LEBLOND DE LATOUR, Antoine, Lettre du sieur Le Blond de La Tour à un de ses amis, contenant quelques instructions touchant la peinture, Bordeaux, Pierre du Coq, 1669.
Stéphanie Trouvé
Dedication
Monsieur de Bois-Garnier
Épître(s) at n.p.
Avertissement at n.p.
Épigramme at n.p.
LEBLOND DE LATOUR, Antoine, Lettre du sieur Le Blond de La Tour à un de ses amis, contenant quelques instructions touchant la peinture, Genève, Minkoff Reprint, 1973.
BRAQUEHAYE, Charles, « Les peintres de l'Hôtel de Ville de Bordeaux, Antoine Leblond dit de Latour (1630-1706) », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des départements, 1898, p. 902-954.
TEYSSÈDRE, Bernard, Roger de Piles et les débats sur le coloris au siècle de Louis XIV, Paris, La Bibliothèque des arts, 1965.
ARIKHA, Avigdor, « De la boîte, des figurines et du mannequin », dans ROSENBERG, Pierre (éd.), Nicolas Poussin, 1594-1665, cat. exp., Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 1994-1995, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1994, p. 44-47.
HUTIN, Séverine, Antoine Leblond de Latour (1635-1706), Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2001.
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QUOTATIONS
Ce bel Art, dis-je, est sans doute une imitation admirable des Idées de Dieu, dans la production des Creatures, que les Theologiens appellent une connoissance expresse de toutes les choses possibles.
Car celuy qui agit avec esprit se figure premierement le dessein & l’image de ce qu’il pretent faire et produire au jour. Or Dieu […] a connu méme avant la creation du monde, le modelle & le patron de tout ce qu’il a produit depuis, & de tout ce qu’il doit produire doresnavant, sa connoissance, vaste & profonde luy en ayant fourni la representation & l’effigie interieure, comme une peinture spirituelle, & c’est ce que nous appellons proprement les Idées de Dieu.
Et de mesme que Dieu conserve dans son Eternité une Idée permanente & immutable de toutes choses : de méme ce bel Art a cela d’excellent & de particulier, qu’il conserve sans alteration les extraits de cet adorable Prototype, par la beauté ravissante de ses charmans effais, bien que dans leur existence & et dans leur être, ils soient sujets aux Lois de la Nature qui n’a rien qui ne périsse enfin avec le temps. Car leurs attraits [….] s’évanoüissent […] n’ayant d’autre moyen de se conserver […] que par le divin secours de la Peinture, qui a cela de propre, qu’elle ressemble en ce point au Souverain principe de toutes choses, qui tient renfermé dans soy-méme de toute Eternité, comme dans une source seconde & inépuisable, la beauté & la perfection de toutes les Creatures sans changement & sans défaillance, parce que cette Idée universelle de toutes choses, estant une partie de son essence, elle doit estre aussi parfaite que luy-mesme.
Il s'agit ici de la conception divine de la peinture
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Il faut donc demeurer d’accord que rien n’approche de l’excellence de la Peinture dans les qualitez qui luy sont propres, & que parmy les beaux Arts elle est non seulement un Art admirable & singulier, qui merite d’estre distingué & mis au-dessus de tous les autres, mais encore que c’est quelquechose de divin, quelque chose de plus qu’un Art, qui esleve nostre esprit & le porte au-delà de luy-mesme.
DIEU a donné à chaque Art la qualité qui lui est propre & essentielle [….] la qualité de la Peinture est de créer & de produire une seconde fois, ce qui estoit des-ja créé & produit : & ce qui est encore plus merveilleux, de faire, pour ainsi dire, quelque chose de rien, imitant en cela l’Autheur de toutes choses, qui les a tirées du neant par une puissance sans seconde.
La fin generale de la Peinture, est de glorifier & d’exalter Dieu par la representation la plus naïve & la plus pompeuse de la beauté de ses Creatures, comme il s’exhalte luy-mesme par la complaisance qu’il a dans cet abyme d’Idées ravissantes d’une infinité de Creatures qu’il peut produire incessamment, dont il a tiré cét admirable tout qui compose l’Univers, qui est un Tableau achevé de toutes les beautez imaginables.
