BAILLET DE SAINT-JULIEN, Louis-Guillaume, Lettres sur la peinture à un amateur, Genève, s.n., 1750.
Au début de la première lettre, Baillet déclare abandonner l’ordre de l’exposition pour ne plus suivre que celui de sa mémoire. Il précise également le plan de l’ouvrage. Celui-ci comporte deux parties, la première étant consacrée aux meilleurs tableaux et la seconde, aux « médiocres ». L’auteur déclare ainsi exclure les tableaux qui sont « absolument mauvais » : « ce qui est indigne d’attention et n’est pas digne de la critique » (p. 5).
Nathalie Manceau constate qu’à partir de 1753, Baillet de Saint-Julien s’éloigne progressivement de la critique de salon et de l’évaluation des œuvres particulières pour donner à son propos un tour critique et théorique plus général. Ainsi, dans l’Ode de Milord Telliab, il s’attache à dégager les talents particuliers des artistes exposant au salon. Dans la Lettre à M. Ch. [Chardin] sur les caractères de la peinture, il développe une réflexion sur l’état de la peinture, où il ne cite plus aucun nom (voir Manceau, p. 353). Enfin, dans la La peinture – poème, il traite de l’histoire et des principes de la peinture (Manceau p. 357). À nos yeux, cet intérêt théorique émerge déjà dans la brochure de 1750. Le vocabulaire en témoigne. En effet, les définitions, rares dans les Réflexions augmentent dans les Lettres.
Mathilde Bert
- [1ere lettre, commence sous le titre « Lettres sur la peinture à M. *** »], p. 3-15
- II. Lettre sur la peinture, p. 16-32
- III. Lettre sur le même sujet, p. 33-42
- Addition, p. 43-4
BAILLET DE SAINT-JULIEN, Louis-Guillaume, Réflexions sur quelques circonstances présentes contenant deux lettres sur l’exposition des tableaux au Louvre cette année 1748, Lettre sur la peinture, la sculpture et l’architecture, Lettres sur la peinture à un amateur, Lettre à Mr. Ch. (Chardin) sur les caractères en peinture, La peinture : poème suivi des caractères des peintres actuellement vivants, Genève, Minkoff Reprint, 1972.
ZMIJEWSKA, Hélène, « La critique des Salons en France avant Diderot », Gazette des Beaux-Arts, LXXVI, 1970, p. 1-144.
MANCEAU, Nathalie, « De la critique d’art à la collection : Baillet de Saint-Julien ou le parcours d’un amateur », Diderot Studies, 2009, p. 345-367 [En ligne : http://www.jstor.org/stable/23390538 consulté le 15/02/2018].
MANCEAU, Nathalie, « Baillet de Saint-Julien, la théorie d'une peinture pour un spectateur exigeant », dans MICHEL, Christian et MAGNUSSON, Carl (éd.), Penser l’art dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, Actes du colloque de Lausanne, Paris, Somogy, 2013, p. 221-234.
MANCEAU, Nathalie, Guillaume Baillet de Saint-Julien, 1726-1795 : un amateur d’art au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2014.
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QUOTATIONS
[…] j’examinerai les médiocres [ndr : tableaux] ; & je le ferai avec tous les égards & le ménagement possibles. Nous devons toujours une sorte d’attention à leurs Auteurs, malgré la subordination de leurs talens. Il seroit trop injuste de la leur refuser, surtout dans le tems où elle leur est le plus nécessaire. Il y a un commencement & une fin à tout. Ceux qui atteignent l’une ont nécessairement passé par l’autre. Il ne faut que du tems & des conseils pour y parvenir. Nous ne devons point les leur épargner ; c’est à nous d’abreger la carriere des Arts, d’en applanir les difficultés autant qu’il est possible ; & d’encourager par nos applaudissemens ceux qui y courent, &c. Je ne dirai rien des Tableaux qui seront absolument mauvais, parce que ce qui est indigne d’attention n’est pas digne de la critique.
Ce tableau [ndr : Le Triomphe de Bacchus de Nattoire] est savant & des mieux ordonnés ; les figures y sont multipliées, mais sans confusion.
[...] Je n’ai pas besoin de vous vanter le dessin de M. Nattoire, vous savez trop bien sa supériorité sur cet article ; mais je suis fâché qu’il ne soit pas aussi louable dans son coloris, toujours plombé et livide ; & qui dépare entierement les plus beaux ouvrages.
