Work of Art
RAFFAELLO (Raffaello Sanzio) , ROMANO, Giulio et DA UDINE, Giovanni, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges dite La Grande Sainte Famille, 1518, huile sur bois, 207 x 140, Paris, Musée du Louvre, Inv. 604.
Bois transposé sur toile en 1751.
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Quotation
Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. [...] De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant. [...] Car encore que la perspective de l’air, & l’affoiblissement des couleurs, par cette coupe dont je viens de parler, soit en effet dans les tableaux, ce qui fait fuir ou avancer les corps ; le Peintre neanmoins qui doit toujours chercher à se prevaloir de toutes sortes des moyens & des secrets de son art quand il veut imiter la force de la Nature, est d’autant plus digne d’estime qu’il sçait découvrir des chemins comme inconnus, pour arriver à son but. C’est pourquoy le Titien sçavoit qu’outre l’affoiblissement que les couleurs reçoivent par les coupes de l’air, & par les differens éloignemens, il y a encore dans les mesmes couleurs, ou une force ou une foiblesse essentielle à leur nature laquelle rend à la veuë les unes plus sensibles que les autres, comme nous avons déjà remarqué ; il sçavoit, dis-je, tout cela, & c’est pourquoy il a toujours observé autant qu’il a pu de les ranger les unes auprès des autres, en sorte que les plus fortes fussent sur les plus foibles.
Quotation
LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun. [...] L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […]. [...] Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille.
Quotation
L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
Quotation
Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille. Car je remarque que ces grands tableaux de Monsieur le Brun se peignent & s'embellissent tous les jours, & que le Temps en y adoucissant ce que le pinceau judicieux luy a donné pour estre adouci & pour amuser son activité, qui sans cela s'attaqueroit à la substance de l’ouvrage, y ajoûte mille nouvelles graces, qu’il n’y a que luy seul qui puisse donner.
Quotation
LE CHEVALIER. Je vous avoue que le tableau de la famille Darius m'a toûjours semblé le chef-d’œuvre de Monsieur le Brun ; & peut-estre que l'honneur qu'il a eu de le peindre sous les yeux du Roy, est cause qu'il s'y est surpassé luy-mesme ; car il le fit à Fontainebleau, où Sa Majesté prenoit une extreme plaisir tous les jours à le voir travailler.
LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.
LE PRESIDENT. Vous passez donc condamnation pour ces deux tableaux ; & voila le siecle de Raphaël au dessus du nôtre.
L' ABBE. Cela ne conclut pas.
Quotation
LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
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LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun. [...] L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […].
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[...] De sorte, dist Pymandre, que je puis sur cela vous faire une question, & vous demander ce que l’on doit le plus estimer dans un tableau ou le genie du Peintre, ou la force de l’Art.
Comme l’esprit du Peintre paroist dans tout ce qu’il fait, repartis-je, vous pourriez plustost demander lequel est le plus digne d’estime, ou celuy qui sçait tromper par la force de son Art, ou celuy qui montre beaucoup d’invention & de feu dans de grands ouvrages, mais qui ne trompent point comme les autres.
Quotation
Toutes ces observations, […] furent jugées tres dignes d’être établies en forme de Preceptes certains & octorisez, mais on conclu neanmoins qu’il n’étoit pas possible de prescrire des regles sur la forme des Ordonnances, parce que chacun y doit agir selon la disposition & la force de son genie, & dans toute la liberté de ses propres conceptions & de son esprit, que cette partie depandoit donc d’un talent surnaturel, & que le conseil qu’on pouvoit donner aux Etudians se reduisoit à ces trois chefs, à sçavoir premierement de bien étudier les Histoires dans les meilleurs Auteurs, afin d’en bien comprendre l’idée principale & les circonstances essentielles : Secondement de menager discretement le Contraste en toutes les parties de son Dessein, pour en former comme un agreable harmonie à la vûe, & enfin s’attacher aux beaux exemples des plus excellens Ouvrages afin de se remplir l’esprit des belles idées pour s’en servir dans la construction des Ordonnances.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
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[...] De sorte, dist Pymandre, que je puis sur cela vous faire une question, & vous demander ce que l’on doit le plus estimer dans un tableau ou le genie du Peintre, ou la force de l’Art.