Quand un Maistre aura entrepris de dresser un enfant à la Peinture, & qu’il commencera de le former par le desseing, il doit prendre garde surtout de ne point violenter son inclination particulière dans ces commencements, qui ne sont, à proprement parler, que de simples preludes de l’Art ; parce qu’il arrive souvent, que cette contrainte & cette trop grande severité recule l’Enfant au lieu de l’avancer, & ce qui est plus à craindre, elles étouffent en luy cette excellente disposition qu’il avoit apportée en naissant […]. C’est pourquoi il faut remarquer avec soin et vigilance le principal objet du genie de l’Enfant qui le porte naturellement à une chose plustost qu’à une autre, ce qui fait qu’il s’y applique avec plus de plaisir. Et quand on aura observé ce penchant particulier, il le faut cultiver par les moyens les plus courts et les plus efficaces […] car la Peinture estant un Art extremement long, […] l’esprit s’attiediroit par cette langueur où elles font tomber les Apprentis, & cette étincelle de feu qui commençoit à paroistre, se perdroit malheureusement parmis ces vaines minuties. […]
Il y a grande difference entre designer d’après un desseing ou une estampe, & entre designer un homme nud. C’est pourquoy le Disciple aura soin de consulter son Maître sur ses manieres différentes auparavant de rien entreprendre, de meme que pour esquisser, & pour faire les contours d’aprés le naturel. La plus aisée selon moy, est d’estomper, adjoustant trois ou quatre coups de crayon pour finir la figure, parce que cette maniere semble mieux imiter la Chair, que de manier & de finir avec le seul crayon.
Le Disciple qui va à l’Academie, y remarquera diligemment ceux qui dessignent le mieux, et avec plus de promptitude & de sçavoir, parce qu’il arrive souvent que le modelle qui est exposé, venant à se lasser, la pluspart en demeurent à la moitié de leur desseing, pour n’avoir pas cette facilité de designer vite, laquelle on ne peut acquerir qu’en observant exactement ceux qui l’ont déjà acquise.
Il se trouve à l’Academie de plusieurs sortes de papier, le plus commun est le blanc, le bleû, & le gris. Il faut estre extremement propre pour dessigner sur le blanc, parce que les plus petits deffauts y sont remarquables. C’est pourquoy, il faut s’acoustumer à bien finir son ouvrage, & reserver le plus banc pour exprimer les plus grands jours sur la Figure, et faire beaucoup de demy-teintes tant claires que brunes. Quand on dessigne sur le bleû, on se sert de Ceruze, de Tripoly ou de Craye de Champagne pour rehausser les clairs. Le papier gris tient du bleû et du blanc, n’estant pas si clair que cellui-cy, ny si brun que celuy-là. Sa propre couleur sert pour les demy-teintes. On y employe fort peu de blanc pour les clairs, & quelques coups de crayon pour les ombres.
Ayant apris le stile & la belle maniere de l’Academie, le Disciple pourra adjuster quelques morceaux de drapperie à un mannequin grand ou petit, lequel il haillera avec des linges fins demy-mouïllés, & l’ayant posé dans l’attitude convenable, il formera les plis de ses drapperies qui seront de Satin, de Taffetas, ou de quelque autre étoffe de cette sorte, selon son genie, & la nature des sujets, avec la pointe d’un petit bâton pointu fait proprement pour cela. Quand il aura dressé son manequin, & qu’il voudra donner une forme à ses drapperies, suivant la qualité de l’aptitude qu’il pretend exprimer dans son Tableau, il choisira une belle antique moderne, ou taille-douce, que nous appellons Estampe, ou bien des bosses conformes à son desseing & à l’Idée qu’il aura de l’Histoire, & il tachera d’imiter le plus qu’il luy est possible ce patron, qu’il posera à costé du manequin, ou derrière, & avec son bâton pointu, il exprimera sur ce manequin les plis avec les longueurs & les proportions de son exemplaire, jusqu’à ce que son propre genie luy en fournisse de plus conformes à ces Idées qui servent à le perfectionner, car n’ayant pas encore une habitude assez forte pour fournir d’invention à l’expression de l’Histoire, ces moyens plus courts & plus palpables, tracent un chemin plus asseuré à l’invention qui ne se peut acquerir qu’avec le temps, & qui suppose un Peintre habile & experimenté. C’est d’ailleurs une belle methode pour se former d’après l’antique, laquelle tous nos Peintres les plus illustres ont tenuë, pour arriver à la perfection de l’Art.
