SENTIMENT (n. m.)
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M’estant donc proposé de dire mes Sentimens touchant la connoissance des Ouvrages de la Portraiture, (qui est un mot general qui comprend & la Peinture & la Graveure, & en un mot qui signifie la representation de quoy que ce soit par quel moyen que ce puisse estre, ainsi que j’ay deduit plus au long dans mon livre de la Perspective).
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Quelle difference, reprit Pymandre, mettez-vous donc entre la grace et la beauté, & comment les separez-vous l’une de l’autre ? Car si la beauté vient de la proportion des parties, la grace peut-elle se trouver dans des sujets qui ne sont ny beaux ny proportionnez ?
Je puis vous dire en peu de mots, lui repartis-je, la difference qu’il y a entre ces deux charmantes qualitez. C’est que la beauté naist de la proportion & de la symetrie qui se rencontre entre les parties corporelles & materielles. Et la grace s’engendre de l’uniformité des mouvemens interieurs causés par les affections et les sentiments de l’ame.
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Non seulement le public juge d'un ouvrage sans interêt, mais il en juge encore ainsi qu'il en faut décider en general, c'est-à-dire par la voïe du sentiment, & suivant l'impression que le poëme ou le tableau font sur lui. Puisque le premier but de la Poësie & de la Peinture est de nous toucher, les poëmes & les tableaux ne sont de bons ouvrages qu'à proportion qu'ils nous émeuvent & qu'ils nous attachent. Un ouvrage qui touche beaucoup doit être excellent à tout prendre. Par la même raison l'ouvrage qui ne touche point & qui n'attache pas ne vaut rien, & si la critique n'y trouve point à reprendre des fautes contre les regles, c'est qu'un ouvrage peut être mauvais sans qu'il y ait des fautes contre les regles, comme un ouvrage plein de fautes contre les regles peut être un ouvrage excellent.
Or le sentiment enseigne bien mieux si l'ouvrage touche, & s'il fait sur nous l'impression que doit faire un ouvrage, que toutes les dissertations composées par les Critiques, pour en expliquer le mérite, & pour en calculer les perfections & les défauts. La voie de discussion & d'analyse, dont se servent ces Messieurs, est bonne à la verité, lorsqu'il s'agit de trouver les causes qui font qu'un ouvrage plaît ou qu'il ne plaît pas ; mais cette voie ne vaut pas celle du sentiment lorsqu'il s'agit de décider cette question. L'ouvrage plaît-il ou ne plaît-il pas ? L'ouvrage est-il bon ou mauvais en géneral ? C'est la même chose. Le raisonnement ne doit donc intervenir dans le jugement que nous portons sur un poëme ou sur un tableau, que pour rendre raison de la décision du sentiment & pour expliquer quelles fautes l'empêchent de plaire, & quels sont les agrémens qui le rendent capable d'attacher. Qu'on me permette ce trait.
La raison ne veut point qu'on raisonne sur une pareille question, à moins qu'on ne raisonne pour justifier le jugement que le sentiment a porté. La décision de la question n'est point du ressort du raisonnement. Il doit se soumettre au jugement que le sentiment prononce. C'est le juge compétent de la question.
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Le plus grand effet des préjugez que les Peintres & les Poëtes sement dans le monde contre un nouvel ouvrage, vient de ce que les personnes qui parlent d'un poëme ou d'un tableau sur la foi d'autrui, aiment mieux en passer par l'avis des gens du métier, elles aiment mieux le repeter, que de redire le sentiment de gens qui n'ont pas mis l'enseigne de la profession à laquelle l'ouvrage ressortit. En ces sortes de choses où les hommes ne croïent point avoir un intérêt essentiel à choisir le bon parti, ils se laissent ébloüir par une raison qui peut beaucoup sur eux. C'est que les gens du métier doivent avoir plus d'expérience que les autres. Je dis ébloüir, car comme je l'ai exposé, la plûpart des Peintres & des Poëtes ne jugent point par voïe de sentiment, ni en déferant au goût naturel perfectionné par les comparaisons & par l'expérience, mais par voïe d'analyse.
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Enfin le tems arrive où le public apprétie un ouvrage, non plus sur le rapport des gens du métier, mais suivant l'impression que fait cet ouvrage. Les personnes qui en avoient jugé autrement que les gens de l'art, & en s'en rapportant au sentiment, s'entrecommuniquent leurs avis, & l'uniformité de leur opinion change en persuasion l'opinion de chaque particulier. Il se forme encore de nouveaux maîtres dans les arts, qui jugent sans intérêt & avec équité des ouvrages calomniez. Ces maîtres désabusent le monde méthodiquement des préventions que leurs prédecesseurs y avoient semées. Le monde remarque encore de lui-même, que ceux qui lui avoient promis quelque chose de meilleur que l'ouvrage dont le mérite a été contesté, ne lui ont pas tenu parole. Les contradicteurs obstinez meurent d'un autre côté. Ainsi l'ouvrage se trouve géneralement estimé à sa valeur véritable.