Comme l’esprit du Peintre paroist dans tout ce qu’il fait, repartis-je, vous pourriez plustost demander lequel est le plus digne d’estime, ou celuy qui sçait tromper par la force de son Art, ou celuy qui montre beaucoup d’invention & de feu dans de grands ouvrages, mais qui ne trompent point comme les autres.
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[...] De sorte, dist Pymandre, que je puis sur cela vous faire une question, & vous demander ce que l’on doit le plus estimer dans un tableau ou le genie du Peintre, ou la force de l’Art.
Comme l’esprit du Peintre paroist dans tout ce qu’il fait, repartis-je, vous pourriez plustost demander lequel est le plus digne d’estime, ou celuy qui sçait tromper par la force de son Art, ou celuy qui montre beaucoup d’invention & de feu dans de grands ouvrages, mais qui ne trompent point comme les autres.
[…] Car c’est ainsi qu’ils jugent en deux manieres de l’obligation du Peintre ; l’une qui est de sçavoir comment les choses doivent estre historiées ; & l’autre de les sçavoir bien peindre. Or comme la derniere est sans doute tres-difficile, puis qu’en cet art, comme dans plusieurs autres, l’execution est au dessus de la theorie, il est toujours plus avantageux de pouvoir faire que de sçavoir simplement ce qu’il faut faire, ils trouvent qu’il est plus glorieux au Titien d’avoir exécuté ses ouvrages dans la perfection des couleurs où elles se voyent, que s’il n’eust sceu, comme quantité d’autres Peintres, qu’inventer de grands sujets qui n’eussent pas esté peints avec cette beauté que l’on admire dans ses ouvrages.
Pour moy, respondit Pymandre, je ne voudrois pas donner mon jugement là dessus ;
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Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille. Car je remarque que ces grands tableaux de Monsieur le Brun se peignent & s'embellissent tous les jours, & que le Temps en y adoucissant ce que le pinceau judicieux luy a donné pour estre adouci & pour amuser son activité, qui sans cela s'attaqueroit à la substance de l’ouvrage, y ajoûte mille nouvelles graces, qu’il n’y a que luy seul qui puisse donner.
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Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.
Cependant, interrompit Pymandre, si un grand ouvrage est traité avec le mesme art qu’un plus petit, le plus grand ne doit-il pas estre plus estimé ?
Il est vray, répondis-je ; mais c’est en quoy ils trouvoient de la difficulté, demeurant quasi tous d’accord qu’on ne peut faire paroistre tant de force dans une grande disposition d’ouvrage que dans un tableau qui est composé de peu de figures ; & la raison qu’ils en apportoient, est que la Peinture a ses bornes & ses limites […].
Cependant, dit Pymandre, il me semble qu’il faut bien plus de science pour traitter un grand ouvrage, pour le bien disposer, pour le remplir d’une infinité de differentes figures, d’habits, d’accomodemens, & pour y faire paroistre toutes ces parties dont vous m’avez parlé, que pour peindre seulement trois ou quatre figures ensemble.
Je vous avouë, repartis-je, que pour bien representer un grand sujet, il faut beaucoup plus de science, plus de travail, & que c’est-là qu’un Peintre a toute l’estendüe necessaire pour donner des marques de son sçavoir. Mais il y en a qui vous diront que ce n’est pas dans ces rencontres que l’art peut faire paroistre davantage sa puissance & la force de ses charmes.
Quotation
A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.
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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
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Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille. Car je remarque que ces grands tableaux de Monsieur le Brun se peignent & s'embellissent tous les jours, & que le Temps en y adoucissant ce que le pinceau judicieux luy a donné pour estre adouci & pour amuser son activité, qui sans cela s'attaqueroit à la substance de l’ouvrage, y ajoûte mille nouvelles graces, qu’il n’y a que luy seul qui puisse donner.
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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.
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LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.
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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
Quotation
Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille. Car je remarque que ces grands tableaux de Monsieur le Brun se peignent & s'embellissent tous les jours, & que le Temps en y adoucissant ce que le pinceau judicieux luy a donné pour estre adouci & pour amuser son activité, qui sans cela s'attaqueroit à la substance de l’ouvrage, y ajoûte mille nouvelles graces, qu’il n’y a que luy seul qui puisse donner.
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LE PRESIDENT. Vous passez donc condamnation pour ces deux tableaux ; & voila le siecle de Raphaël au dessus du nôtre.
