PERRAULT, Charles, Parallèle des Anciens et des Modernes. En ce qui regarde les arts et les sciences. Dialogues. Avec le poëme du siècle de Louis le Grand et une épistre en vers sur le génie, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1688, 4 vol., vol. I.

Bibliothèque Nationale de France Paris Z-12761 103 quotations 72 terms
D'abord secrétaire de la Petite Académie, puis premier commis de Colbert et enfin contrôleur général aux Bâtiments du roi, Charles Perrault (1628-1703) fait partie des acteurs majeurs des sociétés artistiques et littéraires de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Issu d'une famille de lettrés appartenant à la grande bourgeoisie parisienne, il participe aux discussions de l'Académie royale de peinture et de sculpture dès 1667, puis contribue pleinement à l'intégration des discours de gens de lettres qui s'opère au sein des Conférences à la fin du XVIIe siècle [1]. C'est également lui qui inspire la nouvelle organisation des Conférences instaurée par Colbert dans les années 1666-1667, consistant à analyser tous les mois un tableau du Cabinet du roi [2]. En 1671, il est par ailleurs élu à l'Académie française.
Avec le Parallèle des Anciens et des Modernes dont la parution s’échelonne de 1688 à 1697, Perrault étaye les positions qu’il a pu prendre en faveur de ses contemporains et de leurs productions. Son ouvrage s’inscrit en effet dans la continuité de son poème Le siècle de Louis Le Grand (reproduit ici à la fin du premier volume) lu devant l’Académie française au début de l’année 1687, qui représente l’une des étapes marquantes de la Querelle des Anciens et des Modernes. Dès la préface, il rappelle ce contexte et répond aux critiques des partisans des Anciens tout en synthétisant son point de vue : « Qu’en un mot, je suis très convaincu que si les Anciens sont excellens, comme on ne peut pas en disconvenir, les Modernes ne leur cèdent en rien, & les surpassent mesme en bien des choses ». 

Son texte s’organise sous la forme d’un dialogue comprenant trois intervenants qui incarnent les différents courants de pensée de l’époque. Figurent ainsi le Président, présenté par le narrateur comme un savant et amateur des ouvrages des Anciens, puis un Abbé, représentant du parti des Modernes défendu par Perrault, et enfin un Chevalier qui « tient comme le milieu entre le President & l’Abbé » (p. 4). À travers ses quatre volumes eux-mêmes divisés en dialogues, l’auteur s’attache à comparer les réalisations des Anciens et des Modernes dans de nombreux domaines comme les arts (premier volume), l’éloquence (deuxième volume),  la poésie (troisième volume) et enfin l’astronomie, la philosophie, la médecine, etc. (quatrième volume). 
Le premier volume qui nous intéresse ici prend place à Versailles que les trois intervenants parcourent en l’absence du roi. Ils discutent dans un premier temps d’architecture, puis de sculpture, pour terminer par la peinture (à partir de la page 197). L’auteur compare ainsi l’art de Timanthe, de Parrhasios, Zeuxis, Protogène, ou encore d’Apelle, à celui de Raphaël, Titien, Véronèse, Poussin et surtout Le Brun. 

Au-delà de ses prises de position pour le camp des Modernes dont il est l’un des grands représentants, Perrault témoigne ainsi tout au long de son texte de son engagement au profit de la politique artistique et culturelle instrumentalisée par Louis XIV et Colbert.

Marianne Freyssinet

[1] C. Michel et J. Lichtenstein (dir.), Conférences (…), t. 1, vol. 1, Paris, ENSBA, 2006, p. 47. 
[2] Ibid., p. 101 et suivantes.
in-12 french
Structure
Préface at n.p.
Privilèges at n.p.
Épître(s) at p. 27

PERRAULT, Charles, Parallele des Anciens et des Modernes en ce qui regarde les arts et les sciences. Dialogues. Avec le poëme du siecle de Louis le Grand, et une epistre en vers sur le genie. Par M. Perrault,... Seconde edition, Paris, Veuve et fils de Jean-Baptiste Coignard, 1692 - 1693, 2 vol.

PERRAULT, Charles, Parallèle des Anciens et des Modernes... par M. Perrault... Mit einer einleitenden Abhandlung von H. R. Jauss und kunstgeschichlichen Exkursen von M. Imdahl, IMDAHL, Max et JAUSS, Hans Robert (éd.), München, Eidos Verlag, 1964.

PERRAULT, Charles, Parallèle des anciens et des modernes, en ce qui regarde les arts et les sciences : dialogues : avec le poème du siècle de Louis le Grand, et une épître en vers sur le génie, Genève, Slatkine Reprints, 1979, 4 vol.

PERRAULT, Charles et KOCH, Cornelius Dietrich, , trad. par KOCH, Cornelius Dietrich, Hamm, Hermann Daniel, 1719.

DAVIDSON, Hugh M., « Fontenelle, Perrault, and the realignment of the arts », dans WILLIAMS, Charles G.S. (éd.), Literature and History in the Age of Ideas: Essays on the French Enlightenment, Columbus, Ohio State University Press, 1975, p. 3-13.

ULLMAN, Roger Thomas, Charles Perrault and the idea of progress, Dissertation, Harvard University, 1983.

BECQ, Annie, Genèse de l'esthétique française moderne : de la raison classique à l'imagination créatrice, Paris, Albin Michel, 1994.

LOPRÈTE, Sylvie, Charles Perrault dans la querelle des Anciens et des Modernes : implications esthétiques et philosophiques de l'oeuvre polémique de Charles Perrault, le Parallèle des Anciens et des Modernes, Thèse de doctorat, Université Jean Moulin - Lyon III, 1998.

KRISTELLER, Paul Oskar, Le système moderne des arts : étude d'histoire de l'esthétique, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1999.

YILMAZ, Levent, Le temps moderne : variations sur les Anciens et les contemporains, Paris, Gallimard, 2004.

BERNIER, Marc André, Parallèle des anciens et des modernes : rhétorique, histoire et esthétique au siècle des Lumières, Québec, Presses de l'Université de Laval, 2006.

FRICHEAU, Catherine, « Des Modernes aux Encyclopédistes. Le bon sens de l'idée de progrès ? », Dix-Huitième siècle, 2008/1, n°40, 2008, p. 543-559 [En ligne : https://www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2008-1-page-543.htm consulté le 09/02/2018].

MONTOYA, Alicia Celina, Medievalist enlightenment : from Charles Perrault to Jean-Jacques Rousseau, Cambridge, D.S. Brewer, 2013.

NORMAN, Larry F., « La pensée esthétique de Charles Perrault », Dix-Septième siècle. Les frères Perrault, 2014/3, n°264, 2014, p. 481-492 [En ligne : https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2014-3-page-481.htm consulté le 09/02/2018].

BULLARD, Paddy et TADIÉ, Alexis, Ancients and moderns in Europe : comparative perspectives, Oxford, Voltaire Foundation, 2016.