Après que le Disciple se sera exercé à toutes ces choses & et qu’il se sentira quelque habitude des principales, il pourra s’appliquer à la composition que nous appelons forme, c’est-à-dire exprimer sur du papier, ou sur de l’ardoise ses premières Idées.
[…] l’Histoire qui est la plus noble & la plus importante partie de la Peinture, pour ne pas dire le tout : car ce qui represente bien l’Histoire, représente generalement tout ce qu’il y a de beau & de rare dans le monde, puis qu’elle renferme dans son vaste sein le composé de la nature, qui est l’unique objet de nostre Art. […]
L’estendüe de l’Histoire est si vaste que pour y suffire il faudroit une science, & un esprit extraordinaire, puisque c’est une expression naïve & fidelle des productions infinies de Dieu, une representation de ses Idées ravissantes, un Tableau admirable de sa puissance, & de sa fécondité. Par exemple la Creation du monde, qui est le plus beau & le plus magnifique passage de l’Histoire, ne renferme-t’elle pas en soy tout ce qu’il y a dans la Nature ? n’est-ce pas un pompeux étalage de toutes les merveilles du monde ? car dans sa representation on void des Hommes, des Bétes, des paîsages, des Architectures, des Fruits, des Astres, des Fleuves ; & toutes ces parties sont un objet separé & independent des autres parties de la Peinture, & rendent chacune son sujet parfait dans la difference de ses traits & de ses expressions. De sorte qu’on ne peut nier que la representation de l’Histoire ne demande un Peintre acomply, parce qu’elle suppose une connoissance parfaite de toutes les parties de son Art.
Pour faire un Tableau d’Histoire, on lit premierement le sujet qu’on veut representer, & l’ayant bien compris dans toutes ces circonstances, on le digere dans son esprit […] Ensuitte l’on exprime les Idées particulieres qu’on aura eu sur le sujet qu’on aura choisy […] lesquelles Idées on exprimera chacun selon son genie : les uns expriment sur de l’Ardoise , les autres sur du Papier blanc, bleû, ou gris, & quelques-uns sur du Papier imprimé, d’autres enfin, sur de la toile avec des Couleurs, & sont ainsi leurs esquisses. [...]
[…] parce que la chose est tres-importante, je ne puis m’empécher de luy [le disciple] apprendre l’invention du fameux M. Poussin […]
Cet homme admirable & divin inventa une planche barlongue, comme nous l’appelons, qu’il faisoit selon la forme qu’il vouloit donner à son sujet, dans laquelle il faisoit certaine quantité de trous où il mettoit des chevilles, pour tenir ses manequins dans une assiéte ferme & asseurée, & les ayant placés dans leur scituation propre et naturelle, il les habilloit d’habits convenables aux figures qu’il vouloit peindre, formant les draperies avec la pointe d’un petit bâton, […] & leur faisant la teste, les pieds, les mains & le corps nud, comme on fait les Anges, les elevations des Païsages, les pieces d’Architecture, & les autres ornemens avec de la cire molle, qu’il manioit avec adresse & avec une tranquilité singuliere : En ayant exprimé ses Idées de cette manière, il dressoit une boëtte Cube, ou plus longue que large, selon la forme de sa planche, qui servoit d’assiette à son Tableau, laquelles boëtte il bouchoit bien de tous costés, hormis celuy par où il ouvroit toute sa planche qui soutenoit ses Figures, la posant de sorte que les extremités de la boëtte tomboient sur celles de la planche, entourant ainsi & embrassant, pour ainsi dire, toute cette grande machine.