L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […].
Quotation
L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël. En effet tout cet Ouvrage paroit plûtôt une allegorie Chrêtienne qu’un sujet Historique ; vous voyez que la figure du petit Christ, est posée dans le milieu du Tableau s’élevant pour embrasser la Vierge, qui de son côté est dans une action inclinée, recevant respectueusement cette faveur d’un air grave & modeste, son vêtement est simple & rempli de pudeur, mais grand & noble, les plis des draperies marquent precisement la proportion du nud, & marient s’y judicieusement le commode avec l’agreable que l’on y remarque nulle part n’y inutilité ni confusion.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël. En effet tout cet Ouvrage paroit plûtôt une allegorie Chrêtienne qu’un sujet Historique ; vous voyez que la figure du petit Christ, est posée dans le milieu du Tableau s’élevant pour embrasser la Vierge, qui de son côté est dans une action inclinée, recevant respectueusement cette faveur d’un air grave & modeste, son vêtement est simple & rempli de pudeur, mais grand & noble, les plis des draperies marquent precisement la proportion du nud, & marient s’y judicieusement le commode avec l’agreable que l’on y remarque nulle part n’y inutilité ni confusion.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
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Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. [...] De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant. [...] Car encore que la perspective de l’air, & l’affoiblissement des couleurs, par cette coupe dont je viens de parler, soit en effet dans les tableaux, ce qui fait fuir ou avancer les corps ; le Peintre neanmoins qui doit toujours chercher à se prevaloir de toutes sortes des moyens & des secrets de son art quand il veut imiter la force de la Nature, est d’autant plus digne d’estime qu’il sçait découvrir des chemins comme inconnus, pour arriver à son but. C’est pourquoy le Titien sçavoit qu’outre l’affoiblissement que les couleurs reçoivent par les coupes de l’air, & par les differens éloignemens, il y a encore dans les mesmes couleurs, ou une force ou une foiblesse essentielle à leur nature laquelle rend à la veuë les unes plus sensibles que les autres, comme nous avons déjà remarqué ; il sçavoit, dis-je, tout cela, & c’est pourquoy il a toujours observé autant qu’il a pu de les ranger les unes auprès des autres, en sorte que les plus fortes fussent sur les plus foibles.
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Cependant, dit Pymandre, il me semble que vous venez de dire que ce qui fait le fort & le foible, & ce que vous appelez l’affoiblissement des teintes, se doit comprendre par les diverses coupes qu’on se peut imaginer à mesure que les corps s’éloignent.
Il est vray, luy repliquay-je, & c’est dont nous avons tantost parlé sur le sujet de la perspective de l’air, Leon Baptiste Albert appelle cette coupe Il taglio. J’avouë que dans la speculation l’on peut comprendre de quelle sorte les objets doivent diminuer de couleur par ces differentes coupes. Mais quand on vient à la pratique, cette speculation, ou le raisonnement qui fait juger combien un corps doit perdre de sa couleur lors qu’on le veut faire paroistre enfoncé dans le tableau dix ou douze pieds plus qu’un autre, ne peut apprendre précisément comment il faut diminuer la teinte de cette couleur, & la proportionner à son éloignement. Avez-vous jamais remarqué un maistre de Musique qui accorde un luth ou une harpe, il vous fera bien connoistre quel ton la premiere corde doit avoir avec la seconde, & ainsi des autres : mais il ne peut vous enseigner à les accorder, en vous disant qu’il faut tourner les chevilles un certain nombre de tours. Il faut que ce soit l’oreille qui juge de l’harmonie lors qu’on les touche. De mesme dans les couleurs on peut dire qu’il en faut diminuer ou augmenter la teinte à mesure qu’elles s’éloignent ou s’approchent ; ou qu’elles reçoivent divers accidents d’ombres & de lumieres : mais c’est à l’œil à juger du plus ou du moins de force qu’on leur donne en les meslant.
Cependant, interrompit Pymandre, si un grand ouvrage est traité avec le mesme art qu’un plus petit, le plus grand ne doit-il pas estre plus estimé ?
Il est vray, répondis-je ; mais c’est en quoy ils trouvoient de la difficulté, demeurant quasi tous d’accord qu’on ne peut faire paroistre tant de force dans une grande disposition d’ouvrage que dans un tableau qui est composé de peu de figures ; & la raison qu’ils en apportoient, est que la Peinture a ses bornes & ses limites […].
