COYPEL, Charles-Antoine, « Dialogue sur la connoissance de la peinture prononcé dans une conference de l'Academie Royale de Peinture & Sculpture au mois d'Août 1726 », Discours sur la peinture prononcez dans les conferences de l'Academie royale de peinture et de sculpture, Par M. Charles Coypel, Premier Peintre De Monseigneur le Duc d'Orléans, Paris, Pierre-Jean Mariette, 1732, p. 17-34.
Aude Prigot
HUTTON-JAMIESON, Iain, Charles-Antoine Coypel, premier peintre de Louis XV et auteur dramatique (1694-1752) : sa vie et son oeuvre artistique et littéraire d’après des documents inédits, suivies d’une de ses comédies inédites, Paris, Hachette, 1930.
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QUOTATIONS
Il m’a paru que je devois commencer par lui démontrer que la Peinture n’aïant pour objet que la parfaite imitation de la nature, tout homme de bon sens & d’esprit, sans avoir étudié les misteres de cet art, est à portée de sentir les grandes beautez d’un tableau, & de faire souvent même d’excellentes critiques.
Il m’a paru que je devois commencer par lui démontrer que la Peinture n’aïant pour objet que la parfaite imitation de la nature, tout homme de bon sens & d’esprit, sans avoir étudié les misteres de cet art, est à portée de sentir les grandes beautez d’un tableau, & de faire souvent même d’excellentes critiques. Peut-être cette idée m’a-t-elle entrainée trop loin ; je n’ai pû m’empêcher de parler du danger que l’on court en écoutant, & en s’en rapportant à quantité de prétendus connoisseurs : mais après tout pouvois-je m’en dispenser ? D’ailleurs les savants amateurs, tels que nous en connoissons plusieurs, ne m’en sçauront pas mauvais gré, & l’amour propre scaura bien empêcher les autres de se reconnoître dans les portraits generaux : car je declare hautement, que mon dessein n’a point été de peindre personne en particulier. Autant qu'il me paroît necessaire d’attaquer les ridicules, autant qu’il me paroit odieux de designer les personnes qui ont le malheur d’en être chargez ; elles ne sont déjà que trop dignes de pitié.
ALCIPE. […] Seriez-vous dans l’erreur de croire, comme beaucoup de gens, que l’on ne sçauroit sentir les beautez d’un ouvrage, que lorsque l’on sçait de quelle main il est sorti ? Detrompez vous de grace.
DAMON. Mais vous conviendrez, que pour voir un tableau avec plaisir, il faut être au fait des principes de l’art, sans quoi…
ALCIPE. Je conviens que celui qui les a étudiés, doit avoir encore plus de plaisir qu’un autre ; mais je ne conviens pas que cela soit absolument necessaire. Selon votre idée on ne pourroit lire des vers avec plaisir, qu’autant qu’on seroit capable d’en faire soi-même, & il ne seroit plus permis qu’à ceux qui savent la musique, d’écouter un concert. Non, mon cher Damon, les beaux arts sont faits pour toutes les personnes de bon sens & d’esprit ; & sur-tout la Peinture, qui n’a d’autre objet que l’imitation du vrai.
Coypel oppose ici l’appréhension sensuelle et intellectuelle de la peinture, compréhension innée et compréhension acquise grâce à la connaissance des règles.
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Croïez qu’il y a tel homme d’esprit, qui sera plus capable de sentir les grandes beautez d’un tableau, que quantité de prétendus connoisseurs, qui vous imposent par leur jargon ; de ces gens qui ont passé leur vie à étudier les differentes manieres de tels & tels, sans s’appliquer à connoître quelle partie a rendu celui-ci plus fameux que cet autre. Il leur suffit de reconnoître la touche du Titien, ou du Carrache dans un tableau, pour le declarer merveilleux.