Ces choses estant preparées de la façon, il consideroit la disposition du lieu où son Tableau devoit estre mis. Si c’estoit dans une Eglise, il regardoit la quantité de fenestres, & remarquoit celles qui donnoient plus de jour à l’endroit destiné pour le metre, si le jour venoit par devant, par le côté, ou par le haut, s’il y venait de plusieurs côtés, ou lequel dominait davantage sur les autres. Et après toutes ces reflections si judicieuses, il arrestoit l’endroit où son Tableau devoit recevoir son veritable jour, & ainsi il ne manquoit jamais de trouver la place la plus avantageuse pour faire des trous à sa boëtte, en la mesme disposition des fenestres de l’Eglise, & pour donner tous les jours & les demy-jours necessaires à son dessein. Et enfin il faisoit une petite ouverture au devant de sa boëtte, pour voir toute la face de son Tableau à l’endroit de la distance ; & et il pratiquait cette ouverture si sagement, qu’elle ne causoit aucun jour étranger, parce qu’il la fermoit avec son œil, en regardant par là pour designer son Tableau sur le papier dans toutes ses aptitudes, ce qu’il faisait sans oublier le moindre trait ny la moindre circonstance, & et l’ayant esquissé ensuite sur sa toile, il y mettoit la derniere main, après l’avoir bien peint & repeint.
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[…] Il y a une difference notable dans les proportions du Corps humain. La hauteur de huit fois la teste qu’on donne communement aux hommes et de neuf fois aux femmes, n’est pas toujours veritable : car le corps d’un Villageois, & à proportion celuy d’une Villageoise, qui sont d’ordinairement plus ramassez et plus grossiers n’ont que sept fois la hauteur de la teste, depuis le sommet jusqu'à la plante des pieds. Les corps plus libres et dégagés en doivent avoir huit fois, & les femmes neuf. Mais si tous ces corps doivent paroistre habillés, on y doit adjouter une demy-teste de hauteur, parce que l’étenduë des draperies emporte et diminüe quelque peu de leur taille, & on leur donne ce surcroit de hauteur, afin qu’ils ayent plus de Grace & de Majesté.
Je desirois vous dire quelque chose de fixe touchant les Couleurs, & en faire une regle infaillible, pour l’appliquer generalement à la disposition de chaque sujet selon son exigence naturelle, mais comme dans chaque espece les individus sont innombrables, & qu’il est impossible d’en trouver deux qui soient toutafait semblables dans la carnation, dans les traits, & dans les autres parties qui les composent, il faudroit parler d’autant de couleurs differentes dans la Nature. Il faut donc que le Peintre judicieux prenne cette regle de luy-mesme, & qu’il soit son propre maistre en cette occasion.
[…] Il faut en premier lieu estudier à fond les traits naturels, & ensuite remarquer exactement l’expression de quelque Peintre renommé. Par exemple le Titien qui a reüssi dans la carnation d’une maniere si excellente, & si particuliere, qu’en cela il a surpassé toute l’antiquité, dont les plus beaux Tableaux n’aprochent par asseurement ceux de ce fameux Peintre pour ce qui est de la carnation, qu’on void si vivement exprimée dans tous les siens, qu’il semble effectivement que le sang coule dans les veines de ses figures.