Cependant, dit Pymandre, il me semble qu’il faut bien plus de science pour traitter un grand ouvrage, pour le bien disposer, pour le remplir d’une infinité de differentes figures, d’habits, d’accomodemens, & pour y faire paroistre toutes ces parties dont vous m’avez parlé, que pour peindre seulement trois ou quatre figures ensemble.
Je vous avouë, repartis-je, que pour bien representer un grand sujet, il faut beaucoup plus de science, plus de travail, & que c’est-là qu’un Peintre a toute l’estendüe necessaire pour donner des marques de son sçavoir. Mais il y en a qui vous diront que ce n’est pas dans ces rencontres que l’art peut faire paroistre davantage sa puissance & la force de ses charmes.
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[...] De sorte, dist Pymandre, que je puis sur cela vous faire une question, & vous demander ce que l’on doit le plus estimer dans un tableau ou le genie du Peintre, ou la force de l’Art.
Comme l’esprit du Peintre paroist dans tout ce qu’il fait, repartis-je, vous pourriez plustost demander lequel est le plus digne d’estime, ou celuy qui sçait tromper par la force de son Art, ou celuy qui montre beaucoup d’invention & de feu dans de grands ouvrages, mais qui ne trompent point comme les autres.
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LE CHEVALIER. Je vous avoue que le tableau de la famille Darius m'a toûjours semblé le chef-d’œuvre de Monsieur le Brun ; & peut-estre que l'honneur qu'il a eu de le peindre sous les yeux du Roy, est cause qu'il s'y est surpassé luy-mesme ; car il le fit à Fontainebleau, où Sa Majesté prenoit une extreme plaisir tous les jours à le voir travailler.
LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.
LE PRESIDENT. Vous passez donc condamnation pour ces deux tableaux ; & voila le siecle de Raphaël au dessus du nôtre.
L' ABBE. Cela ne conclut pas.
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LE PRESIDENT. Vous passez donc condamnation pour ces deux tableaux ; & voila le siecle de Raphaël au dessus du nôtre.
L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […].
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LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun. [...] L' ABBE. Cela ne conclut pas. Je demeure d'accord que ces deux tableaux, & plusieurs autres Maistres anciens, excellent tellement dans les parties principales de la peinture, qu'à tout prendre ils peuvent estre preferez à ceux d'aujourd'huy, mais je soutiens que ces grands hommes ont tous manqué en de certaines parties, où nos excellens Maistres ne manquent plus. Raphaël par exemple a si peu connu la degradation des lumieres, & cet affoiblissement des couleurs que cause l'interposition de l’air en un mot ce qu'on appelle la perspective aérienne, que les figures du fond du tableau sont presque aussi marquées que celles du devant, […].
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LE PRESIDENT. Quoy donc le saint Michel & la sainte famille que nous venons de voir, ne seront pas comparables aux tableaux de Monsieur le Brun.
L’ABBE. Je serois bien faschée d'avoir avancé une telle proposition, ce sont deux chef-d'œuvres incomparables, & qui surpassent comme je l'ay déja dit, tout ce que l'Italie a de plus beau. Il y a quelque chose de si grand & de si noble dans l'attitude & dans l'air de teste du saint Michel ; la correction du dessein y est si juste, & le mélange des couleurs si parfait, que ce qui peut y estre desiré comme un peu moins de force dans l'extremité des parties ombrées, n’empesche pas qu'il ne soit le premier tableau du monde, à moins qu'on ne luy fasse disputer ce rang par le tableau de la sainte Famille.