FILTERS

QUOTATIONS

Ce fut  assez qu’une chose eust esté faite ou dite par ces grands hommes pour estre incomparable, & c’est mesme encore aujourd’huy une espece de Religion parmy quelques Sçavans de preferer la moindre production des anciens aux plus beaux Ouvrages de tous les modernes. J’avouë que j’ay esté blessé d’une telle injustice, il m’a paru tant d’aveuglement dans cette prevention & tant d’ingratitude à ne pas vouloir ouvrir les yeux sur la beauté de nostre Siecle à qui le Ciel a departi mille lumieres qu’il a refusées à toute l’Antiquité, que je n’ay pû m’empescher d’en estre émû d’une veritable indignation […].
Il est vray qu’un celebre Commentateur m’a foudroyé dans la Preface de ses Notes, où ne me jugeant pas digne d’estre seul l’objet de son indignation, il s’adresse à tous les profanes qui se contentent comme moy de reverer les Anciens sans les adorer, & là du haut de sa science il nous traite tous de gens sans goust & sans autorité.

moderne

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SPECTATEUR → jugement

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SPECTATEUR → jugement
SPECTATEUR → connaissance

ancien

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SPECTATEUR → jugement

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SPECTATEUR → jugement
SPECTATEUR → connaissance

[…] Qu’en un mot je suis tres convaincu que si les Anciens sont excellens, comme on ne peut pas en disconvenir, les Modernes ne leur cedent en rien, & les surpassent mesme en bien des choses. Voila distinctement ce que je pense & ce que je pretends prouver dans mes Dialogues.

moderne

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SPECTATEUR → jugement

ancien

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SPECTATEUR → jugement

[…] Si je suis blâmable en quelque chose, c’est de m’estre engagé dans une entreprise au dessus de mes forces ; car il s’agit d’examiner en détail tous les beaux Arts & toutes les Sciences, de voir à quel degré de perfection ils sont parvenus dans les plus beaux jours de l’antiquité, & de remarquer en même temps ce que le raisonnement & l’experience y ont depuis ajoûté, & particulièrement dans le Siècle où nous sommes.

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SPECTATEUR → jugement
CONCEPTS ESTHETIQUES → antique

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique
CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection
SPECTATEUR → jugement

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique
CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection

Le premier des Dialogues que je donne presentement, traite de la prevention trop favorable où on est pour les Anciens, parce que j’ay crû devoir commencer par détruire autant qu’il me seroit possible, ce qui empeschera toûjours de porter un jugement équitable sur la question dont il s’agit.

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SPECTATEUR → jugement

[…] LE PRESIDENT. Et moy je le prens aussi volontiers pour le champ de bataille qui ne peut que m'être favorable & à l'honneur de l'Antiquité que je défens, puisque ses plus grandes beautés consistent dans l'amas precieux des figures antiques & des tableaux anciens qu'on y a portez, & que le surplus de ce Palais [ndr : Versailles] ne peut être considerable qu'autant que les ouvriers qui y ont travaillé ont eu l'adresse de bien imiter dans leurs ouvrages la grande & noble manière des Anciens.

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MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique

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CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
CONCEPTS ESTHETIQUES → antique
CONCEPTS ESTHETIQUES → grandeur et noblesse

LE PRESIDENT. Ce plafond [ndr : à Versailles] frappe agréablement la vûë, & me fait souvenir de ces beaux morceaux de Fresque que j'ay vûs en Italie. [...]
LE CHEVALIER. J’aime à voir dans ces Galleries, où l’œil est trompé, tant la Perspective y est bien observée, […].

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
SPECTATEUR → perception et regard
EFFET PICTURAL → trompe-l’œil

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
SPECTATEUR → perception et regard
L’ARTISTE → qualités

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
SPECTATEUR → perception et regard

LE PRESIDENT. Si la Sculpture moderne l’emporte si fort sur la Sculpture antique par cet endroit que vous marquez [ndr : un bas-relief de François Anguier], il faut que la Peinture d’aujourd’huy soit bien superieure à celle des Anciens, puisqu’enfin c’est d’elle que la Sculpture a appris tous ces secrets de degradation & de perspective.

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective

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PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → comparaison entre les arts

LE PRESIDENT. Si la Sculpture moderne l’emporte si fort sur la Sculpture antique par cet endroit que vous marquez [ndr : un bas-relief de François Anguier], il faut que la Peinture d’aujourd’huy soit bien superieure à celle des Anciens, puisqu’enfin c’est d’elle que la Sculpture a appris tous ces secrets de degradation & de perspective.
L’ABBE. J’en demeure d’accord, & la consequence en est tres juste ; mais puisqu’il s’agit presentement de la Peinture, il faut commencer par la distinguer suivant les divers temps où elle a fleuri, & en faire trois classes : Celle du temps d’Appelle, de Zeuxis, de Timante, & de tous ces grands Peintres dont les Livres rapportent tant des merveilles ; Celle du temps de Raphael, du Titien, de Paul Veronese, & de plusieurs autres excellens Maistres d’Italie, & Celle du siecle où nous vivons.
Si nous voulons suivre l’opinion commune qui regle presque toûjours le merite selon l'ancienneté, nous mettrons le siecle d'Apelle beaucoup au dessus de celuy de Raphael, & celuy de Raphael beaucoup au dessus du nostre ; mais je ne suis nullement d’accord de cet arrangement, particulierement à l'égard de la preference qu’on donne au siecle d’Apelle sur celuy de Raphael.
LE PRESIDENT. Comment pouvez-vous ne pas convenir d'un jugement si universel & si raisonnable, sur tout après estre demeuré d'accord de l'excellence de la sculpture de Phidias & de Praxitele ; car si la sculpture de ces temps-là l'emporte sur celle de tous les siecles qui ont suivi, à plus forte raison la Peinture, si nous considerons qu'elle est susceptible de mille beautez & de mille agrémens dont la Sculpture n’est point capable.
L'ABBE. C’est par cette raison là mesme que la consequence que vous tirez n’est pas recevable.
Si la Peinture estoit un Art aussi simple & aussi borné que l’est la Sculpture en fait d'ouvrages de ronde bosse, car c'est en cela seul qu'elle a excellé parmi les Anciens, je me rendrois à vostre advis, mais la Peinture est un Art si vaste de d'une si grande étenduë, qu'il n'a pas moins fallu que la durée de tous les siecles pour en découvrir tous les secrets & tous les mysteres. Pour vous convaincre du peu de beauté des peintures antiques, & de combien elles doivent estre mises au dessous de celles de Raphael, du Titien & de Paul Veronese, & de celles qui se font aujourd’hui, je ne veux me servir que des loüanges mesmes qu'on leur a données.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique

Conceptual field(s)

PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture
PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → comparaison entre les arts

Si nous voulons suivre l’opinion commune qui regle presque toûjours le merite selon l'ancienneté, nous mettrons le siecle d'Apelle beaucoup au dessus de celuy de Raphael, & celuy de Raphael beaucoup au dessus du nostre ; mais je ne suis nullement d’accord de cet arrangement, particulierement à l'égard de la preference qu’on donne au siecle d’Apelle sur celuy de Raphael.
LE PRESIDENT. Comment pouvez-vous ne pas convenir d'un jugement si universel & si raisonnable, sur tout après estre demeuré d'accord de l'excellence de la sculpture de Phidias & de Praxitele ; car si la sculpture de ces temps-là l'emporte sur celle de tous les siecles qui ont suivi, à plus forte raison la Peinture, si nous considerons qu'elle est susceptible de mille beautez & de mille agrémens dont la Sculpture n’est point capable.
L'ABBE. C’est par cette raison là mesme que la consequence que vous tirez n’est pas recevable.
Si la Peinture estoit un Art aussi simple & aussi borné que l’est la Sculpture en fait d'ouvrages de ronde bosse, car c'est en cela seul qu'elle a excellé parmi les Anciens, je me rendrois à vostre advis, mais la Peinture est un Art si vaste de d'une si grande étenduë, qu'il n'a pas moins fallu que la durée de tous les siecles pour en découvrir tous les secrets & tous les mysteres. Pour vous convaincre du peu de beauté des peintures antiques, & de combien elles doivent estre mises au dessous de celles de Raphael, du Titien & de Paul Veronese, & de celles qui se font aujourd’hui, je ne veux me servir que des loüanges mesmes qu'on leur a données.

opinion

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

jugement

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SPECTATEUR → jugement

Si la Peinture estoit un Art aussi simple & aussi borné que l’est la Sculpture en fait d'ouvrages de ronde bosse, car c'est en cela seul qu'elle a excellé parmi les Anciens, je me rendrois à vostre advis, mais la Peinture est un Art si vaste de d'une si grande étenduë, qu'il n'a pas moins fallu que la durée de tous les siecles pour en découvrir tous les secrets & tous les mysteres. Pour vous convaincre du peu de beauté des peintures antiques, & de combien elles doivent estre mises au dessous de celles de Raphael, du Titien & de Paul Veronese, & de celles qui se font aujourd’hui, je ne veux me servir que des loüanges mesmes qu'on leur a données.