ALCIPE. […] Ne croïez pas même qu’ils [ndr : les prétendus connoisseurs] aillent chercher les preuves de l’originalité dans les grandes parties ; non, c’est souvent un petit coin de tableau, la touche d’une plante, d’un nuage, ou le derriere de la toile qui les determinent. D’ailleurs ces gens là n’ignorent aucuns termes de l’art, sçavent exactement la vie des peintres, l’histoire de chaque tableau ; mais ils ne se servent de ces choses, que pour jetter plus d’obscurité dans leur raisonnemens, & donnent aux autres une idée si bizarre de la Peinture, que s’ils ne la regarde pas comme un art purement dépendant du caprice, du moins, ils n’osent plus s’en rapporter à leurs yeux ; ils n’osent enfin loüer la lumiere d’un tableau, parce qu’ils ne scavent pas le mot de clair-obscur ; la beauté des couleurs, parce que le grand terme d’harmonie des couleurs ne leur est pas familier. S’ils voïent par exemple, une belle tête de vieillard, dans laquelle d’heureuses épaisseurs de couleur leur representent des rides, ils n’ignorent pas qu’il y a pour les loüer un terme, dont ils ne peuvent se souvenir ; & faute de se rappeler le beau mot de patroüillis, ils croient devoir se taire.
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ALCIPE. […] & c’est parce que je les [ndr : les productions des anciens] aime, que je suis outré de les entendre loüer par des ignorans, qui n’en démêlent que la rareté, & point du tout l’excellence, par des gens en un mot qui ne connoissent (si j’ose hazarder cette expression) que le caractere d’écriture de Raphael, du Correge, du Titien, & de tant d’autres ; & qui n’ont jamais scu reflechir sur la beauté de leur stile.
[…] Mais lui direz-vous, il me semble que le Peintre qui a voulu representer dans ce tableau une Venus, lui a donné un air désagréable, qui ne convient point à cette Déesse. Eh que dites-vous, répondra-t-il, cette tête est divine ! Regardez-moi cette fonte, cette moële, ce tour pittoresque, cette touche hardie ; comme cet endroit est soufflé ! quelle fabrique dans ces cheveux... Mais, mais, Monsieur, le caractere... Le caractere, Monsieur, le caractere ; voyez comme ces sourcils sont frappez, ce front heurté, & peint à pleine couleur, puis retouché à gras, pouf, pouf, pouf, comme ces gens là faisoient rouler leur pinceau ! comme cela est foüetté !
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ALCIPE. […] Admirez avec quel art ils sont peints, & combien il faut penser solidement, pour que l’execution de la main puisse être aussi juste ? Voyez comme ce Maître sçavoit varier la touche selon les differens objets qu’il peignoit.
Si ces principales parties ne s’y trouvent point, dites en sûreté que la composition de ce tableau ne vous plaît pas ; & vous aurez raison : mais ne vous pressez pas de dire que ce tableau ne vaut rien ; car il pourroit se trouver d’excellentes choses dans le détail.
ALCIPE. […] Quelle est à votre avis la premiere partie de la composition ? N’est-ce pas de vous rendre avec vérité, le sujet que l’on vous annonce ? Si l’on veut vous representer, par exemple, la mort de Jules Cesar, n’étes-vous pas à la portée de juger, si le Peintre a rendu l’image de cette scene ? n’en jugeriez-vous pas au théâtre ? ne verriez-vous pas bien si Cesar & Brutus sont les principaux objets qui frappent votre vûë ? si les autres personnages sont dans l’action, dans laquelle ils doivent être ? enfin si le mouvement de cette scene vous inspire la terreur qui doit vous inspirer ? Si ces principales parties ne s’y trouvent point, dites en sûreté que la composition de ce tableau ne vous plaît pas ; & vous aurez raison : mais ne vous pressez pas de dire que ce tableau ne vaut rien ; car il pourroit se trouver d’excellentes choses dans le détail.
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Si ces principales parties ne s’y trouvent point, dites en sûreté que la composition de ce tableau ne vous plaît pas ; & vous aurez raison : mais ne vous pressez pas de dire que ce tableau ne vaut rien ; car il pourroit se trouver d’excellentes choses dans le détail.
ALCIPE. […] Regardez donc avant que de le [ndr : le tableau] condamner entierement, si (la composition à part) vous ne serez point frappé de la verité de la couleur, de l’effet du clair-obscur, du relief des figures, & de plusieurs parties de l’imitation.
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DAMON. Vous avez beau dire, […] je sens que je connoîtrai bien en voyant un tableau, si l’action est rendüe ; mais il me seroit impossible de juger si les groupes sont bien disposez, si les contrastes sont heureux, si la lumiere y est bien entendüe ; tout cela ne fait-il pas partie de la composition ?