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Ainsi à regarder la peinture en elle-mesme & entant qu'elle est un amas de preceptes pour bien peindre, elle est aujourd’huy plus parfaite & plus accomplie qu’elle ne l'a jamais esté dans tous les autres siecles. Je diray mesme que je ne suis pas bien ferme dans le jugement que je fais en faveur des tableaux de ces anciens Maistres, non seulement à cause du respect dont je suis prevenu pour leur ancienneté, mais aussi à cause de la beauté réelle & effective que cette ancienneté leur donne. Car il y a dans les ouvrages de peinture comme dans les viandes nouvellement tuées ou dans les fruits fraischement cueillis, une certaine crudité & une certaine âpreté, que le temps seul peut cuire & adoucir en amortissant ce qui est trop vif, en affoiblissant ce qui est trop fort, & en noyant les extremitez des couleurs les unes dans les autres : Qui sçait le degré de beauté qu'aquerrera la Famille de Darius, le Triomphe d'Alexandre, la deffaite de Porus & les autres grands tableaux de cette force, quand le Temps aura achevé de les peindre, & y aura mis les mesmes beautez dont il a enrichi le saint Michel & la sainte Famille. Car je remarque que ces grands tableaux de Monsieur le Brun se peignent & s'embellissent tous les jours, & que le Temps en y adoucissant ce que le pinceau judicieux luy a donné pour estre adouci & pour amuser son activité, qui sans cela s'attaqueroit à la substance de l’ouvrage, y ajoûte mille nouvelles graces, qu’il n’y a que luy seul qui puisse donner.
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A l’égard du raport qui peut y avoir entre une seule tête & l’ordonnance de plusieurs figures ensemble, il consiste en l’effet du jour & de l’ombre, en l’unité du point perspectif, au fuyant ou diminution des parties reculées & dans la conformité qu’elles doivent avoir pour concourir en l’expression d’une même passion comme à l’idée d’un seul sujet. C’est à quoi aussi ce peut fort bien rapporter la comparaison qu’on fait ordinairement d’une grape de Raisin à l’Ordonnance d’un Tableau, tant pour la disposition des groupes & des figures que pour la distribution de la lumiere ; les groupes étant en l’Ordonnance comme des petites branches ou grapilions, qui bien qu’ils soient distincts & comme separés s’unisent neanmoins comme pour ne faire qu’un tout ensemble : ainsi la lumiere doit jetter son principal éclat en un seul endroit, & aller toûjours en diminuant sur les parties qui s’en éloignent.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël. En effet tout cet Ouvrage paroit plûtôt une allegorie Chrêtienne qu’un sujet Historique ; vous voyez que la figure du petit Christ, est posée dans le milieu du Tableau s’élevant pour embrasser la Vierge, qui de son côté est dans une action inclinée, recevant respectueusement cette faveur d’un air grave & modeste, son vêtement est simple & rempli de pudeur, mais grand & noble, les plis des draperies marquent precisement la proportion du nud, & marient s’y judicieusement le commode avec l’agreable que l’on y remarque nulle part n’y inutilité ni confusion.
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L’esprit de ce grand Peintre ne paroît pas moins dans le second Tableau [ndr : Raphaël, Sainte Famille avec sainte Élisabeth, le petit saint Jean et deux anges, dite La Grande Sainte Famille], tant pour l’ordonnance que pour l’expression, le judicieux choix des attitudes & des aspects y est admirable, les têtes toutes inclinées vers un même objet de tous les divers endroits du Tableau, en font aisement connoître le Heraut, on remarque une vrai-semblance dans l’air grand & majestueux des actions, & une naiveté si naturelle dans la correspondance de toutes les parties, qu’elles paroissent visiblement ne concourit qu’à l’expression de la principale idée du sujet, qui est le grand amour de la Divinité envers l’humanité, & la respectueuse reconnoissance de celle-ci envers celles-là ; […] en sorte que l’harmonie si exactement caractérisée par toutes ces figures semble faire pour ainsi dire le mariage du Ciel avec la Terre, & former en un mot un veritable Emanuël.
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Toutes ces observations, […] furent jugées tres dignes d’être établies en forme de Preceptes certains & octorisez, mais on conclu neanmoins qu’il n’étoit pas possible de prescrire des regles sur la forme des Ordonnances, parce que chacun y doit agir selon la disposition & la force de son genie, & dans toute la liberté de ses propres conceptions & de son esprit, que cette partie depandoit donc d’un talent surnaturel, & que le conseil qu’on pouvoit donner aux Etudians se reduisoit à ces trois chefs, à sçavoir premierement de bien étudier les Histoires dans les meilleurs Auteurs, afin d’en bien comprendre l’idée principale & les circonstances essentielles : Secondement de menager discretement le Contraste en toutes les parties de son Dessein, pour en former comme un agreable harmonie à la vûe, & enfin s’attacher aux beaux exemples des plus excellens Ouvrages afin de se remplir l’esprit des belles idées pour s’en servir dans la construction des Ordonnances.