Conceptual field(s)

PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture
PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → comparaison entre les arts

Le mesme Pline raconte encore que Parrhasius avoit contrefait si naïvement un rideau, que Zeuxis mesme y fut trompé. De semblables tromperies se font tous les jours par des Ouvrages dont on ne fait aucune estime. […] Le meme Autheur [ndr : Pline] rapporte comme une merveille de ce qu'un Peintre de ces temps, là en peignant un pigeon, en avoit représenté l'ombre sur le bord de l'auge où il buvoit. Cela montre seulement qu'on n'avoit point encore representé l'ombre qu'un corps fait sur un autre quand il le cache à la lumiere.

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → trompe-l’œil
CONCEPTS ESTHETIQUES → nature, imitation et vrai

Il [ndr : Pline] loüe un autre Peintre d'avoir fait une Minerve dont les yeux estoient tournez vers tous ceux qui la regardoient. Qui ne sçait que quand un Peintre se fait regarder de la personne qu'il peint, le Portrait tourne aussi les yeux sur tous ceux qui le regardent en quelque endroit qu'ils soient placez. Il dit qu’Appelle fit un Hercule, qui estant veu par le dos ne laissoit pas de montrer le visage ; l'étonnement avec lequel il dit qu'on regarda cet Hercule, est une preuve que jusques-la les Peintres avoient fait leurs figures tout d'une piece & sans leur donner aucune attitude qui marquast du mouvement &, de la vie.

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L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

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GENRES PICTURAUX → portrait

Mais que dirons-nous de ce coup de Maistre du mesme Appelle qui luy acquit le renom du plus grand Peintre de son siecle, de cette adresse admirable avec laquelle il fendit un trait fort délié par un trait plus delié encore.
LE PRESIDENT. Je voy que vous n'entendez pas quel fut le combat d'Appelle & de Protogene. Vous estes dans l'erreur du commun du monde qui croit qu'Appelle ayant fait un trait fort delié sur une toile, pour faire connoistre à Protogene que ce ne pouvoit pas estre un autre Peintre qu'Appelle qui l'estoit venu demander, Protogene avoit fait un trait d'une autre couleur qui fendoit en deux celuy d'Appelle, & qu'Appelle étant revenu il avoit refendu celuy de Protogene d'un trait encore beaucoup plus mince.
[...] Il est donc vray qu'il s'agissoit entre Protogene & Appelle d'une adresse de main, & de voir à qui feroit un trait plus delié. Cette sorte d'adresse a longtemps tenu lieu d'un grand merite  parmi les Peintres. L'O de Giotto en est une preuve […].
Mais il y a déja long-temps que ces sortes d'adresses ne sont plus d'aucun merite parmy les Peintres. […] Le Poussin lorsque la main luy trembloit, & qu'à peine il pouvoit placer son pinceau & sa couleur où il vouloit, a fait des tableaux d'une beauté inestimable, pendant que mille Peintres qui auroient fendu en dix le trait le plus delicat du Poussin, n'ont fait que des tableaux tres-mediocres. Ces sortes de proüesses sont des signes évidens de l'enfance de la peinture. Quelques années avant Raphael & le Titien, il s'est fait des tableaux, & nous les avons encore, dont la beauté principale consiste dans cette finesse de lineamens, on y conte tous les poils de la barbe & tous les cheveux de la teste de chaque figure.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités
EFFET PICTURAL → qualité du dessin

ligne · lineament

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → dessin
L’ARTISTE → qualités
EFFET PICTURAL → qualité du dessin

Mais que dirons-nous de ce coup de Maistre du mesme Appelle qui luy acquit le renom du plus grand Peintre de son siecle, de cette adresse admirable avec laquelle il fendit un trait fort délié par un trait plus delié encore.
LE PRESIDENT. Je voy que vous n'entendez pas quel fut le combat d'Appelle & de Protogene. Vous estes dans l'erreur du commun du monde qui croit qu'Appelle ayant fait un trait fort delié sur une toile, pour faire connoistre à Protogene que ce ne pouvoit pas estre un autre Peintre qu'Appelle qui l'estoit venu demander, Protogene avoit fait un trait d'une autre couleur qui fendoit en deux celuy d'Appelle, & qu'Appelle étant revenu il avoit refendu celuy de Protogene d'un trait encore beaucoup plus mince.
Mais ce n'est point là la verité de l'Histoire, le combat fut sur la nuance des couleurs digne sujet de dispute & d'émulation entre des peintres, & non pas sur l’adresse de tirer des lignes. [...] Il est donc vray qu'il s'agissoit entre Protogene & Appelle d'une adresse de main, & de voir à qui feroit un trait plus delié. Cette sorte d'adresse a longtemps tenu lieu d'un grand merite  parmi les Peintres. L'O de Giotto en est une preuve […].
Mais il y a déja long-temps que ces sortes d'adresses ne sont plus d'aucun merite parmy les Peintres. […] Le Poussin lorsque la main luy trembloit, & qu'à peine il pouvoit placer son pinceau & sa couleur où il vouloit, a fait des tableaux d'une beauté inestimable, pendant que mille Peintres qui auroient fendu en dix le trait le plus delicat du Poussin, n'ont fait que des tableaux tres-mediocres. Ces sortes de proüesses sont des signes évidens de l'enfance de la peinture. Quelques années avant Raphael & le Titien, il s'est fait des tableaux, & nous les avons encore, dont la beauté principale consiste dans cette finesse de lineamens, on y conte tous les poils de la barbe & tous les cheveux de la teste de chaque figure.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités

Mais ce n'est point là la verité de l'Histoire, le combat fut sur la nuance des couleurs digne sujet de dispute & d'émulation entre des peintres, & non pas sur l’adresse de tirer des lignes. Appelle prit un pinceau & fit une nuance si delicate, si douce & si parfaite, qu'à peine pouvoit-on voir le passage d'une couleur à l'autre. Protogene fit sur cette nuance, une autre nuance encore plus fine & plus adoucie. Appelle vint qui encherit tellement sur Protogene par une troisiéme nuance qu'il fit sur les deux autres, que Protogene confessa qu'il ne s'y pouvoit rien ajoûter.
L'ABBÉ. Vous me permettrez de vous dire que vous avez pris ce galimatias dans le Livre de Ludovicus Demontiosius. Comment pouvez-vous concevoir qu'on peigne des nuances de couleurs, les unes sur les autres, & qu'on ne laisse pas de voir que la dernière des trois est la plus delicate ? [...].