M. Boucher s’est distingué cette année, à son ordinaire, dans plusieurs genres. On voit de lui un Tableau de Dévotion, quatre Sujets galands ; & deux Paysages.
Tout est remarquable dans cet ouvrage [ndr : la Nativité de Boucher] : l’air fin & séduisant de la plûpart des figures, l’élégante naiveté de leurs attitudes, & la singuliere variété de leurs caracteres. Sa couleur semble le disputer à son dessin, & acheve d’en faire un tout parfait, par l’union admirable & l’entente qu’on y remarque.
Tout est remarquable dans cet ouvrage [ndr : la Nativité de Boucher] : l’air fin & séduisant de la plûpart des figures, l’élégante naiveté de leurs attitudes, & la singuliere variété de leurs caracteres. Sa couleur semble le disputer à son dessin, & acheve d’en faire un tout parfait, par l’union admirable & l’entente qu’on y remarque.
[...] M. Boucher n’en est pas moins admirable dans ses Pastorales : On ne sauroit y mettre plus d’esprit & de goût ; & de ce charme qui lui est tout particulier. Quelqu’un voudra peut-être objecter que ce n’est pas ici la place de l’esprit, & me renverra aux Eclogues de M. de Fontenelle ; où on l’y a trouvé si défectueux, & à juste titre. Mais avec sa permission, ces deux choses me paroissent fort différentes ; & ont besoin d’une courte explication. La Peinture & la Poësie se ressemblent ; mais l’une est muette, l’autre a cent façons de s’exprimer : on juge bien par conséquent que la première ne sauroit trop animer & réveiller ses compositions. Quelque abus qu’un Peintre fasse de son esprit, ses fautes ne seront ni si remarquables, ni si vicieuses que celles du Poëte : il aura beau fatiguer son pinceau, il est bien sur qu’il n’en sortira jamais ni Madrigaux ni Epigrammes.
BOUCHER, François
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BOUCHER, François
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Sa Venus au bain [ndr : de Vanlo] est tout à fait intéressante ; de même que la Vestale ; quoique ce dernier tableau soit un peu sec. On sent bien que M. Vanlo a voulu y fatiguer ses chairs le moins qu’il lui étoit possible, pour mieux exprimer le caractere de virginité qui étoit de son sujet ; mais on s’apperçoit en même-tems que la nature ne lui a pu servir en cette occasion ; & qu’il n’a pu peindre cet objet que d’idée, & comme un beau fantôme, que lui retraçoit son imagination. La question étoit de chercher un beau modele de Vierge, quelque part ; mais en bonne vérité où le trouver !
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Un Peintre habile doit rectifier la nature en l’imitant ; surtout quand il s’en est rendu maître comme M. Vanlo. Il doit retrancher adroitement ce qu’elle a de trop, & ajouter à ce qui lui manque. Il faut qu’il songe à peindre toujours en beau, autant qu’il lui est possible, & que l’occasion semble le permettre : les Peintres et les Poëtes sont les panégyristes de la Nature.
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[...] On voit deux Tableaux de cet Auteur [ndr : M. Restout], tous deux un peu durs, un peu chargés, & un peu verdâtres ; particulierement celui dont le sujet est une Translation. Celui qui représente la continence de Scipion semble un peu mieux colorié […].
RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, Invention et translation des corps de Saint Gervais et de Saint Protais, 1750, huile sur toile, 194 x 145 , Auvergne, Riom, Église Saint-Amable.
RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, La Continence de Scipion, 1728, huile sur toile, 130 x 196,7, Berlin, Staaliche Museen, Ident.Nr. 83.3.
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RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, Invention et translation des corps de Saint Gervais et de Saint Protais, 1750, huile sur toile, 194 x 145 , Auvergne, Riom, Église Saint-Amable.
RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, La Continence de Scipion, 1728, huile sur toile, 130 x 196,7, Berlin, Staaliche Museen, Ident.Nr. 83.3.
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RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, Invention et translation des corps de Saint Gervais et de Saint Protais, 1750, huile sur toile, 194 x 145 , Auvergne, Riom, Église Saint-Amable.
RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, La Continence de Scipion, 1728, huile sur toile, 130 x 196,7, Berlin, Staaliche Museen, Ident.Nr. 83.3.