ALCIPE. J’en conviens : mais sçachez que l’action ne peut être parfaitement renduë, qu’autant que ces parties s’y trouvent : les regles du contraste étant établies pour donner du mouvement à la scene, celle des groupes pour lier le sujet, & celles du clair-obscur, pour porter la vûë & l’arrêter sur les principaux objets ; & pour que ces regles soient bien mises en œuvre, il ne faut pas qu’on s’aperçoive que le Peintre y ait pensé, ou du moins qu’elles lui aient rien coûté à observer : il faut qu’il paroisse que le tableau a dû donner l’idée des regles de la composition, & non pas que les regles aient fait faire le tableau.
En effet lorsqu’il s’agira de representer douze personnes frappées du même évenement tout homme bien rempli de son sujet n’a pas besoin d’avoir recours aux regles du contraste, pour éviter de leur donner les mêmes gestes : s’il pense vivement, croyez vous qu’il puisse placer ses figures sur la même ligne, à distance égales ? & si le bon sens le conduit, portera-t-il la masse de ses ombres sur les principaux objets de son tableau ?
n effet lorsqu’il s’agira de representer douze personnes frappées du même évenement tout homme bien rempli de son sujet n’a pas besoin d’avoir recours aux regles du contraste, pour éviter de leur donner les mêmes gestes : s’il pense vivement, croyez vous qu’il puisse placer ses figures sur la même ligne, à distance égales ? & si le bon sens le conduit, portera-t-il la masse de ses ombres sur les principaux objets de son tableau ?
En effet lorsqu’il s’agira de representer douze personnes frappées du même évenement tout homme bien rempli de son sujet n’a pas besoin d’avoir recours aux regles du contraste, pour éviter de leur donner les mêmes gestes : s’il pense vivement, croyez vous qu’il puisse placer ses figures sur la même ligne, à distance égales ? & si le bon sens le conduit, portera-t-il la masse de ses ombres sur les principaux objets de son tableau ?
ALCIPE. […] Quand un Peintre, par exemple, voudra vous representer Apollon, s’il le dessine dans le caractere d’un Hercule, ne sçaurez-vous pas bien lui dire que ce n’est point l’idée que vous avez de ce dieu ? & pensez-vous qu’il ne vous entendra pas aussi-bien, quand vous lui direz : ces muscles là me paroissent trop sensibles ; que si vous lui disiez, vos contours ne sont pas assez coulants ? Y a-t-il quelqu’un qui n’ait pas naturellement une idée de la belle proportion ? un païsan même n’admirera-t-il pas une taille majestueuse ?
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DAMON. Mais il m’arrivera de croire qu’un bras est estropié, parce que je ne suis pas au fait des racourcis ?
ALCIPE. […] il trouvera que son raccourci n’est pas juste, qu’il peche ou par le dessein, ou par le clair-obscur : car enfin quand ces choses sont parfaitement traitées, elles ne doivent frapper qu’en admiration. C’est un des plus grands efforts de la magie de la Peinture. Mais je suppose que le raccourci soit dessiné, & éclairé juste ; peut-être sera-ce le choix qui ne sera pas heureux.
ALCIPE. […] Voyez, par exemple, si les beautés des ouvrages de Raphaël ne sont pas senties de tout le monde ; si elles ne frappent pas également l’homme du métier, & celui qui n’a jamais manié le craïon. Ce grand maître a eu beau hazarder des racourcis, ils n’ont blessé personne ; & le trait seul, sans le secours de l’ombre, fait son effet par son étonnante justesse.
A l’égard de la couleur, vous êtes à portée de même, & plus encore d’en sentir les beautez, puisqu’il ne s’agit que de comparer le vrai avec l’imitation. Quand vous verrez de la chair qui ressemblera à de la chair, dites hardiment : voilà qui est bien colorié. Lorsqu’au contraire vous verrez dans un tableau de la chair, dans laquelle vous distinguerez le verd, le rouge, le gris ou le jaune ; moquez-vous des grands mots de couleurs brillante, rousse, dorée, suave, precieuse, allez votre chemin : demander la couleur de la chair.
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Quand à l’harmonie generale, pourquoi nos yeux n’auroient-ils pas les mêmes facultez que nos oreilles ? Nous ne sommes touchez du son des instrumens, que lorsqu’ils sont parfaitement d’accord. Les couleurs d’un tableau doivent faire sur nous les mêmes impressions. Si une musique harmonieuse & brillante nous frappe plus qu’une musique platte, quoique nous ne sçachions pas les regles de la composition, pourquoi un tableau brillant & suave ne nous plaira-t-il pas plus qu’un tableau dur & sans accord ?