PORTRAIT CHARGÉ (expr.)
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Parmy les choses les plus serieuses de son art, il [ndr : Annibal Carrache] mesloit aussi quelquefois le plaisant & le burlesque, ayant mesme pour cela une inclination particulière. Car non seulement il avoit l’esprit vif & prompt à dire de bons mots, & à faire des contes agreables ; mais il avoit aussi l’imagination prompte, & une facilité tres-grande à representer de ces choses bizares & extraordinaires qui ont donné le commencement à ces portraits burlesques ou chargez. Car c’est ainsi que les Peintres apellent certains visages & certaines figures, dont le dessein est alteré par l’augmentation des deffauts naturels de ceux qu’on veut representer : Ce qu’Annibal faisoit dans une ressemblance si ridicule qu’on ne peut s’empescher de rire lors qu’on en voit quelques-uns. Comme la peinture a raport à la Poësie, on peut mettre cette sorte d’imitation soubs un genre semblable à celuy des vers burlesques.
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Quoy-que la représentation d’un visage ne soit, s’il faut dire, que la moindre partie de tant de choses qu’embrasse la Peinture ; il me semble pourtant que celuy qui réüssit le mieux à exprimer sur une toile la ressemblance des hommes, entre bien avant dans ce qui regarde la science de son Art.
Il est vray, repartis-je, que si l’on s’attache à cette quantité de connoissances qu’ont euës Raphaël & Jules Romain, on pourra dire que l’ouvrage d’une teste n’en est que la moindre partie. Mais si l’on veut bien se renfermer dans la considération particulière des choses necessaires à bien faire un portrait, on verra pourtant que pour y reüssir comme a fait Vandéik, il y a bien des observations à faire, & des connoissances à acquérir.
Le visage de l’homme est composé de tant de parties différentes les unes des autres, qu’il n’est pas aisé qu’on pourroit croire, de bien faire un portrait. Ces parties, quoy-que petites chacunes à part, ne laissent pas d’estre difficiles à bien desseigner. L’œil qui tient si peu d’espace dans le visage est si mal-aisé à bien représenter, que le Guide disoit autrefois à un de ses amis, qu’encore qu’il en eût desseigné des millions, il estoit neammoins obligé d’avouër qu’il ne sçavoit pas encore les faire parfaitement. […]
Jugez donc, je vous prie, si un Peintre qui veut bien faire un portrait, n’est pas obligé, non seulement de sçavoir desseigner fort correctement ; mais de placer avec justesse toutes les parties d’une teste, les unes auprés des autres ; d’observer mille différences de contours dans leur forme, dans leurs couleurs, dans les ombres & dans les jours : & cependant, si bien joindre toutes ces diverses parties les unes avec les autres, qu’il semble que ce ne soit qu’une seule masse & une mesme couleur ; & que ce que ce mesme Peintre représente avec une infinité de teintes différentes, & plusieurs coups de pinceau, paroisse une seule couleur, & comme si l’ouvrage estoit, s’il faut ainsi dire, souflé & fait tout d’un coup & toutes les couleurs fondües ensemble. C’est alors, je vous avouë, que l’on connoist la difficulté du travail, & l’esprit du Peintre. Aussi vous pouvez observer, que toute l’intelligence d’un habile homme qui fait un portrait, consiste à la travailler également par tout en mesme temps, afin que toutes les parties naissent sous sa main s’il faut ainsi dire, toutes à la fois, imitant en cela la nature, qui lorsqu’elle a donné la premiére forme au corps de l’homme, travaille également dans tous les membres, jusques à ce qu’elle ait perfectionné son ouvrage.
Si l’on veut ajoûter à ce que je viens de dire, l’art avec lequel un sçavant Peintre conduit & répand les lumiéres & les ombres sur un portrait ; l’affoiblissement qu’il fait des unes & des autres, pour arondir & donner du relief à toutes les parties ; les reflais plus foibles ou plus forts qu’il observe, pour leur donner plus de force ou plus de grace ; l’esprit & la vie qu’il inspire sur ce visage qu’il peint ; les inclinations & les affections de l’ame qu’il y fait voir ; l’action & les mouvemens necessaires pour l’expression des passions les plus fortes : si, dis-je, l’on considére sérieusement, & avec attention tant de choses si differentes ; que peut on dire d’un homme qui les sçait si parfaitement, que sur la surface d’une toile il représente des visages qui paroissent animez ? C’est ce qu’a fait Vandéik ; & ce luy est une grande gloire, d’avoir fait que tant de grands hommes, morts il y a si long-temps, soient encore comme vivans dans leurs portraits ; & de s’estre immortalisé luy-mesme par ses ouvrages.