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → qualité des couleurs

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → qualité des couleurs

Il est donc vray qu'il s'agissoit entre Protogene & Appelle d'une adresse de main, & de voir à qui feroit un trait plus delié. Cette sorte d'adresse a longtemps tenu lieu d'un grand merite  parmi les Peintres. L'O de Giotto en est une preuve […].
Mais il y a déja long-temps que ces sortes d'adresses ne sont plus d'aucun merite parmy les Peintres. […] Le Poussin lorsque la main luy trembloit, & qu'à peine il pouvoit placer son pinceau & sa couleur où il vouloit, a fait des tableaux d'une beauté inestimable, pendant que mille Peintres qui auroient fendu en dix le trait le plus delicat du Poussin, n'ont fait que des tableaux tres-mediocres. Ces sortes de proüesses sont des signes évidens de l'enfance de la peinture. Quelques années avant Raphael & le Titien, il s'est fait des tableaux, & nous les avons encore, dont la beauté principale consiste dans cette finesse de lineamens, on y conte tous les poils de la barbe & tous les cheveux de la teste de chaque figure.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
L’ARTISTE → qualités

Mais il y a déja long-temps que ces sortes d'adresses ne sont plus d'aucun merite parmy les Peintres. […] Le Poussin lorsque la main luy trembloit, & qu'à peine il pouvoit placer son pinceau & sa couleur où il vouloit, a fait des tableaux d'une beauté inestimable, pendant que mille Peintres qui auroient fendu en dix le trait le plus delicat du Poussin, n'ont fait que des tableaux tres-mediocres. Ces sortes de proüesses sont des signes évidens de l'enfance de la peinture. Quelques années avant Raphael & le Titien, il s'est fait des tableaux, & nous les avons encore, dont la beauté principale consiste dans cette finesse de lineamens, on y conte tous les poils de la barbe & tous les cheveux de la teste de chaque figure.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection
EFFET PICTURAL → qualité du dessin

Par la composition du tout ensemble j'entens l'assemblage judicieux de toutes ces figures, placées avec entente, & dégradées de couleur selon l'endroit du plan où elles sont posées.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → qualité de la composition
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → groupe
EFFET PICTURAL → qualité de la lumière

Pour bien me faire entendre, il faut que je distingue trois choses dans la peinture. La representation des figures, l'expression des passions, & la composition du tout ensemble. Dans la representation des figures je comprens non seulement la juste delineation de leurs contours, mais aussi l'application des vraies couleurs qui leur conviennent. Par l'expression des passions, j'entens les differens caracteres des visages & les diverses attitudes des figures qui marquent ce qu'elles veulent faire, ce qu'elles pensent, en un mot ce qui se passe dans le fond de leur ame. Par la composition du tout ensemble j'entens l'assemblage judicieux de toutes ces figures, placées avec entente, & dégradées de couleur selon l'endroit du plan où elles sont posées.

Conceptual field(s)

PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture

Pour bien me faire entendre, il faut que je distingue trois choses dans la peinture. La representation des figures, l'expression des passions, & la composition du tout ensemble. Dans la representation des figures je comprens non seulement la juste delineation de leurs contours, mais aussi l'application des vraies couleurs qui leur conviennent. Par l'expression des passions, j'entens les differens caracteres des visages & les diverses attitudes des figures qui marquent ce qu'elles veulent faire, ce qu'elles pensent, en un mot ce qui se passe dans le fond de leur ame. Par la composition du tout ensemble j'entens l'assemblage judicieux de toutes ces figures, placées avec entente, & dégradées de couleur selon l'endroit du plan où elles sont posées. 
Ce que je dis icy d'un tableau où il y a plusieurs figures, se doit entendre aussi d'un tableau où il n'y en a qu'une, parce que les différentes parties de cette figure sont entr'elles ce que plusieurs figures sont les unes à l'égard des autres. Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par apprendre à designer le contour des figures, & à le remplir de leurs couleurs naturelles ; qu'ensuite ils s'étudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les passions dont ils veulent qu'elles, paroissent animées, mais que ce n'est qu'après un long-temps qu'ils sçavent ce qu'on doit observer pour bien disposer la composition d'un tableau, pour bien distribuer le clair obscur, & pour bien mettre toutes choses dans les regles de la perspective ; tant pour le trait que pour l’affoiblissement des ombres & des lumieres.

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → figure et corps

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → groupe
CONCEPTION DE LA PEINTURE → dessin
CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition
CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur

Par la composition du tout ensemble j'entens l'assemblage judicieux de toutes ces figures, placées avec entente, & dégradées de couleur selon l'endroit du plan où elles sont posées. 
Ce que je dis icy d'un tableau où il y a plusieurs figures, se doit entendre aussi d'un tableau où il n'y en a qu'une, parce que les différentes parties de cette figure sont entr'elles ce que plusieurs figures sont les unes à l'égard des autres. Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par apprendre à designer le contour des figures, & à le remplir de leurs couleurs naturelles ; qu'ensuite ils s'étudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les passions dont ils veulent qu'elles, paroissent animées, mais que ce n'est qu'après un long-temps qu'ils sçavent ce qu'on doit observer pour bien disposer la composition d'un tableau, pour bien distribuer le clair obscur, & pour bien mettre toutes choses dans les regles de la perspective ; tant pour le trait que pour l’affoiblissement des ombres & des lumieres.

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
EFFET PICTURAL → qualité de la composition
L’ARTISTE → règles et préceptes

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
EFFET PICTURAL → qualité des couleurs
CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur

Pour bien me faire entendre, il faut que je distingue trois choses dans la peinture. La representation des figures, l'expression des passions, & la composition du tout ensemble. Dans la representation des figures je comprens non seulement la juste delineation de leurs contours, mais aussi l'application des vraies couleurs qui leur conviennent. Par l'expression des passions, j'entens les differens caracteres des visages & les diverses attitudes des figures qui marquent ce qu'elles veulent faire, ce qu'elles pensent, en un mot ce qui se passe dans le fond de leur ame. Par la composition du tout ensemble j'entens l'assemblage judicieux de toutes ces figures, placées avec entente, & dégradées de couleur selon l'endroit du plan où elles sont posées. 
Ce que je dis icy d'un tableau où il y a plusieurs figures, se doit entendre aussi d'un tableau où il n'y en a qu'une, parce que les différentes parties de cette figure sont entr'elles ce que plusieurs figures sont les unes à l'égard des autres. Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par apprendre à designer le contour des figures, & à le remplir de leurs couleurs naturelles ; qu'ensuite ils s'étudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les passions dont ils veulent qu'elles, paroissent animées, mais que ce n'est qu'après un long-temps qu'ils sçavent ce qu'on doit observer pour bien disposer la composition d'un tableau, pour bien distribuer le clair obscur, & pour bien mettre toutes choses dans les regles de la perspective ; tant pour le trait que pour l’affoiblissement des ombres & des lumieres. 
De mesme ceux qui les premiers dans le monde ont commencé à peindre, ne se sont appliquez d'abord qu'à representer naïvement le trait & la couleur des objets, sans desirer autre chose, sinon que ceux qui verroient leurs Ouvrages peussent dire, voila un Homme , voila un Cheval, voila un Arbre, […]. Ensuite ils ont passé à donner de belles attitudes à leurs figures, & à les animer vivement de toutes les passions imaginables : Et voila les deux seules parties de la peinture, où nous sommes obligez de croire que soient parvenus les Appelles & les Zeuxis, si nous en jugeons par la vray-semblance du progrez que leur Art a pû faire, & parce que les Auteurs nous rapportent de leurs Ouvrages ; sans qu'ils ayent jamais connu, si ce n'est tres-imparfaitement, cette troisiéme partie de la peinture qui regarde la composition d'un tableau, suivant les regles & les égards que je viens d'expliquer.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur
CONCEPTS ESTHETIQUES → convenance, bienséance