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Le public ne se connoît pas en peinture à Paris autant qu'à Rome. Les François en géneral n'ont pas le sentiment intérieur aussi vif que les Italiens. La difference qui est entr'eux est déja sensible dans les peuples qui habitent aux pieds des Alpes du côté des Gaules & du côté de l'Italie ; mais elle est encore bien plus grande entre les naturels de Paris & les naturels de Rome. Il s'en faut encore beaucoup que nous ne cultivions autant qu'eux la sensibilité pour la peinture, commune à tous les hommes. Géneralement parlant, on n'acquiert pas ici aussi-bien qu'à Rome le goût de comparaison. Ce goût se forme en nous-mêmes & sans que nous y pensions. A force de voir des tableaux durant la jeunesse, l'idée, l'image d'une douzaine d'excellens tableaux se grave & s'imprime profondément dans notre cerveau encore tendre. Or, ces tableaux qui nous sont toujours présens, et dont le rang est certain, dont le mérite est décidé, servent, s'il est permis de parler ainsi, de pieces de comparaison, qui donnent le moïen de juger sainement à quel point l'ouvrage nouveau qu'on expose sous nos yeux approche de la perfection où les autres peintres ont atteint, & dans quelle classe il est digne d'être placé. L'idée de ces douze tableaux qui nous est présente, produit une partie de l'effet que les tableaux mêmes produiroient, s'ils étoient à côté de celui dont nous voulons discerner le mérite & connoître le rang. La difference qui peut se trouver entre le mérite de deux tableaux exposez à côté l'un de l'autre, frappe tous ceux qui ne sont pas stupides.
Mais pour acquerir ce goût de comparaison qui fait juger du tableau présent par le tableau absent, il faut avoir été nourris dans le sein de la Peinture. Il faut, principalement durant la jeunesse, avoir eu des occasions fréquentes de voir dans une assiete d'esprit tranquille des tableaux. La liberté d'esprit n'est guéres moins necessaire pour sentir toute la beauté d'un ouvrage que pour le composer. Pour être bon spectateur il faut avoir cette tranquillité d'ame qui ne naît pas de l'épuisement, mais bien de la sérenité de l'imagination.
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[…] La connoissance est une lumiere répandue dans notre ame : le sentiment est un mouvement qui l’agite. L’une éclaire : l’autre échauffe. L’une nous fait voir l’objet : l’autre nous y porte, ou nous en détourne.
Le Goût est donc un sentiment. Et comme, dans la matière dont il s’agit ici, ce sentiment a pour objet les Ouvrages de l’Art ; & que les Arts, comme nous l’avons prouvé, ne sont que des imitations de la belle Nature ; le Goût doit être un sentiment qui nous avertit si la belle Nature est bien ou mal imitée. […]
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[…] Le Goût qui s’exerce sur les Arts n’est point un Gout factice. C’est une partie de nous-même qui est née avec nous, & dont l’office est de nous porter à ce qui est bon. La connoissance le précede : c’est le flambeau. Mais que nous serviroit-il de connoître, s’il nous étoit indifférent de jouir ? La Nature étoit trop sage pour séparer ces deux parties : & nous en donnant la faculté de connoître, elle ne pouvoit nous refuser celle de sentir le rapport de l’objet connu avec notre utilité, & d’y être attiré par ce sentiment. C’est ce sentiment qu’on appelle le Goût naturel, parce que c’est la Nature qui nous l’a donné. Mais pourquoi nous l’a-t’elle donné ? Etoit-ce pour juger des Arts qu’elle n’a point faits ? Non : c’étoit pour juger des choses naturelles par rapport à nos plaisirs ou à nos besoins.
L’industrie humaine ayant ensuite inventé les beaux Arts sur le modèle de la Nature, & ces Arts ayant eu pour objet l’agrément & le plaisir, qui sont, dans la vie, un second ordre de besoins ; la ressemblance des Arts avec la Nature, la conformité de leur but, sembloient exiger que le Goût naturel fût aussi le Juge des Arts : c’est ce qui arriva. Il fut reconnu, sans nulle contradiction : les Arts devinrent pour lui de nouveaux Sujets, si j’ose parler ainsi, qui se rangerent paisiblement sous sa Juridiction, sans l’obliger de faire pour eux le moindre changement à ses loix. Le Goût resta le même constamment : & il ne promit aux Arts son approbation, que quand ils lui feroient éprouver la même impression que la Nature elle-même ; & les chefs-d’œuvres des Arts ne l’obtinrent jamais qu’à ce prix.
Mais cette perfection n’a rien changé dans son essence. Il est toujours tel qu’il etoit auparavant : indépendant du caprice. Son objet est toujours essentiellement le bon. Que ce soît l’Art qui le lui présente, ou la Nature, il ne lui importe, pourvu qu’il jouisse. C’est sa fonction.
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C'est avec les égards les plus scrupuleux, & l'intention très réelle de ne désobliger personne, que l'on rapporte les jugemens des connoisseurs judicieux, éclairés par des principes, & encor plus par cette lumière naturelle que l'on appelle sentiment, parce qu'elle fait sentir au premier coup d'œil la dissonance ou l'harmonie d'un ouvrage, & c'est ce sentiment qui est la base du goût, j'entens de ce goût ferme & invariable du vrai beau qui ne s'acquiert presque jamais, dès qu'il n'est pas le don d'une heureuse naissance.
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BAILLET DE SAINT-JULIEN, Louis-Guillaume, Lettres sur la peinture à un amateur, Genève, s.n., 1750.
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[...] Je ne vous ai point encore parlé de M. Vernet, qui est un de ceux dont j’ai le plus de choses à vous dire. Les Marines sont le principal genre auquel semble s’appliquer cet Auteur, si l’on peut fixer le genre d’un homme qui a autant de talent & de génie. Outre la fraîcheur, la vérité avec laquelle elles sont peintes, il sait encore les animer de figures extrêmement intéressantes & dessinées avec tout le feu & toutes l’expression possible. Les Acteurs qu’il introduit dans ses sujets n’y sont jamais muets ni inutiles. A juger de M. Vernet par cette partie, prise séparément, il peut passer pour un Peintre d’Histoire ; je dis plus, pour très-bon Poëte, tant il excelle à rendre les caracteres, le sentiment & les passions dans toute leur vérité.