MÊLER (v.)
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[…] je considerois avec un soin tout particulier, comment il [ndr : Poussin] mesloit les couleurs ensemble pour donner cette diminution de teintes necessaire à arondir les corps, à faire paroistre les jours & les ombres, & à produire ces divers degrez d’éloignement qui font fuïr ou avancer toutes les parties d’un Tableau, ce qu’il a sceu executer avec tant d’art & de beauté.
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Ainsi pour loüer les tableaux, qui n'estant que peu travaillez font parfaitement leur effet dans leur distance; ce n'est pas à dire qu'on doive blasmer les Peintres qui ont fini de grands tableaux, comme s'ils devoient estre veus de prés, on peut ignorer les raisons qu'ils ont euës d'en user de la sorte : Pourveu que le Peintre ait la discretion de ne point salir les couleurs à force de les méler ensemble, ou pour parler comme parlent les Peintres, de les tourmenter, & que le Tableau conserve de loin beaucoup de force & de fraischeur, on ne doit luy rien reprocher. La seconde raison est, que pour bien finir il faut lier plusieurs teintes de couleurs différentes, en les peignant & les mêlant ensemble, & que ce mélange diminuë beaucoup de la vivacité & de l'éclat des couleurs, principalement quand le tableau est un peu éloigné, en sorte que ce qui semble de prés estre frais & terminé, se ternit dans une distance raisonnable. La démonstration en est facile à faire. Prenez les couleurs les plus belles, comme un beau rouge, un beau jaune, un beau bleu, un beau verd, & les mettez separément les unes auprès des autres, il est certain qu'elles conserveront leur éclat & leur force en particulier & toutes ensemble : que si vous les mélez vous n'en ferez qu'une couleur de terre. C'est ce qui a fait que Rubens s'est dispensé autant qu'il a pu de noyer ses couleurs, & comme on dit ordinairement, de les tourmenter, se contentant de les mettre en leur place & de ne les méler qu'à proportion de la distance du Tableau, car c'est d'elle de qui il attendoit en cela un fort grand service.
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Dans l’art de traiter les couleurs, & dans le meslange que l’on fait des unes avec les autres, il se rencontre beaucoup de choses à considerer. Car il y a le meslange des couleurs qui se fait sur la palette avec le couteau lors que l’on compose les principales teintes dont on croit avoir besoin : Et le meslange qui se fait avec le pinceau sur la palette ou sur le Tableau mesme pour joindre ensemble toutes les couleurs & pour les noyer les unes avec les autres. De tous ces differents meslanges de couleurs s’engendre cette multitude de differentes teintes qui se rencontrent dans les tableaux, sans lesquelles le Peintre ne peut bien imiter, ny les carnations, ny les draperies, ny generallement toutes les autres choses qu’il veut representer. Et comme il doit faire le meslange de ses teintes sur sa palette ou sur son tableau selon les couleurs qui luy paroissent dans le naturel, il faut qu’il soit extraordinairement soigneux d’observer dans la Nature de quelle maniere elles y paroissent : c’est à dire qu’il doit, en considerant les corps des hommes, regarder de quelle façon ils sont colorez ; quelles parties sont plus vives, & quelles parties sont plus claires ; celles qui sont plus rouges & celles qui ont une apparence un peu bluastre, comme sont d’ordinaire les chairs plus délicates ; & prendre bien garde comment toutes ces differentes couleurs s’unissent & se meslent si bien ensemble, qu’il semble qu’une infinité de diverses teintes ne fassent qu’une seule couleur.
Quand un Peintre sçait mesler ses couleurs, les lier & noyer tendrement, on appelle cela bien peindre ; C’est la partie qu’avoit le Corege, comme je vous ay dit assez de fois, & ce beau meslange de couleurs non seulement se doit faire dans les superficies égales en clarté, mais encore dans la jonction ou nouëment des parties claires avec les brunes.
Ce nouëment, interrompit Pymandre, & ce meslange de couleurs qui se fait avec tendresse, est-ce point ce que Pline appelle commissura & transitus colorum ? Et ce qu’Ovide entend lors qu’il parle des couleurs de l’arc-en-ciel, quand il dit :
In quo diversiniteant cum mille colores,
Transitus ipse tamen spectantia lumina fallit,
Usque adeo quod tangit idem & tamen ultima distant. {Ovid. 6. Meth. v. 65.}
Je ne croy pas qu’on puisse mieux exprimer le passage presqu’insensible qui se fait d’une couleur à une autre. Il me souvient que Philostrate traitant de l’education d’Achilles, observe que ce qui paroissoit de plus merveilleux dans la representation de Chiron peint en Centaure, estoit l’assemblage de la Nature humaine avec celle du cheval, que le Peintre avoit si adroitement jointes ensemble, qu’on ne pouvoit connoistre la separation de l’une d’avec l’autre, ny s’apercevoir où elle commençoit, & où elle finissoit.