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RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, Invention et translation des corps de Saint Gervais et de Saint Protais, 1750, huile sur toile, 194 x 145 , Auvergne, Riom, Église Saint-Amable.
RESTOUT, Jean, dit Jean II Restout, La Continence de Scipion, 1728, huile sur toile, 130 x 196,7, Berlin, Staaliche Museen, Ident.Nr. 83.3.
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Celui qui représente la continence de Scipion semble un peu mieux colorié ; mais pour le coup, M. Restout me permettra de lui dire que ce sujet ne lui convenait en rien. Il s’agissoit d’y caractériser dans tout son éclat, une personne célebre par la beauté dont les charmes étoient si forts & si puissans qu’il étoit comme impossible d’y résister : On relevoit parlà adroitement, le mérite de Scipion qui eut le courage prodigieux d’en triompher ? Point du tout ; on se contente de nous croquer ici séchement une matrone de la plus mauvaise grâce du monde ; & qui n’est remarquable uniquement que par sa laideur. Ce n’est point là ce qu’il falloit encore une fois, mais M. Restout ne pouvoit pas mieux faire dans ce genre. Cet Auteur devroit bien s’étudier à mieux connoitre ce qui lui est propre. Comment pouvoit-il nous donner quelque idée de la beauté, lui qui n’a pu, encore atteindre à nous représenter des caracteres simples & ordinaires ? Je n’en veux pour exemple que ses Tableaux de Dévotion, qui sont comme on sait le fort de cet Auteur. Cependant quelles attitudes dures & forcées n’y voit-on pas ? Quelles grimaces pour des expressions ? Quels airs de tête effrayans & bizarres !
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M. du Mont me semble faire autant d’efforts pour s’éloigner de la nature que quelques autres en prennent pour s’en approcher. Il s’épuise à chercher une maniere qui lui coûte beaucoup ; & qui n’en vaut gueres mieux, puisqu’elle ne ressemble à rien de naturel. Je me plaindrai d’autant plus sur ce sujet, qu’on voit tous les jours des Peintres, qui n’ont pas le méme talent, donner dans le même ridicule. Tout [sic] y visent grands & petits ; c’est proprement le péché originel, en Peinture. On va voir ce qu’a produit cette affectation. M. du Mont a exposé cette année deux Tableaux, extrêmement travaillés, dessinés & peints tous deux avec la même sévérité ; & où on le reconnoît enfin, pour tout dire.
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Cette Déesse [ndr : la Santé] y paroît assise sur un nuage ; & tenant en sa main une Baguette, entrelacée d’un serpent. Je ne puis louer M. du Mont de cette idée, puisqu’on nous dit qu’il l’a prise dans un autre ; & que surtout elle n’est pas fort louable : mais il me paroît qu’on eut mieux réussi à nous caractériser cette Déesse, en mettant plus de jeu et de légereté dans son attitude ; & en lui donnant plus de fraicheur & de vivacité. D’ailleurs est-ce dans les Livres que les Peintres & les Poëtes doivent puiser aujourd’hui des allégories ! n’est-ce pas plutôt dans leur imagination : & cette qualité n’est-elle pas la premiere qu’on leur demande ?
Avant que de reprendre le fil de ma Description, je dois vous dire un mot de Mrs. Favanne, Sylvestre, Galloche & Collin de Vermont, que j’ai oubliez dans la précédente […]. Je leur devois une des premieres places dans ma critique, & à juste titre sans doute : l’Antiquité est si respectable ! Je le crie tous les jours. Le plus jeune des Messieurs roule sur quatre-vingt ans, à peu près : leurs ouvrages ne démentent point cette grave époque, tout y est marqué au coin le plus exact des glaces, & de la sécheresse de l’âge. M. Vermont semble avoir conservé un peu plus de chaleur dans sa composition, mais le coloris brute & rougeâtre dont ses Tableaux sont encroûtés les dépare absolument. Je ne dis point ceci pour diminuer la réputation de ces Artistes ; je ne prétends pas non plus juger de ce qu’ils ont été par ce qu’ils sont ; à Dieu ne plaise ! Je plains uniquement notre triste humanité, j’admire les vicissitudes de l’âge ; & comment quinze ou vingt années de plus sont capables de faire commettre de sotises au plus habile homme. […] C’est une chose qui n’est que trop prouvée par l’expérience : Il est un tems marqué dans les Arts, comme dans les Sciences, lequel une fois arrivé, nous avertit de nous retirer prudemment ; & de céder un rôle que nous ne pouvons plus jouer, à des Acteurs plus capables de le soutenir.
