Work of Art

PRESENTATION

VERONESE, Paolo (Paolo Caliari), Les Pèlerins d'Emmaüs, v. 1559, 242 x 416, Paris, Musée du Louvre, INV. 146 .

Quotation

D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

Quotation

Ainsi la grande difficulté n'est pas de prouver qu'on l'emporte aujourd'huy sur Zeuxis, sur les Timantes & sur les Appelles, mais de faire voir qu’on a encore quelque avantage sur les Raphaels, sur les Titiens, sur les Pauls Veroneses, & sur les autres grands Peintres du dernier siecle. Cependant j'ose avancer qu'à regarder l'Art en luy-mesme, entant qu’il est un amas & une collection de preceptes, on trouvera qu'il est plus accompli & plus parfait presentement qu'il ne l'estoit du temps de ces grands Maistres.

Quotation

Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors

Quotation

L’ABBE. J'en conviens, mais quelle necessité & quelle bienseance y a-t’il que ces personnages parlent, & que cette femme vienne montrer là sa chair ? [...] Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage. Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme.

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Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

Quotation

LE PRESIDENT. C'est un usage si receu de mettre dans des tableaux de pieté ceux qui les font faire, & d’y mettre aussi toute leur famille, que cet assemblage de personnes de differens temps & de differens lieux, ne devroit pas vous étonner.
L'ABBE. Je connois cet usage & je ne le blâme point, quoyque les Peintres n’ayent pas sujet d'en estre fort contens. On voit tous les jours dans des Nativitez, ceux qui ont fait le tableau, mais à genoux & dans l'adoration comme les Bergers. On en voit aussi dans des tableaux de Crucifix, mais prosternez & les yeux levez vers le Sauveur, en sorte que leur action particuliere est liée à l’action principale, & concourt à la mesme fin. Icy les personnages ne semblent pas se voir les uns les autres, & il n'y a que la seule volonté du Peintre qui les ayt fait trouver dans le mesme lieu.
LE PRESIDENT. Tous ces pretendus défauts ne regardent point le Peintre comme Peintre, mais feulement comme Historien.
L’ABBE.
Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage.

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i l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions. Tout ne va qu'à representer l'étonnement, l'admiration, la surprise & la crainte que cause l'arrivée du plus celebre Conquerant de la Terre, & si ces passions qui n'ont toutes qu'un mesme objet le trouvent différemment exprimées dans les diverses personnes qui les ressentent. La Mere de Darius abbatuë sous le poids de sa douleur & de son âge, [...]. [...] D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

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Si nous voulons présentement entrer dans ce qui est du pur Art de la peinture, nous trouverons que non seulement la Perspective y est partout bien observée, mais que rien ne se peut ajoûter à la belle œconomie du tout ensemble, les figures qui semblent participer presque également à la mesme lumiere, sont neantmoins tellement degradées, que si on les vouloit changer de place, elles ne pourroient s’accorder ensemble, à cause de la difference de leur teinte, qui semble la mesme dans la situation où elles sont, mais qui paroistroit alors tres-differente. Voila ce qui ne se peut pas dire si positivement du tableau des Pellerins, de Paul Veronese, ny de la plûpart des tableaux de son temps. Ainsi je compare les ouvrages de nos excellens Modernes à des corps animez, dont les parties sont tellement liées les unes avec les autres, qu'elles ne peuvent pas estre mises ailleurs, qu'au lieu où elles sont ; & je compare la plûpart des tableaux anciens à un amas de pierres ou d'autres choses jettées ensemble au hazard, & qui pourroient se ranger autrement qu'elles ne sont sans qu'on s'en apperçust.

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L’ABBE. J'en conviens, mais quelle necessité & quelle bienseance y a-t’il que ces personnages parlent, & que cette femme vienne montrer là sa chair ?
LE PRESIDENT. C'est un usage si receu de mettre dans des tableaux de pieté ceux qui les font faire, & d’y mettre aussi toute leur famille, que cet assemblage de personnes de differens temps & de differens lieux, ne devroit pas vous étonner.
L'ABBE. Je connois cet usage & je ne le blâme point, quoyque les Peintres n’ayent pas sujet d'en estre fort contens. On voit tous les jours dans des Nativitez, ceux qui ont fait le tableau, mais à genoux & dans l'adoration comme les Bergers. On en voit aussi dans des tableaux de Crucifix, mais prosternez & les yeux levez vers le Sauveur, en sorte que leur action particuliere est liée à l’action principale, & concourt à la mesme fin. Icy les personnages ne semblent pas se voir les uns les autres, & il n'y a que la seule volonté du Peintre qui les ayt fait trouver dans le mesme lieu.
LE PRESIDENT. Tous ces pretendus défauts ne regardent point le Peintre comme Peintre, mais feulement comme Historien.
L’ABBE.
Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage. Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