Ce que je dis icy d'un tableau où il y a plusieurs figures, se doit entendre aussi d'un tableau où il n'y en a qu'une, parce que les différentes parties de cette figure sont entr'elles ce que plusieurs figures sont les unes à l'égard des autres. Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par apprendre à designer le contour des figures, & à le remplir de leurs couleurs naturelles ; qu'ensuite ils s'étudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les passions dont ils veulent qu'elles, paroissent animées, mais que ce n'est qu'après un long-temps qu'ils sçavent ce qu'on doit observer pour bien disposer la composition d'un tableau, pour bien distribuer le clair obscur, & pour bien mettre toutes choses dans les regles de la perspective ; tant pour le trait que pour l’affoiblissement des ombres & des lumieres.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → lumière
EFFET PICTURAL → qualité de la lumière

Ce que je dis icy d'un tableau où il y a plusieurs figures, se doit entendre aussi d'un tableau où il n'y en a qu'une, parce que les différentes parties de cette figure sont entr'elles ce que plusieurs figures sont les unes à l'égard des autres. Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par apprendre à designer le contour des figures, & à le remplir de leurs couleurs naturelles ; qu'ensuite ils s'étudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les passions dont ils veulent qu'elles, paroissent animées, mais que ce n'est qu'après un long-temps qu'ils sçavent ce qu'on doit observer pour bien disposer la composition d'un tableau, pour bien distribuer le clair obscur, & pour bien mettre toutes choses dans les regles de la perspective ; tant pour le trait que pour l’affoiblissement des ombres & des lumieres. 
De mesme ceux qui les premiers dans le monde ont commencé à peindre, ne se sont appliquez d'abord qu'à representer naïvement le trait & la couleur des objets, sans desirer autre chose, sinon que ceux qui verroient leurs Ouvrages peussent dire, voila un Homme , voila un Cheval, voila un Arbre, […]. Ensuite ils ont passé à donner de belles attitudes à leurs figures, & à les animer vivement de toutes les passions imaginables : Et voila les deux seules parties de la peinture, où nous sommes obligez de croire que soient parvenus les Appelles & les Zeuxis, si nous en jugeons par la vray-semblance du progrez que leur Art a pû faire, & parce que les Auteurs nous rapportent de leurs Ouvrages ; sans qu'ils ayent jamais connu, si ce n'est tres-imparfaitement, cette troisiéme partie de la peinture qui regarde la composition d'un tableau, suivant les regles & les égards que je viens d'expliquer.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur
CONCEPTS ESTHETIQUES → convenance, bienséance

Comme ceux qui apprennent à peindre commencent par apprendre à designer le contour des figures, & à le remplir de leurs couleurs naturelles ; qu'ensuite ils s'étudient à donner de belles attitudes à leurs figures & à bien exprimer les passions dont ils veulent qu'elles, paroissent animées, mais que ce n'est qu'après un long-temps qu'ils sçavent ce qu'on doit observer pour bien disposer la composition d'un tableau, pour bien distribuer le clair obscur, & pour bien mettre toutes choses dans les regles de la perspective ; tant pour le trait que pour l’affoiblissement des ombres & des lumieres. 
De mesme ceux qui les premiers dans le monde ont commencé à peindre, ne se sont appliquez d'abord qu'à representer naïvement le trait & la couleur des objets, sans desirer autre chose, sinon que ceux qui verroient leurs Ouvrages peussent dire, voila un Homme , voila un Cheval, voila un Arbre, […]. Ensuite ils ont passé à donner de belles attitudes à leurs figures, & à les animer vivement de toutes les passions imaginables : Et voila les deux seules parties de la peinture, où nous sommes obligez de croire que soient parvenus les Appelles & les Zeuxis, si nous en jugeons par la vray-semblance du progrez que leur Art a pû faire, & parce que les Auteurs nous rapportent de leurs Ouvrages ; sans qu'ils ayent jamais connu, si ce n'est tres-imparfaitement, cette troisiéme partie de la peinture qui regarde la composition d'un tableau, suivant les regles & les égards que je viens d'expliquer.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → dessin

De mesme ceux qui les premiers dans le monde ont commencé à peindre, ne se sont appliquez d'abord qu'à representer naïvement le trait & la couleur des objets, sans desirer autre chose, sinon que ceux qui verroient leurs Ouvrages peussent dire, voila un Homme , voila un Cheval, voila un Arbre, […]. Ensuite ils ont passé à donner de belles attitudes à leurs figures, & à les animer vivement de toutes les passions imaginables : Et voila les deux seules parties de la peinture, où nous sommes obligez de croire que soient parvenus les Appelles & les Zeuxis, si nous en jugeons par la vray-semblance du progrez que leur Art a pû faire, & parce que les Auteurs nous rapportent de leurs Ouvrages ; sans qu'ils ayent jamais connu, si ce n'est tres-imparfaitement, cette troisiéme partie de la peinture qui regarde la composition d'un tableau, suivant les regles & les égards que je viens d'expliquer. [...] […] L'ABBE. Tous ces effets merveilleux de la peinture antique, n’empeschent pas que je ne persiste dans ma proposition ; car ce n'est point la belle ordonnance d'un tableau, la juste dispensation des lumières, la judicieuse degradation des objets, ny tout ce qui compose cette troisiéme partie de la peinture dont j'ay parlé, qui touche, qui charme & qui enleve. Ce n'est que la juste delineation des objets revétus de leurs vrayes couleurs, & sur tout l'expression vive & naturelle des mouvemens de l'ame, qui font de fortes impressions sur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la peinture a trois parties qui la composent, il y a aussi trois parties dans l'homme par où il en est touché, les sens, le cœur & la raison. La juste delineation des objets, accompagnée de leur couleur, frappe agreablement les yeux ; la naïve expression des mouvemens de l’ame va droit au cœur, & imprimant sur luy les mesmes passions qu'il voit representées, luy donne un plaisir tres sensible. Et enfin l'entente qui paroist dans la juste distribution des ombres & des lumieres dans la degradation des figures selon leur plan & dans le bel ordre d'une composition judicieusement ordonnée, plaist à la raison, & luy fait ressentir une joye moins vive à la verité, mais plus spirituelle & plus digne d'un homme. Il en est de mesme des Ouvrages de tous les autres Arts […]. 
Je dis donc qu'il a suffi aux Appelles & aux Zeuxis pour se faire admirer de toute la Terre d'avoir charmé les yeux & touché le cœur, sans qu'il leur ait esté necessaire de posseder cette troisiéme partie de la peinture [ndr : la composition], qui ne va qu’à satisfaire la raison ; car bien loin que cette partie serve à charmer le commun du monde, elle y nuit fort souvent, & n'aboutit qu'à luy déplaire.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → dessin
CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur
CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition

Ce n'est que la juste delineation des objets revétus de leurs vrayes couleurs, & sur tout l'expression vive & naturelle des mouvemens de l'ame, qui font de fortes impressions sur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la peinture a trois parties qui la composent, il y a aussi trois parties dans l'homme par où il en est touché, les sens, le cœur & la raison. La juste delineation des objets, accompagnée de leur couleur, frappe agreablement les yeux ; la naïve expression des mouvemens de l’ame va droit au cœur, & imprimant sur luy les mesmes passions qu'il voit representées, luy donne un plaisir tres sensible. Et enfin l'entente qui paroist dans la juste distribution des ombres & des lumieres dans la degradation des figures selon leur plan & dans le bel ordre d'une composition judicieusement ordonnée, plaist à la raison, & luy fait ressentir une joye moins vive à la verité, mais plus spirituelle & plus digne d'un homme. Il en est de mesme des Ouvrages de tous les autres Arts […]. 
Je dis donc qu'il a suffi aux Appelles & aux Zeuxis pour se faire admirer de toute la Terre d'avoir charmé les yeux & touché le cœur, sans qu'il leur ait esté necessaire de posseder cette troisiéme partie de la peinture [ndr : la composition], qui ne va qu’à satisfaire la raison ; car bien loin que cette partie serve à charmer le commun du monde, elle y nuit fort souvent, & n'aboutit qu'à luy déplaire.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → perception et regard