Je ne m’amuserai point à relever ici la naissance de cet Auteur, ni les facultés de ses parens comme a fait certain Ecrivain en pareille occasion, ce qui me paroît l’éloge du monde le plus maladroit & le plus grossier : je serois trop fâché de faire ce tort à M. Pierres ; & de chercher dans ses ouvrages un mérite aussi étranger. Louons-le plutôt de son amour pour les Arts, & de sa mâle activité au travail, qui lui en fait dévorer toutes les difficultés. On trouve dans cet Auteur une grande facilité de composition, beaucoup de vigueur de coloris ; & un dessein, pour l’ordinaire, savant & exact. Son pinceau est aisé, coulant, voluptueux. De six Tableaux qu’il [ndr : Pierres] a exposés cette années, je n’en vois gueres que deux qui ne méritent peut-être pas les même éloges (Une Pastorale & une Solitude.) L’un parce que des Moines & des rocailles intéressent peu ; l’autre parce qu’il me semble y manquer quelque chose de cette gentillesse & de cet agrément frivole que semblent exiger aujourd’hui des sujets galands. Je sais très bon gré à M. Pierres de ce défaut : il vaut beaucoup mieux avoir du génie que de l’esprit dans un siécle où le premier est si rare, & où l’autre est si prostitué & si bannal.
Ce n’est pas, néanmoins, que cet Auteur [ndr : Pierre] n’ait son agrément, mais qui est bien supérieur à ce qu’on appelle purement de ce nom. Sa Psyché est tout ce qu’on peut voir de plus aimable : toutes les figures qui entrent dans ce Tableau y ont une noblesse & une élégance singulieres. On ne sauroit trop admirer l’effort que le Peintre a du faire pour nous représenter Psyché avec tant de graces, après celle que son pinceau avoit si libéralement prodiguées à toutes les figures qui composent ce Tableau. C’est surtout avec la derniere volupté que l’œil contemple la fraîcheur & le beau moëlleux des chairs qu’a peintes ici M. Pierres, qui rendent par leur fraïcheur & leur élasticité tout le charme du nud féminin.
[...] La Présentation au Temple, qui est le dernier Tableau de M. Pierres, est peinte avec toute la sagesse & la noble pauvreté qui conviennent à ce sujet.
Ce Tableau [ndr : une « fin de Chasse au Cerf » de Oudry] est orné de plusieurs figures à cheval, telles que celle du Roi, de M. le Comte de Toulouse, de M. le Prince Charles & de plusieurs autres Seigneurs. Toutes ces figures sont extrêmement nobles & bien ressemblantes. Mais on n’est pas si content des chevaux qui la plûpart sont dessinés d’une maniere roide & un peu contrainte ; & semblent manquer par leur applond. Le fond de ce Tableau en récompense est tout ce qu’on peut de mieux traité. Il représente un partie de la Forêt de S. Germain […].
[…] je passe tout de suite à une remarque bien glorieuse pour l’Ecole Françoise ; & que probablement elle n’oubliera point dans ses fastes. Nous avons vû vérifier de nos jours, & sous nos yeux, par M. Oudry, ce qu’on avoit jusqu’à présent regardé dans Pline comme une Fable. Non-seulement des Animaux (car combien n’y en a-t-il pas dans la cohue du peuple qu’on laisse entrer au Sallon) mais même des hommes intelligens & connoisseurs ont été la dupe de son talent ; & ont pris le change sur ses ouvrages. Après que leurs yeux avoient été trompés, on leur a vû porter la main sur l’objet qui avoit causé leur illusion […] Le tableau dont je veux parler ici, entre les autres, représente des Mauves peintes sur un fond blanc, & suspendues à un clou. Ces Oiseaux, dont les ailes sont représentées à demi ouvertes & renversées, sont tellement de relief, qu’on s’imagine les voir sortir du Tableau ; & qu’on se plait à jouir de son illusion dans le tems même qu’elle ne peut être que volontaire. Tous les ouvrages de M. Oudry sont peints avec cette vérité ; & un feu qui ne contribue pas peu à ajouter à leur perfection.