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Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

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Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

Quotation

Ainsi la grande difficulté n'est pas de prouver qu'on l'emporte aujourd'huy sur Zeuxis, sur les Timantes & sur les Appelles, mais de faire voir qu’on a encore quelque avantage sur les Raphaels, sur les Titiens, sur les Pauls Veroneses, & sur les autres grands Peintres du dernier siecle. Cependant j'ose avancer qu'à regarder l'Art en luy-mesme, entant qu’il est un amas & une collection de preceptes, on trouvera qu'il est plus accompli & plus parfait presentement qu'il ne l'estoit du temps de ces grands Maistres.

Quotation

Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors ; mais comme un tableau est un poëme müet, où l'unité de lieu, de temps & d'action doit estre encore plus religieusement observée que dans un poëme veritable, parce que le lieu y est immuable, le temps indivisible, & l'action momentanée ; Voyons comment cette regle est observée dans ce tableau. [...] Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme. Si l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions.

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Si nous voulons présentement entrer dans ce qui est du pur Art de la peinture, nous trouverons que non seulement la Perspective y est partout bien observée, mais que rien ne se peut ajoûter à la belle œconomie du tout ensemble, les figures qui semblent participer presque également à la mesme lumiere, sont neantmoins tellement degradées, que si on les vouloit changer de place, elles ne pourroient s’accorder ensemble, à cause de la difference de leur teinte, qui semble la mesme dans la situation où elles sont, mais qui paroistroit alors tres-differente. Voila ce qui ne se peut pas dire si positivement du tableau des Pellerins, de Paul Veronese, ny de la plûpart des tableaux de son temps. Ainsi je compare les ouvrages de nos excellens Modernes à des corps animez, dont les parties sont tellement liées les unes avec les autres, qu'elles ne peuvent pas estre mises ailleurs, qu'au lieu où elles sont ; & je compare la plûpart des tableaux anciens à un amas de pierres ou d'autres choses jettées ensemble au hazard, & qui pourroient se ranger autrement qu'elles ne sont sans qu'on s'en apperçust.

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Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors ; mais comme un tableau est un poëme müet, où l'unité de lieu, de temps & d'action doit estre encore plus religieusement observée que dans un poëme veritable, parce que le lieu y est immuable, le temps indivisible, & l'action momentanée ; Voyons comment cette regle est observée dans ce tableau. [...] Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme. Si l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions.

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D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

Quotation

Ainsi la grande difficulté n'est pas de prouver qu'on l'emporte aujourd'huy sur Zeuxis, sur les Timantes & sur les Appelles, mais de faire voir qu’on a encore quelque avantage sur les Raphaels, sur les Titiens, sur les Pauls Veroneses, & sur les autres grands Peintres du dernier siecle. Cependant j'ose avancer qu'à regarder l'Art en luy-mesme, entant qu’il est un amas & une collection de preceptes, on trouvera qu'il est plus accompli & plus parfait presentement qu'il ne l'estoit du temps de ces grands Maistres.

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Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors

Quotation

Quoyqu'il en soit, je demeure d'accord que le tableau des Pellerins est un des plus beaux qu'il se voye, les personnages y sont vivans, & l'on croit ne voir pas moins ce qui se passe dans leur pensée que l'action qu'ils font au dehors ; mais comme un tableau est un poëme müet, où l'unité de lieu, de temps & d'action doit estre encore plus religieusement observée que dans un poëme veritable, parce que le lieu y est immuable, le temps indivisible, & l'action momentanée ; Voyons comment cette regle est observée dans ce tableau. [...] Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme. Si l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions.

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L’ABBE. J'en conviens, mais quelle necessité & quelle bienseance y a-t’il que ces personnages parlent, & que cette femme vienne montrer là sa chair ? [...] Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage. Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées. L'unité d'action, c'est Alexandre qui entre dans la tente de Darius. L'unité de lieu, c'est cette tente où il n'y a que les personnes qui s'y doivent trouver. L'unité de temps c'est le moment où Alexandre dit qu'on ne s'est pas beaucoup trompé en prenant Ephestion pour luy, parce que Ephestion est un autre luy-mesme.