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → perception et regard

[…] L'ABBE. Tous ces effets merveilleux de la peinture antique, n’empeschent pas que je ne persiste dans ma proposition ; car ce n'est point la belle ordonnance d'un tableau, la juste dispensation des lumières, la judicieuse degradation des objets, ny tout ce qui compose cette troisiéme partie de la peinture dont j'ay parlé, qui touche, qui charme & qui enleve. Ce n'est que la juste delineation des objets revétus de leurs vrayes couleurs, & sur tout l'expression vive & naturelle des mouvemens de l'ame, qui font de fortes impressions sur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la peinture a trois parties qui la composent, il y a aussi trois parties dans l'homme par où il en est touché, les sens, le cœur & la raison. La juste delineation des objets, accompagnée de leur couleur, frappe agreablement les yeux ; la naïve expression des mouvemens de l’ame va droit au cœur, & imprimant sur luy les mesmes passions qu'il voit representées, luy donne un plaisir tres sensible. Et enfin l'entente qui paroist dans la juste distribution des ombres & des lumieres dans la degradation des figures selon leur plan & dans le bel ordre d'une composition judicieusement ordonnée, plaist à la raison, & luy fait ressentir une joye moins vive à la verité, mais plus spirituelle & plus digne d'un homme. Il en est de mesme des Ouvrages de tous les autres Arts […]. 
Je dis donc qu'il a suffi aux Appelles & aux Zeuxis pour se faire admirer de toute la Terre d'avoir charmé les yeux & touché le cœur, sans qu'il leur ait esté necessaire de posseder cette troisiéme partie de la peinture [ndr : la composition], qui ne va qu’à satisfaire la raison ; car bien loin que cette partie serve à charmer le commun du monde, elle y nuit fort souvent, & n'aboutit qu'à luy déplaire.

plaire
déplaire

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → perception et regard

[…] L'ABBE. Tous ces effets merveilleux de la peinture antique, n’empeschent pas que je ne persiste dans ma proposition ; car ce n'est point la belle ordonnance d'un tableau, la juste dispensation des lumières, la judicieuse degradation des objets, ny tout ce qui compose cette troisiéme partie de la peinture dont j'ay parlé, qui touche, qui charme & qui enleve. Ce n'est que la juste delineation des objets revétus de leurs vrayes couleurs, & sur tout l'expression vive & naturelle des mouvemens de l'ame, qui font de fortes impressions sur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la peinture a trois parties qui la composent, il y a aussi trois parties dans l'homme par où il en est touché, les sens, le cœur & la raison. La juste delineation des objets, accompagnée de leur couleur, frappe agreablement les yeux ; la naïve expression des mouvemens de l’ame va droit au cœur, & imprimant sur luy les mesmes passions qu'il voit representées, luy donne un plaisir tres sensible. Et enfin l'entente qui paroist dans la juste distribution des ombres & des lumieres dans la degradation des figures selon leur plan & dans le bel ordre d'une composition judicieusement ordonnée, plaist à la raison, & luy fait ressentir une joye moins vive à la verité, mais plus spirituelle & plus digne d'un homme. Il en est de mesme des Ouvrages de tous les autres Arts […]. 
Je dis donc qu'il a suffi aux Appelles & aux Zeuxis pour se faire admirer de toute la Terre d'avoir charmé les yeux & touché le cœur, sans qu'il leur ait esté necessaire de posseder cette troisiéme partie de la peinture [ndr : la composition], qui ne va qu’à satisfaire la raison ; car bien loin que cette partie serve à charmer le commun du monde, elle y nuit fort souvent, & n'aboutit qu'à luy déplaire.
En effet, combien y a-il de personnes qui voudroient qu'on fist les personnages éloignez aussi forts & aussi marquez que ceux qui sont proches ; afin de les mieux voir, qui de bon cœur quitteroient le Peintre de toute la peine qu'il se donne à composer son tableau & à dégrader les figures sélon leur plan ; mais sur tout qui seroient bien aises qu'on ne fist point d'ombres dans les visages & particulièrement dans les portraits des personnes qu'ils aiment.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique

[…] L'ABBE. Tous ces effets merveilleux de la peinture antique, n’empeschent pas que je ne persiste dans ma proposition ; car ce n'est point la belle ordonnance d'un tableau, la juste dispensation des lumières, la judicieuse degradation des objets, ny tout ce qui compose cette troisiéme partie de la peinture dont j'ay parlé, qui touche, qui charme & qui enleve. Ce n'est que la juste delineation des objets revétus de leurs vrayes couleurs, & sur tout l'expression vive & naturelle des mouvemens de l'ame, qui font de fortes impressions sur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la peinture a trois parties qui la composent, il y a aussi trois parties dans l'homme par où il en est touché, les sens, le cœur & la raison. La juste delineation des objets, accompagnée de leur couleur, frappe agreablement les yeux ; la naïve expression des mouvemens de l’ame va droit au cœur, & imprimant sur luy les mesmes passions qu'il voit representées, luy donne un plaisir tres sensible. Et enfin l'entente qui paroist dans la juste distribution des ombres & des lumieres dans la degradation des figures selon leur plan & dans le bel ordre d'une composition judicieusement ordonnée, plaist à la raison, & luy fait ressentir une joye moins vive à la verité, mais plus spirituelle & plus digne d'un homme. Il en est de mesme des Ouvrages de tous les autres Arts […].

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → qualité du dessin

Ce n'est que la juste delineation des objets revétus de leurs vrayes couleurs, & sur tout l'expression vive & naturelle des mouvemens de l'ame, qui font de fortes impressions sur ceux qui les regardent. Car il faut remarquer que comme la peinture a trois parties qui la composent, il y a aussi trois parties dans l'homme par où il en est touché, les sens, le cœur & la raison. La juste delineation des objets, accompagnée de leur couleur, frappe agreablement les yeux ; la naïve expression des mouvemens de l’ame va droit au cœur, & imprimant sur luy les mesmes passions qu'il voit representées, luy donne un plaisir tres sensible. Et enfin l'entente qui paroist dans la juste distribution des ombres & des lumieres dans la degradation des figures selon leur plan & dans le bel ordre d'une composition judicieusement ordonnée, plaist à la raison, & luy fait ressentir une joye moins vive à la verité, mais plus spirituelle & plus digne d'un homme. Il en est de mesme des Ouvrages de tous les autres Arts […].

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → qualité des couleurs
SPECTATEUR → perception et regard

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → perception et regard

Mais revenons à la Peinture. Je puis encore prouver le peu de suffisance des Peintres anciens par quelques morceaux de peinture antique qu'on voit à Rome en deux ou trois en-droits ; car quoy que ces ouvrages ne soient pas tout à fait du temps d’Appelle & de Zeuxis, ils sont apparemment dans la mesme manière ; & tout ce qu'il peut y avoir de difference, c'est que les Maistres qui les ont faits estant un peu moins anciens, pourroient avoir sçû quelque chose davantage dans la peinture. J’ay vû celuy des Nopces qui est dans la Vigne Aldobrandine, & celuy qu'on appelle le Tombeau d'Ovide. Les figures en sont bien dessinées, les attitudes sages & naturelles, & il y a beaucoup de noblesse & de dignité dans les airs de teste, mais il y a tres-peu d'entente dans le mélange des couleurs ; & point du tout dans la perspective ny dans l’ordonnance. Toutes les teintes sont aussi fortes les unes que les autres, rien n'avance, rien ne recule dans le tableau, & toutes les figures sont presque sur la mesme ligne, en sorte que c’est bien moins un tableau qu'un bas relief antique coloré, tout y est sec & immobile sans union, sans liaison, & sans cette mollesse des corps vivans qui les distingue du marbre & de la bronze qui les représentent.