Je crois pouvoir vous parler, après lui, d’un jeune homme qui a donné quelques essais dans le même genre, & qui à mon gré a beaucoup de talent. Il se nomme M. Bachelier. S’il y a quelque chose de répréhensible dans ses ouvrages, c’est le trop grand soin qu’il y apporte. On compte le poil & la plume des Animaux qu’il représente. Il peut défier toute la Flandre & la Hollande en exactitude. Cette trop grande attention dégénère nécessairement en froid quand on peint surtout, comme il a fait ici, la nature morte. M. Bachelier doit savoir que le grand fini n’est pas ce qui touche le plus en peinture ; qu’au contraire le goût a toujours réprouvé ce scrupule & cette exactitude. Vous aurez beau faire & lécher votre Tableau, vous aider pour cela de toute la patience de Gerad-dow, & de leurs verres convexes ; vous ne parviendrez jamais à être aussi exacts que la nature, je vous en défie. Je laisserai là votre Tableau ; & je considérerai l’objet que vous aurez imité qui sera toujours plus parfait. D’ailleurs ce n’est nullement l’objet imité qui plait en peinture, c’est son imitation. […] On ne se familiarise point avec la nature du premier coup : il faut auparavant beaucoup de recherche, une longue application, & une pratique mûre & raisonnée. Il est certain que si cet Auteur peut atteindre à un peu plus de chaleur, il sera encore plus vrai que M. Oudry.
Il s’agit de la première occurrence connue de l’expression « nature morte » (M. Faré, « De quelques termes désignant la peinture d’objet », Études d’art français offertes à Charles Sterling, Paris, 1975, p. 270 ; d’après Manceau, 2014, p. 117)
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On ne se familiarise point avec la nature du premier coup : il faut auparavant beaucoup de recherche, une longue application, & une pratique mûre & raisonnée. Il est certain que si cet Auteur peut atteindre à un peu plus de chaleur, il sera encore plus vrai que M. Oudry.
[...] Je ne vous ai point encore parlé de M. Vernet, qui est un de ceux dont j’ai le plus de choses à vous dire. Les Marines sont le principal genre auquel semble s’appliquer cet Auteur, si l’on peut fixer le genre d’un homme qui a autant de talent & de génie. Outre la fraîcheur, la vérité avec laquelle elles sont peintes, il sait encore les animer de figures extrêmement intéressantes & dessinées avec tout le feu & toutes l’expression possible. Les Acteurs qu’il introduit dans ses sujets n’y sont jamais muets ni inutiles. A juger de M. Vernet par cette partie, prise séparément, il peut passer pour un Peintre d’Histoire ; je dis plus, pour très-bon Poëte, tant il excelle à rendre les caracteres, le sentiment & les passions dans toute leur vérité.
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Il me reste à vous parler de nos Peintres de Portraits : les plus illustres sont Mrs. Nattier, Tocqué, Aved, chacun dans un genre différent ; & M. la Tour dans tous les genres. […] Le premier de ces Auteurs est facile, gracieux (je parle de ses ouvrages), brillant, plein d’art ; mais manquant quelquefois de vérité. Le second est plus ferme dans sa touche, plus mâle & plus vigoureux ; mais dur, quelquefois, dans ses caracteres, & point assez varié, ce me semble. Ses portraits ne changent gueres le plus souvent, dans leur attitude, que de gauche à droite ou de droite à gauche. M. Aved plus monotone encore que ce second, est beaucoup plus froid ; mais sa simplicité a une sorte de mérite ; & cet Auteur est assez heureux pour les ressemblances. Quant à M. la Tour, c’est un Protée, dont l’art se montre sous toutes les formes imaginables : tantôt sévere, tantôt enjoué ; tantôt facile, tantôt plus réfléchi ; ici noble & majestueux, là piquant, vif & spirituel : ses Portraits, pour quelqu’un qui sait lire dans la nature, sont autant de caracteres […].
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Je vais à l’heure qu’il est, vous entretenir d’ouvrages un peu inférieurs ; & de ceux que j’ai appellés dans ma seconde lettre du nom de Peintres médiocres. Le premier à qui je donne ce nom est M. Hallé : il est certain que parmi ceux-ci cet Auteur ne peut tenir qu’un rang distingué ; mais il figureroit trop mal parmi les illustres dont j’ai parlé d’abord. Dans le second ordre, il n’a point d’égaux, dans l’autre il trouveroit trop de maîtres.