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LE PRESIDENT. C'est un usage si receu de mettre dans des tableaux de pieté ceux qui les font faire, & d’y mettre aussi toute leur famille, que cet assemblage de personnes de differens temps & de differens lieux, ne devroit pas vous étonner.
L'ABBE. Je connois cet usage & je ne le blâme point, quoyque les Peintres n’ayent pas sujet d'en estre fort contens. On voit tous les jours dans des Nativitez, ceux qui ont fait le tableau, mais à genoux & dans l'adoration comme les Bergers. On en voit aussi dans des tableaux de Crucifix, mais prosternez & les yeux levez vers le Sauveur, en sorte que leur action particuliere est liée à l’action principale, & concourt à la mesme fin. Icy les personnages ne semblent pas se voir les uns les autres, & il n'y a que la seule volonté du Peintre qui les ayt fait trouver dans le mesme lieu.
LE PRESIDENT. Tous ces pretendus défauts ne regardent point le Peintre comme Peintre, mais feulement comme Historien.
L’ABBE.
Cela est vray, si vous renfermez la qualité de Peintre à représenter naïvement quelque objet, sans se mettre en peine s'il y a de la vray-semblance, de la bien-seance & du bon sens dans la composition ; mais je ne croy pas que les Peintres vueillent renoncer à l'obligation d'observer des conditions justes & si necessaires dans tout un ouvrage.

Quotation

Quoyqu'il en soit, je soûtiens qu'en qualité de Peintre il [ndr : Véronèse] n'a pas mieux gardé l'unité qui doit estre dans la composition d’un sujet, qu'il l'a fait en qualité d'historien, puisqu'il a mis deux points de veuë dans son tableau, l’un pour le Païsage, & l'autre pour la Chambre, où le Sauveur est assis à table avec ses Disciples ; car l’horison du Païsage est plus bas que cette table dont on voit le dessus qui tend à un autre point de veuë beaucoup plus élevé ; faute de perspective qu'on ne pardonneroit pas aujourd’huy à un Ecolier de quinze jours. Je ne croy pas que nous ayons aucun de ces reproches à faire au tableau de la famille de Darius. C'est un veritable poëme où toutes les regles sont observées.

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i l'on regarde avec quel soin on a fait tendre toutes choses à un seul but, rien n'est de plus lié, de plus reuni, & de plus un, si cela se peut dire, que la representation de cette histoire ; & rien en même temps n'est plus divers & plus varié si l'on considère les différentes attitudes des personnages, & les expressions particulieres de leurs passions. Tout ne va qu'à representer l'étonnement, l'admiration, la surprise & la crainte que cause l'arrivée du plus celebre Conquerant de la Terre, & si ces passions qui n'ont toutes qu'un mesme objet le trouvent différemment exprimées dans les diverses personnes qui les ressentent. La Mere de Darius abbatuë sous le poids de sa douleur & de son âge, [...]. [...] D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

Quotation

D'ailleurs quelle beauté & quelle diversité dans les airs de teste de ce tableau [ndr : La tente de Darius de Le Brun] ; ils sont tous grands, tous nobles, & si cela se peut dire, tous heroïques en leur maniere, de mesme que les vestemens, que le Peintre a recherchez avec un soin & une étude inconcevable. Dans le tableau des Pelerins toutes les testes & toutes les draperies, hors celles du Christ & des deux disciples qui ont quelque noblesse ; sont prises sur des hommes & des femmes de la connoissance du Peintre, ce qui avilit extremement la composition de ce tableau, & fait un mélange aussi mal assorti, que si dans une Tragedie des plus sublimes on mesloit quelques Scenes d'un stile bas & comique.

Quotation

Si nous voulons présentement entrer dans ce qui est du pur Art de la peinture, nous trouverons que non seulement la Perspective y est partout bien observée, mais que rien ne se peut ajoûter à la belle œconomie du tout ensemble, les figures qui semblent participer presque également à la mesme lumiere, sont neantmoins tellement degradées, que si on les vouloit changer de place, elles ne pourroient s’accorder ensemble, à cause de la difference de leur teinte, qui semble la mesme dans la situation où elles sont, mais qui paroistroit alors tres-differente. Voila ce qui ne se peut pas dire si positivement du tableau des Pellerins, de Paul Veronese, ny de la plûpart des tableaux de son temps. Ainsi je compare les ouvrages de nos excellens Modernes à des corps animez, dont les parties sont tellement liées les unes avec les autres, qu'elles ne peuvent pas estre mises ailleurs, qu'au lieu où elles sont ; & je compare la plûpart des tableaux anciens à un amas de pierres ou d'autres choses jettées ensemble au hazard, & qui pourroient se ranger autrement qu'elles ne sont sans qu'on s'en apperçust.