[…] les couleurs principalles dont nous nous servons, sont le blanc de plomb, qui est le plus beau de tous, la terre rouge, la terre jaune, la terre verte, la laque, le stil de grum, le noir d’os & de charbon, par le mélange desquelles on fait des teintes admirables qui approchent de la chair. On se sert aussi d’outremer, qui est une couleur excellente, non seulement pour les draperies, mais aussi pour la carnation, ayant la propriété de conserver l’éclat et la vivacité de toutes les autres couleurs, avec quoy on la mesle. La lasque fine & le vermillon sont encore fort bons pour bien imiter la chair, & sur toute la chair des femmes qui est plus fraische et plus delicate que celle des hommes. […]
Après avoir fait le fonds du Tableau, qui est pour l’ordinaire un Ciel, un Paysage, quelque Drapperie, ou quelque Architecture afin d’unir les figures, notre disciple fera la principale la première, ou bien il commencera par celles qui doivent paroistre les plus éloignées de la veüe prenant garde que les teintes ne soient trop fortes & qu’elles tiennent un peu du fonds, & reservant ses plus vives couleurs pour les figures les plus proches de la veüe, & ses plus riches pour la principale, qui doit donner plus d’éclat au Tableau.
Si les figures les plus proches doivent estre éclairées, il y appliquera son clair plus fort qu’à tout le reste du Tableau ; & si elles doivent estre ombrées, il y employra de mesme son brun le plus fort, & le plus agreable à la veüe, adoucissant cét excez de force avec jugement : car ce n’est ny le grand clair, ny le grand brun, qui font ce bel effet qu’on admire dans les Tableaux, mais le meslange judicieux des couleurs, & la conduite du Peintre à les appliquer selon la convenance naturelle de son sujet.
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Si les figures les plus proches doivent estre éclairées, il y appliquera son clair plus fort qu’à tout le reste du Tableau; & si elles doivent estre ombrées, il y employra de mesme son brun le plus fort, & le plus agreable à la veüe, adoucissant cét excez de force avec jugement : car ce n’est ny le grand clair, ny le grand brun, qui font ce bel effet qu’on admire dans les Tableaux, mais le meslange judicieux des couleurs, & la conduit du Peintre à les appliquer selon la convenance naturelle de son sujet.
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Qui est-ce qui ne sçait pas que pour faire eclatter un grand blanc, il ne faudrait simplement que mettre un grand noir tout auprés ? les couleurs, de mesme que le reste des choses du monde, ne paroissant jamais tant que par leurs contraires & leurs oppositions. Mais comme le grand blanc & le grand noir singulierement, offensent la veüe par leur excés de force, l’on diminüe ce trop grand effet par un adoucissement discret, afin de les rendre plus proportionnées & plus agreables à l’œil : & c’est l’ordre qu’il faut garder generalement dans l’usage des autres couleurs.
Parce que nous n’avons pas de clair assez vif pour imiter la Nature, il faut employer le plus proprement qu’il se peut celuy que nous avons, pour ne point le ternir par un mélange indiscret. Et puis, nous faisons nos demy-teintes un peu fortes, & quelquefois nous mettons des bruns, comme nous voulons represener la lumiere du Soleil ou celle d’un Flambeau ; nous opposons alors à ces grands clairs, des bruns plus forts que la Nature ne nous les represente, afin de ménager la finesse de l’Art avec la portée de nos Couleurs, qui défaillent en ces rencontres & n’expriment qu’imparfaitement les vivacitez de la Nature.
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Tous ces divers coloris se font avec leurs couleurs propres, en y mélant du blanc pour les clairs, du stil de grum pour les bruns, & de la laque & du noir d’os pour les plus forts des bruns.
Mais remarquez s’il vous plait, que toutes ces Couleurs, c’est à dire la laque, le stil-de-grum, l’inde, le noir d’os, la couleur jaune, la terre rouge, & l’outremer ne se seichent point naturellement, sans y mesler un peu de verdet, ou de l’huile grasse, qui est tres propre & l’unique moyen pour cela. Car le verd-de gris estant tres-pernicieux aux Couleurs, on fera bien de ne s’en servir jamais.
Cette union des couleurs n’est autre chose qu’un meslange discret et judicieux, un usage propre & naturel des Couleurs, selon les jours & les ombres d’un Tableau. Par exemple, si un Tableau a son grand jour par devant, il y faut employer les plus vives Couleurs, & qui expriment mieux les clairs de la lumière. Mais si l’on a un accident de demy-teinte, ou de brun, & que le plus grand jour soit au milieu du Tableau, il faut bien unir les Couleurs les unes avec les autres, & diminuër de distance en distance quelque peu de leur vivacité, afin d’éviter les fautes qui sont si communes en cette sorte d’ouvrages.
