr : Rembrandt] un peintre assez universel, & qui a fait quantité de portraits. Tous ses tableaux sont peints d’une manière tres-particuliére, & bien differente de celle qui paroist si lechée, dans laquelle tombent d’ordinaire les Peintres Flamans.
École flamande
REMBRANDT (Rembrandt Harmensz van Rijn)
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[...] Il [ndr : Rembrandt] a si bien placé les teintes & les demi-teintes les unes auprés des autres, & si bien entendu les lumieres & les ombres, que ce qu’il a peint, d’une maniere grossiere, & qui mesme ne semble souvent qu’ébauché, ne laisse pas de réüssir, lors, comme je vous ay dit, qu’on n’en est pas trop prés. Car par l’éloignement, les coups de pinceau fortement donnez, & cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuënt à la veüë, & se noyant & meslant ensemble, font l’effet qu’on souhaite. La distance qu’on demande pour bien voir un tableau, n’est pas seulement afin que les yeux ayent plus d’espace & plus de commodité pour embrasser les objets et pour les mieux voir ensemble : c’est encore afin qu’il se trouve davantage d’air entre l’œil & l’objet.
Vous voulez dire, interrompit Pymandre, que par le moyen d’une plus grande densité d’air, toutes les couleurs d’un tableau paroissent noyées & comme fonduës, s’il faut me servir de vos termes, les unes avec les autres.
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Il [ndr : Rembrandt] a si bien placé les teintes & les demi-teintes les unes auprés des autres, & si bien entendu les lumieres & les ombres, que ce qu’il a peint, d’une maniere grossiere, & qui mesme ne semble souvent qu’ébauché, ne laisse pas de réüssir, lors, comme je vous ay dit, qu’on n’en est pas trop prés. Car par l’éloignement, les coups de pinceau fortement donnez, & cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuënt à la veüë, & se noyant & meslant ensemble, font l’effet qu’on souhaite. La distance qu’on demande pour bien voir un tableau, n’est pas seulement afin que les yeux ayent plus d’espace & plus de commodité pour embrasser les objets et pour les mieux voir ensemble : c’est encore afin qu’il se trouve davantage d’air entre l’œil & l’objet.
Vous voulez dire, interrompit Pymandre, que par le moyen d’une plus grande densité d’air, toutes les couleurs d’un tableau paroissent noyées & comme fonduës, s’il faut me servir de vos termes, les unes avec les autres.
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[...] Il [ndr : Rembrandt] a si bien placé les teintes & les demi-teintes les unes auprés des autres, & si bien entendu les lumieres & les ombres, que ce qu’il a peint, d’une maniere grossiere, & qui mesme ne semble souvent qu’ébauché, ne laisse pas de réüssir, lors, comme je vous ay dit, qu’on n’en est pas trop prés.
[...] Il [ndr : Rembrandt] a si bien placé les teintes & les demi-teintes les unes auprés des autres, & si bien entendu les lumieres & les ombres, que ce qu’il a peint, d’une maniere grossiere, & qui mesme ne semble souvent qu’ébauché, ne laisse pas de réüssir, lors, comme je vous ay dit, qu’on n’en est pas trop prés. Car par l’éloignement, les coups de pinceau fortement donnez, & cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuënt à la veüë, & se noyant & meslant ensemble, font l’effet qu’on souhaite. La distance qu’on demande pour bien voir un tableau, n’est pas seulement afin que les yeux ayent plus d’espace & plus de commodité pour embrasser les objets et pour les mieux voir ensemble : c’est encore afin qu’il se trouve davantage d’air entre l’œil & l’objet.
Vous voulez dire, interrompit Pymandre, que par le moyen d’une plus grande densité d’air, toutes les couleurs d’un tableau paroissent noyées & comme fonduës, s’il faut me servir de vos termes, les unes avec les autres.
C’est répondis-je, que quelque soin qu’on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties estant composées d’une infinité de differentes teintes, qui demeurent toûjours en quelque façon distinctes & separées, ces teintes n’ont garde d’estre meslées ensemble, de la mesme sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vray que quand un tableau est peint dans la derniere perfection, il peut estre consideré dans une moindre distance ; & il a cet avantage de paroistre avec plus de force & de rondeur, comme sont ceux du Corége. C’est pourquoi je vous ay fait remarquer que la grande union & le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force & de vérité ; & qu’aussi plus ou moins de distance contribuë infiniment à cette union.
Je vous diray encore, que c’est par la mesme raison de cette grande union de couleurs, que les excellens tableaux peints à huile, & qui sont faits il y a long-temps, paroissent avec plus de force & de beauté, parce que toutes les couleurs dont ils ont esté peints, ont eu plus de loisir de se mesler & se noyer ou fondre les unes avec les autres, à mesure que ce qu’il y avoit de plus aqueux & de plus humide dans l’huile, s’est seché. C’est ce qui fait que l’on couvre les tableaux avec un vernis qui émousse cette pointe brillante & cette vivacité, qui quelquefois éclate trop & inégalement dans des ouvrages fraîchement faits ; & ce vernis leur donne & plus de force & plus de douceur.