Ces deux derniers [ndr : l’Ecole de l’Amour et Athalante et Méléagre] ainsi que les autres ouvrages de M. Hallé sont d’un assez bon goût de dessin, & exécutés avec hardisse ; mais ils affectent peu pour la grace & la couleur. Dans le premier Venus, l’Amour & Mercure se ressemblent & sont peints tous trois avec la même carnation : vous prendriez Athalante & Méléagre, dans l’autre, pour de véritables Ours qui se léchent.
HALLÉ, Noël, Atalante et Méléagre, s.d.
HALLÉ, Noël, École de l'Amour, s.d., huile sur toile, 20 x 28, Collection particulière.
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HALLÉ, Noël, Atalante et Méléagre, s.d.
HALLÉ, Noël, École de l'Amour, s.d., huile sur toile, 20 x 28, Collection particulière.
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HALLÉ, Noël, Atalante et Méléagre, s.d.
HALLÉ, Noël, École de l'Amour, s.d., huile sur toile, 20 x 28, Collection particulière.
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[...] L’Assomption [ndr : de Hallé] est beaucoup mieux […], mais elle n’en fait pas encore un bien remarquable. Malgré sa hauteur qui est de douze pieds, & sa largeur de huit, vous ne sauriez croire combien ce morceau paraît petit.
[...] J’aime infiniment cette figure massée sur le devant du Tableau ; & qui détache adroitement tout le sujet ; cette autre qui lui est opposée dans le Fond, & qui semble le rapprocher […]. Mais je n’admire pas ainsi la couleur qu’on donne à cette figure [ndr : Sénèque dans La mort de Sénèque par Hallé], qui est moins celle d’un mourant que d’un cadavre froid & inanimé.
M. de Lobel, qui est un des premiers, par l’ancienneté, entend assez bien les Allégories, & la composition ; mais fort peu le dessin.
M. de Lobel, qui est un des premiers, par l’ancienneté, entend assez bien les Allégories, & la composition ; mais fort peu le dessin. On voit bien que sa main n’a plus la même rapidité ni le même feu que son esprit ; & il ne feroit point mal d’en emprunter une autre pour l’exécution de ses idées.
On reconnoît dans M. Boisot un homme de talent ; mais ses ouvrages manquent de feu & de chaleur : Ce Peintre est sans invention & c’est ce qu’on aime le plus aujourd’hui. Il est très-correct dans son dessin, sage dans sa composition, très-exact dans son coloris ; mais cela ne suffit pas pour ravir les suffrages ; & on est quelquefois beaucoup plus louable avec moins de régularité. C’est souvent un grand défaut en peinture que de n’en point avoir.
[...] M. Lajoue est habile à peindre l’Architecture, mais il est presque borné à ce genre ; encore faut-il qu’il soit resserré dans de petits sujets. On remarque beaucoup de vérité & de naturel dans les portraits que fait M. le Sueur, quoique cet Auteur soit peu animé : Tout ceux qu’il représente sont ordinairement fourés, en manchon & enveloppés ; ils semblent qu’ils se sentent du froid avec lequel ils sont peints.
Je vais à présent vous dire un mot de notre Gravûre ; cet Art est lié si intimement à celui dont nous parlons qu’on ne peut raisonnablement les séparer l’un de l’autre.
[...] Vous savez le nom qu’on a donné aux Graveurs, ce sont les Traducteurs des Tableaux ; & il n’est pas étonnant que leur quantité soit si prodigieuse : ceux qui inventent seront toujours inférieurs en nombre à ceux qui copient ou qui employent les ouvrages d’autrui. Ce n’est pas à dire pour cela que beaucoup de Graveurs ne soient capables de produire quelquefois par eux-mêmes ; & nous en voyons plusieurs qui ne sont les Traducteurs que de leurs propres ouvrages. […] La plûpart manient le crayon aussi habilement que le burin ; & s’ils n’exerçent pas en même-tems l’Art de graver & celui de peindre, c’est que l’une de ces deux professions est plus que suffisante pour quelqu’un qui veut y réussir et s’y distinguer avec éclat.