Il ne sera pas hors de propos de parler icy […] de la maniere de faire des portraits, puisque d’ailleurs notre siècle s’y adonne si fort, & c’est sur tout le goust de nostre France.
Pour faire un Portrait, il faut d’abord placer la personne qu’on veut peindre, dans un jour qui luy soit le plus avantageux, & qui soit plus propre pour la bien voir en la peignant, sans qu’on soit obligé de tourner la teste ny le corps. On la dessigne ensuite sur la toile, que les uns impriment, & les autres l’encollent simplement ; & l’ayant dessignée, on prepare sur la palette toutes les teintes necessaires pour la Carnation, & pour la Draperie, s’il luy faut faire l’habit immediatement aprés la teste. Puis, le Peintre s’étant éloigné d’une distance raisonnable & proportionnée, il commencera à peindre avec toute la recherche & l’application dont il sera capable, pour attraper ce naturel & cette resemblance, qui doivent estre son premier objet & sa fin la plus proche : car c’est proprement cette resemblance qui merite d’estre appelée une Seconde Creation, & qui donne au peintre le Tiltre glorieux, d’Imitateur de Dieu et de la Nature.
Il y a des peintres qui commencent à peindre par les bruns, & il y en a d’autres qui commencent par les clairs. Ces deux manieres sont bonnes, mais il me semble que la meilleure est de commencer par les bruns. En premier lieu, parce qu’on dessigne deux fois son Portrait par ce moyen, & qu’on remarque si les parties sont bien en leur place. En deuxiéme lieu, parce qu’en posant les clairs les premiers, si c’est en Esté, avant qu’ont les ayt tous posés, une partie est demy-seiche, en sorte que lorsqu’on veut peindre par dessus, les teintes s’enlevent & s’écorchent.
Quand la teste est peinte, & qu’on trouve qu’elle ressemble assez à la personne, dans la distance qu’elle a été tirée, mais que neanmoins approchant le portrait de l’Original, on y remarque quelque petite difference lors qu’on les confronte l’un contre l’autre d’un peu plus loing, cette difference vient de ce que les clairs et les sombres ne sont pas assez forts dans les principaux traits du visage, lesquels on n’a pas recherchés d’assez prez. Car l’expérience nous démontre clairement, qu’un visage regardé de prés se fait mieux voir, que lorsqu’on le regarde dans la distance que le Peintre prend pour le peindre, à cause de l’opacité de l’air, & de la foiblesse de la veüe.
Ayant parlé de la necessité qu’il y a de se servir de l’Huile grasse pour seicher les Couleurs, je ne sçaurois oublier de mettre icy la maniere de la faire, laquelle nostre Disciple ne trouveroit pas peut-être ailleurs.
Il faut avoir une once de Litarge d’or, l’ecraser & la mettre dans un linge, & en ayant fait un noüet, comme quand on veut époncer, il le faut exprimer en le trempant souvent dans de l’huille de noix, que vous mettrés dans un pot d’environ chopine : Et quand cette huille aura pris la couleur de la Litarge, vous la ferés bouïllir l’espace d’un quart d’heure, avec ce nouët de Litarge. Lors que l’huille commencera à brunir, & qu’elle filetera au bout de l’espatule avec quoy on la remüera, il faudra la tirer de dessus le feu, & la laisser dans le mesme pot. Si elle est trop épaisse, c’est une marque qu’elle a trop boüilly : c’est pourquoy il faudra remettre d’autre huille sur la premiere, dans le meme pot, lequel vous ne laisserez sur le feu, qu’autant de temps qu’il sera besoin pour faire votre huile raisonnablement claire, ce que vous jugerez en la faisant souvent filleter au bout de l’espatule : car le plus ou moins de feu empesche de determiner le temps.