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C’est répondis-je, que quelque soin qu’on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties estant composées d’une infinité de differentes teintes, qui demeurent toûjours en quelque façon distinctes & separées, ces teintes n’ont garde d’estre meslées ensemble, de la mesme sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vray que quand un tableau est peint dans la derniere perfection, il peut estre consideré dans une moindre distance ; & il a cet avantage de paroistre avec plus de force & de rondeur, comme sont ceux du Corége. C’est pourquoi je vous ay fait remarquer que la grande union & le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force & de vérité ; & qu’aussi plus ou moins de distance contribuë infiniment à cette union.
Je vous diray encore, que c’est par la mesme raison de cette grande union de couleurs, que les excellens tableaux peints à huile, & qui sont faits il y a long-temps, paroissent avec plus de force & de beauté, parce que toutes les couleurs dont ils ont esté peints, ont eu plus de loisir de se mesler & se noyer ou fondre les unes avec les autres, à mesure que ce qu’il y avoit de plus aqueux & de plus humide dans l’huile, s’est seché.
C’est répondis-je, que quelque soin qu’on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties estant composées d’une infinité de differentes teintes, qui demeurent toûjours en quelque façon distinctes & separées, ces teintes n’ont garde d’estre meslées ensemble, de la mesme sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vray que quand un tableau est peint dans la derniere perfection, il peut estre consideré dans une moindre distance ; & il a cet avantage de paroistre avec plus de force & de rondeur, comme sont ceux du Corége. C’est pourquoi je vous ay fait remarquer que la grande union & le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force & de vérité ; & qu’aussi plus ou moins de distance contribuë infiniment à cette union.
Je vous diray encore, que c’est par la mesme raison de cette grande union de couleurs, que les excellens tableaux peints à huile, & qui sont faits il y a long-temps, paroissent avec plus de force & de beauté, parce que toutes les couleurs dont ils ont esté peints, ont eu plus de loisir de se mesler & se noyer ou fondre les unes avec les autres, à mesure que ce qu’il y avoit de plus aqueux & de plus humide dans l’huile, s’est seché. C’est ce qui fait que l’on couvre les tableaux avec un vernis qui émousse cette pointe brillante & cette vivacité, qui quelquefois éclate trop & inégalement dans des ouvrages fraîchement faits ; & ce vernis leur donne & plus de force & plus de douceur.
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C’est répondis-je, que quelque soin qu’on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties estant composées d’une infinité de differentes teintes, qui demeurent toûjours en quelque façon distinctes & separées, ces teintes n’ont garde d’estre meslées ensemble, de la mesme sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vray que quand un tableau est peint dans la derniere perfection, il peut estre consideré dans une moindre distance ; & il a cet avantage de paroistre avec plus de force & de rondeur, comme sont ceux du Corége. C’est pourquoi je vous ay fait remarquer que la grande union & le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force & de vérité ; & qu’aussi plus ou moins de distance contribuë infiniment à cette union.
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Je vous diray encore, que c’est par la mesme raison de cette grande union de couleurs, que les excellens tableaux peints à huile, & qui sont faits il y a long-temps, paroissent avec plus de force & de beauté, parce que toutes les couleurs dont ils ont esté peints, ont eu plus de loisir de se mesler & se noyer ou fondre les unes avec les autres, à mesure que ce qu’il y avoit de plus aqueux & de plus humide dans l’huile, s’est seché. C’est ce qui fait que l’on couvre les tableaux avec un vernis qui émousse cette pointe brillante & cette vivacité, qui quelquefois éclate trop & inégalement dans des ouvrages fraîchement faits ; & ce vernis leur donne & plus de force & plus de douceur.
Comme les peintures en miniatures ou en pastel, ont toûjours plus de sécheresse que celles à huile, on met ordinairement un talc ou une glace de crystal, afin d’en attendrir toutes les parties, & les voir mieux meslées ensemble. Vous pouvez remarquer, qu’un petit portrait en émail n’a pas besoin de ce secours, parce que les couleurs dont il est travaillé, estant parfondües au feu, comme disent les ouvriers, elles acquiérent cette parfaite union & ce grand poliment que l’on tasche de donner aux autres peintures, soit par le travail, soit par le maniement du pinceau, soit par les vernis, ou par le secours du talc & du verre, & encore en s’aidant de l’air qu’on interpose entre l’œil & l’objet, par le moyen des differentes distances.
Or l’on se sert de tous ces moyens [ndr : l’union des couleurs et le poliment], pour donner aux choses peintes, le relief & la rondeur qui leur est nécessaire pour paroître plus ressemblantes à ce qu’on imite. Je sçay bien que c’est une chose qui n’est pas moins difficile dans cette partie de la Peinture qui regarde le coloris, que celles des proportions dans ce qui regarde le dessein.