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → couleur
EFFET PICTURAL → qualité des couleurs

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

liaison

Conceptual field(s)

Mais revenons à la Peinture. Je puis encore prouver le peu de suffisance des Peintres anciens par quelques morceaux de peinture antique qu'on voit à Rome en deux ou trois en-droits ; car quoy que ces ouvrages ne soient pas tout à fait du temps d’Appelle & de Zeuxis, ils sont apparemment dans la mesme manière ; & tout ce qu'il peut y avoir de difference, c'est que les Maistres qui les ont faits estant un peu moins anciens, pourroient avoir sçû quelque chose davantage dans la peinture. J’ay vû celuy des Nopces qui est dans la Vigne Aldobrandine, & celuy qu'on appelle le Tombeau d'Ovide. Les figures en sont bien dessinées, les attitudes sages & naturelles, & il y a beaucoup de noblesse & de dignité dans les airs de teste, mais il y a tres-peu d'entente dans le mélange des couleurs ; & point du tout dans la perspective ny dans l’ordonnance. Toutes les teintes sont aussi fortes les unes que les autres, rien n'avance, rien ne recule dans le tableau, & toutes les figures sont presque sur la mesme ligne, en sorte que c’est bien moins un tableau qu'un bas relief antique coloré, tout y est sec & immobile sans union, sans liaison, & sans cette mollesse des corps vivans qui les distingue du marbre & de la bronze qui les représentent. Ainsi la grande difficulté n'est pas de prouver qu'on l'emporte aujourd'huy sur Zeuxis, sur les Timantes & sur les Appelles, mais de faire voir qu’on a encore quelque avantage sur les Raphaels, sur les Titiens, sur les Pauls Veroneses, & sur les autres grands Peintres du dernier siecle. Cependant j'ose avancer qu'à regarder l'Art en luy-mesme, entant qu’il est un amas & une collection de preceptes, on trouvera qu'il est plus accompli & plus parfait presentement qu'il ne l'estoit du temps de ces grands Maistres.

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique
MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → antique

Il est fort probable que le Tombeau d'Ovide évoqué ici par Perrault soit en réalité celui des Nasonii, retrouvé en 1674 à Rome, et orné de peintures. Parmi elles, on retrouve par exemple L'enlèvement de Proserpine (The Rape of Proserpina) conservé au British Museum. Des reproductions dans Le pitture antiche del sepolcro de Nasonii nella Via Flaminia : disegnate, ed intagliate alla similitudine degli antichi originali de Bellori, paru en 1680, doivent également être signalées (planche XII pour l'oeuvre du British Museum par exemple). À ce sujet, voir notamment, Delphine Burlot. Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques. Archéologie et Préhistoire. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2007, p. 68 et suivantes.

Conceptual field(s)

MANIÈRE ET STYLE → le faire et la main
CONCEPTS ESTHETIQUES → antique

Ainsi la grande difficulté n'est pas de prouver qu'on l'emporte aujourd'huy sur Zeuxis, sur les Timantes & sur les Appelles, mais de faire voir qu’on a encore quelque avantage sur les Raphaels, sur les Titiens, sur les Pauls Veroneses, & sur les autres grands Peintres du dernier siecle. Cependant j'ose avancer qu'à regarder l'Art en luy-mesme, entant qu’il est un amas & une collection de preceptes, on trouvera qu'il est plus accompli & plus parfait presentement qu'il ne l'estoit du temps de ces grands Maistres.

Conceptual field(s)

PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → règles et préceptes
PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture

Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors

Conceptual field(s)

CONCEPTS ESTHETIQUES → beauté, grâce et perfection

Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors ; mais comme un tableau est un poëme müet, où l'unité de lieu, de temps & d'action doit estre encore plus religieusement observée que dans un poëme veritable, parce que le lieu y est immuable, le temps indivisible, & l'action momentanée ; Voyons comment cette regle est observée dans ce tableau. [...] Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme. Si l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → règles et préceptes
CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → sujet et choix
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

L’ABBE. J'en conviens, mais quelle necessité & quelle bienseance y a-t’il que ces personnages parlent, & que cette femme vienne montrer là sa chair ? [...] Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage. Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → règles et préceptes
CONCEPTS ESTHETIQUES → convenance, bienséance

L’ABBE. J'en conviens, mais quelle necessité & quelle bienseance y a-t’il que ces personnages parlent, & que cette femme vienne montrer là sa chair ?
LE PRESIDENT. C'est un usage si receu de mettre dans des tableaux de pieté ceux qui les font faire, & d’y mettre aussi toute leur famille, que cet assemblage de personnes de differens temps & de differens lieux, ne devroit pas vous étonner.
L'ABBE. Je connois cet usage & je ne le blâme point, quoyque les Peintres n’ayent pas sujet d'en estre fort contens. On voit tous les jours dans des Nativitez, ceux qui ont fait le tableau, mais à genoux & dans l'adoration comme les Bergers. On en voit aussi dans des tableaux de Crucifix, mais prosternez & les yeux levez vers le Sauveur, en sorte que leur action particuliere est liée à l’action principale, & concourt à la mesme fin. Icy les personnages ne semblent pas se voir les uns les autres, & il n'y a que la seule volonté du Peintre qui les ayt fait trouver dans le mesme lieu.
LE PRESIDENT. Tous ces pretendus défauts ne regardent point le Peintre comme Peintre, mais feulement comme Historien.
L’ABBE.
Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage. Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

Conceptual field(s)

L’ARTISTE → qualités
L’ARTISTE → règles et préceptes
CONCEPTS ESTHETIQUES → convenance, bienséance

LE PRESIDENT. C'est un usage si receu de mettre dans des tableaux de pieté ceux qui les font faire, & d’y mettre aussi toute leur famille, que cet assemblage de personnes de differens temps & de differens lieux, ne devroit pas vous étonner.
L'ABBE. Je connois cet usage & je ne le blâme point, quoyque les Peintres n’ayent pas sujet d'en estre fort contens. On voit tous les jours dans des Nativitez, ceux qui ont fait le tableau, mais à genoux & dans l'adoration comme les Bergers. On en voit aussi dans des tableaux de Crucifix, mais prosternez & les yeux levez vers le Sauveur, en sorte que leur action particuliere est liée à l’action principale, & concourt à la mesme fin. Icy les personnages ne semblent pas se voir les uns les autres, & il n'y a que la seule volonté du Peintre qui les ayt fait trouver dans le mesme lieu.
LE PRESIDENT. Tous ces pretendus défauts ne regardent point le Peintre comme Peintre, mais feulement comme Historien.
L’ABBE.
Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement
GENRES PICTURAUX → peinture d’histoire
CONCEPTS ESTHETIQUES → convenance, bienséance

Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

Conceptual field(s)

CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → sujet et choix
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
L’ARTISTE → règles et préceptes
L’ARTISTE → qualités

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
EFFET PICTURAL → qualité de la composition
CONCEPTION DE LA PEINTURE → composition

i l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions. Tout ne va qu'à representer l'étonnement, l'admiration, la surprise & la crainte que cause l'arrivée du plus celebre Conquerant de la Terre, & si ces passions qui n'ont toutes qu'un mesme objet le trouvent différemment exprimées dans les diverses personnes qui les ressentent. La Mere de Darius abbatuë sous le poids de sa douleur & de son âge, [...]. [...] D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme. Si l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions. Tout ne va qu'à representer l'étonnement, l'admiration, la surprise & la crainte que cause l'arrivée du plus celebre Conquerant de la Terre, & si ces passions qui n'ont toutes qu'un mesme objet le trouvent différemment exprimées dans les diverses personnes qui les ressentent. La Mere de Darius abbatuë sous le poids de sa douleur & de son âge, [...].