Les plus beaux exemples qu’un en voye dans la peinture, repartis-je sont dans la Gallerie de Farnese, où les Caraches ont representé Persée qui change des hommes en pierres : Et dans le Cabinet du Roy, où le Guide a peint le Cantaure Nesse qui enleve Dejanire.
CARRACCI, Annibale, Persée et Phinéas, v. 1597 - 1602, fresque, 220 x 480, Roma, Palazzo Farnese.
RENI, Guido, Déjanire enlevée par le centaure Nessus, 1617 - 1621, huile sur toile, 239 x 193, Paris, Musée du Louvre, Inv. 537.
CARRACCI, Annibale
IL CORREGGIO (Antonio Allegri)
OVIDIUS
PHILOSTRATOS
PLINIUS, L'Ancien
RENI, Guido
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[...] Il [ndr : Rembrandt] a si bien placé les teintes & les demi-teintes les unes auprés des autres, & si bien entendu les lumieres & les ombres, que ce qu’il a peint, d’une maniere grossiere, & qui mesme ne semble souvent qu’ébauché, ne laisse pas de réüssir, lors, comme je vous ay dit, qu’on n’en est pas trop prés. Car par l’éloignement, les coups de pinceau fortement donnez, & cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuënt à la veüë, & se noyant & meslant ensemble, font l’effet qu’on souhaite. La distance qu’on demande pour bien voir un tableau, n’est pas seulement afin que les yeux ayent plus d’espace & plus de commodité pour embrasser les objets et pour les mieux voir ensemble : c’est encore afin qu’il se trouve davantage d’air entre l’œil & l’objet.
Vous voulez dire, interrompit Pymandre, que par le moyen d’une plus grande densité d’air, toutes les couleurs d’un tableau paroissent noyées & comme fonduës, s’il faut me servir de vos termes, les unes avec les autres.
C’est répondis-je, que quelque soin qu’on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties estant composées d’une infinité de differentes teintes, qui demeurent toûjours en quelque façon distinctes & separées, ces teintes n’ont garde d’estre meslées ensemble, de la mesme sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vray que quand un tableau est peint dans la derniere perfection, il peut estre consideré dans une moindre distance ; & il a cet avantage de paroistre avec plus de force & de rondeur, comme sont ceux du Corége. C’est pourquoi je vous ay fait remarquer que la grande union & le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force & de vérité ; & qu’aussi plus ou moins de distance contribuë infiniment à cette union.
Je vous diray encore, que c’est par la mesme raison de cette grande union de couleurs, que les excellens tableaux peints à huile, & qui sont faits il y a long-temps, paroissent avec plus de force & de beauté, parce que toutes les couleurs dont ils ont esté peints, ont eu plus de loisir de se mesler & se noyer ou fondre les unes avec les autres, à mesure que ce qu’il y avoit de plus aqueux & de plus humide dans l’huile, s’est seché. C’est ce qui fait que l’on couvre les tableaux avec un vernis qui émousse cette pointe brillante & cette vivacité, qui quelquefois éclate trop & inégalement dans des ouvrages fraîchement faits ; & ce vernis leur donne & plus de force & plus de douceur.
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LXXIX.
Mais le plus important est d’adoucir son Ouvrage, de mesler ses teintes les unes dans les autres, aussi bien que la barbe & les cheveux, qui sont sur le front avec les autres Cheveux, & la Carnation, prenant garde sur tout de ne pas faire sec, & dur, & que les Traits & Contours des Carnations ne soient pas coupez.
Il faut aussi s’accoûtumer à ne mettre du Blanc dans vos Couleurs qu’à proportion que vous faites Clair ou Brun ; car il faut que la Couleur dont on travaille la seconde fois, soit toûjours un peu plus forte que la premiere, à moins que ce ne soit pour adoucir.
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MESLER, MESLANGE. On mêle les couleurs : on fait des mélanges de couleurs ; d’agréables mélanges ; de mauvais mélanges. Une seule couleur est souvent le composé de plusieurs mélanges : Une seule couleur est souvent le composé de plusieurs mélanges : en mêlant les couleurs, il faut prendre garde de les trop tourmenter.