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

Conceptual field(s)

D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

LE BRUN, Charles
LE BRUN, La tente de Darius, Versailles
VERONESE, Paolo (Paolo Caliari)

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
L’HISTOIRE ET LA FIGURE → action et attitude

LE BRUN, Charles
LE BRUN, La tente de Darius, Versailles
VERONESE, Paolo (Paolo Caliari)

Conceptual field(s)

L’HISTOIRE ET LA FIGURE → vêtements et plis
CONCEPTS ESTHETIQUES → convenance, bienséance

Si nous voulons présentement entrer dans ce qui est du pur Art de la peinture, nous trouverons que non seulement la Perspective y est partout bien observée, mais que rien ne se peut ajoûter à la belle œconomie du tout ensemble, les figures qui semblent participer presque également à la mesme lumiere, sont neantmoins tellement degradées, que si on les vouloit changer de place, elles ne pourroient s’accorder ensemble, à cause de la difference de leur teinte, qui semble la mesme dans la situation où elles sont, mais qui paroistroit alors tres-differente. Voila ce qui ne se peut pas dire si positivement du tableau des Pellerins, de Paul Veronese, ny de la plûpart des tableaux de son temps. Ainsi je compare les ouvrages de nos excellens Modernes à des corps animez, dont les parties sont tellement liées les unes avec les autres, qu'elles ne peuvent pas estre mises ailleurs, qu'au lieu où elles sont ; & je compare la plûpart des tableaux anciens à un amas de pierres ou d'autres choses jettées ensemble au hazard, & qui pourroient se ranger autrement qu'elles ne sont sans qu'on s'en apperçust.

LE BRUN, Charles
LE BRUN, La tente de Darius, Versailles
VERONESE, Paolo (Paolo Caliari)

Conceptual field(s)

LE BRUN, Charles
LE BRUN, La tente de Darius, Versailles
VERONESE, Paolo (Paolo Caliari)

Conceptual field(s)

LE CHEVALIER. Je vous avoue que le tableau de la famille Darius m'a toûjours semblé le chef-d’œuvre de Monsieur le Brun ; & peut-estre que l'honneur qu'il a eu de le peindre sous les yeux du Roy, est cause qu'il s'y est surpassé luy-mesme ; car il le fit à Fontainebleau, où Sa Majesté prenoit une extreme plaisir tous les jours à le voir travailler.
LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.

LE PRESIDENT. Vous passez donc condamnation pour ces deux tableaux ; & voila le siecle de Raphaël au dessus du nôtre.
L' ABBE. Cela ne conclut pas.

LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun. [...] L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […]. [...] Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille.

LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.

LE PRESIDENT. Vous passez donc condamnation pour ces deux tableaux ; & voila le siecle de Raphaël au dessus du nôtre.
L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […].

Conceptual field(s)

EFFET PICTURAL → perspective
EFFET PICTURAL → qualité de la composition

Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne.

Conceptual field(s)

PEINTURE, TABLEAU, IMAGE → définition de la peinture

Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille. Car je remarque que ces grands tableaux de Monsieur le Brun se peignent & s'embellissent tous les jours, & que le Temps en y adoucissant ce que le pinceau judicieux luy a donné pour estre adouci & pour amuser son activité, qui sans cela s'attaqueroit à la substance de l’ouvrage, y ajoûte mille nouvelles graces, qu’il n’y a que luy seul qui puisse donner.

L'ABBE. Cela est tres-vray, & il y aura toûjours de la peine à comparer un tableau ancien avec un moderne, parce qu'on ne sçait ce que sera le Temps & quelles beautez il doit ajoûter au tableau nouveau fait. Ainsi, je soûtiens toûjours que la Peinture en elle-mesme est aujourd'hui plus accomplie que dans le siecle mesme de Raphaël, parce que du costé du clair obscur, de la degradation des lumières & des diverses bienseances de la composition, on est plus instruit & plus delicat qu'on ne l'a jamais esté.
LE PRESIDENT. Cependant, ce n'est pas là le sentiment commun ; & si l'on en croit les Connoisseurs, les moindres tableaux des Anciens vont devant les plus beaux des Modernes.
L'ABBE. Vous croyez sans doute que cela vient du peu d'habileté de nos Peintres & de la grande capacité de ceux qui en jugent, je vous declare que c'est tout le contraire.

moderne

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

ancien

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement

LE PRESIDENT. Cependant, ce n'est pas là le sentiment commun ; & si l'on en croit les Connoisseurs, les moindres tableaux des Anciens vont devant les plus beaux des Modernes.
L'ABBE. Vous croyez sans doute que cela vient du peu d'habileté de nos Peintres & de la grande capacité de ceux qui en jugent, je vous declare que c'est tout le contraire.
Si nos Peintres vouloient bien prendre moins de peine a leurs tableaux, en faire la composition plus simple & sans Art, marquer le proche & le loin presque également, & ne s'attacher qu'à la belle couleur ; en un mot faire des especes d'enlumineures plûtost que de vrais tableaux, nos pretendus Connoisseurs en seroient mille fois plus contens ; mais les Peintres aiment mieux ne plaire qu’à un petit nombre de gens qui s'y connoissent, qu'à une multitude peu éclairée. Un seul homme du métier qu'ils estiment ou qu'ils craignent, les anime plus & les fait plus suer que tout le reste du monde ensemble.
LE CHEVALIER. Je trouve qu'ils ont raison, & qu'il seroit plus à propos de nous instruire dans la Peinture pour en bien juger, que de vouloir qu'ils peignent mal pour nous satisfaire.
LE PRESIDENT. Est-ce que tant de gens d'esprit, dont le siecle est rempli ne se connoissent pas en peinture ?
L'ABBE. Il y en a beaucoup qui s'y connoissent, mais il y en a encore davantage qui n'estant point nez pour les Arts, & n'en ayant fait aucune étude n'y entendent rien du tout.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → connaissance

LE PRESIDENT. Mais que direz-vous des Curieux qui sont du mesme avis ? Vous ne pouvez pas les traiter d'ignorans en peinture, eux qui en decident souverainement.
L'ABBE. Il y a quelques Curieux qui ont le goût tres-fin ; mais il y en a beaucoup qui ne se connoissent en tableaux que comme les Libraires se connoissent en Livres. Ils sçavent le prix, la rareté & la genealogie d'un tableau sans en connoistre le vray mérite, comme les Libraires sçavent parfaitement ce qu'un Livre doit estre vendu, l'abondance ou le peu d'exemplaires qu'il y en a, & l'histoire de ses éditions, sans rien sçavoir de ce qui est contenu dans le Livre.
LE CHEVALIER. Je suis persuadé que les Curieux dont vous parlez sont plus habiles que vous ne dites, mais qu’ils sont bien aises d'entretenir la passion des vieux tableaux, & pour cause.

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → connaissance

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → connaissance

Conceptual field(s)

SPECTATEUR → jugement
SPECTATEUR → marché de l'art