BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », Œuvres diverses du Sieur D*** avec le traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin, Paris, Denys Thierry, 1674, p. 3-102.
La traduction de Boileau se compose de 35 chapitres, les huit premiers constituant une « théorie générale du sublime, des moyens de le reconnaître chez les auteurs, et de ses sources », les suivants listant les divers éléments techniques constituant le sublime, telles que les figures [5].
Avant cette traduction, le Peri Hupsous est en général lu comme un texte sur le style sublime, mais Boileau, dans sa préface, est le premier à définir le sublime longinien en opposition à ce style sublime : “Le Stile Sublime veut toûjours de grands mots : mais le Sublime se peut trouver dans une seule pensée, dans une seule figure, dans un seul tour de paroles. Une chose peut estre dans le Stile Sublime, et n’être pourtant pas Sublime, c’est à dire n’avoir rien d’extraordinaire ni de surprenant. […] Il faut donc entendre par Sublime dans Longin, l’Extraordinaire, le Surprenant & comme je l’ay traduit, le Merveilleux dans le discours”. La simplicité est donc l’une des caractéristiques fondamentales du sublime [6]. L’importance de l’effet produit sur le spectateur est également au centre de la définition du sublime longinien.
Comme le souligne S. Hache, le sublime est alors appliqué à la littérature, prise dans un sens large (toute production verbale, écrite ou orale) [7]. Toutefois, ce texte influence certains théoriciens de l’art et/ou artistes. Cela peut s’expliquer car Pseudo-Longin s’intéresse à certaines notions applicables en peinture, telles que l'image, l'amplification (ou copia), [UM1] le rapport entre art et nature, les enjeux du discours (movere, docere) qui s'appliquent également à l'œuvre d'art, les jours et l’ombre ou encore la composition [8]. Cette dernière, définie par Boileau comme l’une des sources du sublime, recouvre ainsi la même importance dans un discours et en peinture, puisqu’elle est souvent présentée dans les traités artistiques comme l’une des parties principales.
La théorie de l’art anglaise du XVIIIe siècle est particulièrement marquée par le sublime longinien, comme le montre la lecture de Jonathan Richardson, dans ses deux traités sur l’art : An Essay on the Theory of Painting, 1715 et 1725 et Two Discourses […], 1719. Ainsi, pour ce dernier comme chez Pseudo-Longin, certaines imperfections sont acceptables dans le sublime. De même, la simplicité est valorisé par Richardson car ayant le potentiel d’être sublime [9].
Élodie Cayuela et Michèle-Caroline Heck
[1] Pour plus de détails sur ces différentes éditions et traductions, voir J. Brody, 1958, p. 9 sqq et B. Weinberg, 1950.
[2] Sur cette première traduction française, voir B. Weinberg, 1963 et E. Gilby, 2007.
[3] B. Cassin, 2004, p. 1228.
[4] Boileau, « Préface », 1674, n.p. Sur les différences entre le texte originel et la traduction de Boileau, voir J. Brody, 1958, p. 43 sqq et S. Hache, 2000, p. 16.
[5] P. Hartmann, 1997, p. 13.
[6] Sur ce point, voir J. Brody, 1958, p. 88 sqq.
[7] S. Hache, 2000, p. 16.
[8] Introduction de Francis Goyet, dans Longin, Traité du Sublime, traduction de Boileau, Paris, Bibliothèque classique, Librairie Générale Française, 1995, p. 13-60.
[9] Pour plus de détails sur l’influence du Peri Hupsous sur la théorie de l’art anglaise, voir L. Hamlett, 2013, et plus particulièrement sur Richardson, voir L. Hamlett et E. Bonnett, 2013.
Table des matières at n.p.
Avis au lecteur at n.p.
Préface at n.p.
Privilèges at n.p.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », Œuvres diverses Traité du sublime ou du Merveilleux dans le discours du sieur D***, Amsterdam, A. Wolfgang, 1692.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », Œuvres diverses du Sr Boileau Despréaux avec le traité du sublime, ou du merveilleux dans le discours, traduit du grec de Longin. Nouvelle édition, revue et augmentée, Paris, Denys Thierry, 1701.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », dans DU MONTEIL (éd.), Œuvres de Nicolas Boileau Despréaux. Avec des éclaircissemens historiques, donnez par lui-même (et le commentaire de Brossette). Nouvelle édition revue, corrigée & augmentée de diverses remarques, Amsterdam, D. Mortier, 1718, 2 vol., vol. II.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », dans DAUNOU, Pierre-Claude-François (éd.), Œuvres complètes de Boileau Despréaux, précédées d'une notice sur sa vie par M. Daunou, Paris, Baudouin frères, 1828, 3 vol., vol. II.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, Traité du sublime, précédé des réflexions critiques sur quelques passages de Longin, Paris, A. Hiard, 1835.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », dans BERRIAT-SAINT-PRIX, Jacques (éd.), Œuvres complètes de Boileau : collationnées sur les anciennes éditions et sur les manuscrits, avec des notes historiques et littéraires et des recherches sur sa vie, sa famille et ses ouvrages, Paris, Philippe, 1837, 4 vol., vol. III.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, « Traité du sublime ou du merveilleux dans le discours. Traduit du Grec de Longin », dans BAINVILLE, Jacques (éd.), Œuvres de Boileau, publiées d'après les textes originaux avec des notices, Paris, Cité des livres, 1928 - 1929, 5 vol., vol. III.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, Dissertation sur la Joconde ; Arrest burlesque ; Traité du sublime, BOUDHORS, Charles-Henri (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1942.
BOILEAU, Nicolas et PSEUDO-LONGIN, Dissertation sur la Joconde ; Arrest burlesque ; Traité du sublime, BOUDHORS, Charles-Henri (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1966.
PSEUDO-LONGIN, Traité du sublime, GOYET, Francis (éd.), trad. par BOILEAU, Nicolas, Paris, Librairie générale française, 1995.
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QUOTATIONS
Il ne reste plus pour finir cette Préface, que de dire ce que Longin entend par Sublime. Car comme il escrit de cette matiere aprés Cecilius qui avoit presque emploié tout son Livre à montrer ce que c’est que Sublime, il n’a pas crû devoir rebatre une chose qui n’avoit esté dêja que trop discutée par un autre. Il faut donc sçavoir que par Sublime, Longin n’entend pas ce que les Orateurs appellent le Stile Sublime : mais cet extraordinaire & ce merveilleux qui frappe dans le Discours, & qui fait qu’un Ouvrage enleve, ravit, transporte. Le Stile Sublime veut toûjours de grands mots : mais le Sublime se peut trouver dans une seule pensée, dans une seule figure, dans un seul tour de paroles. Une chose peut estre dans le Stile Sublime, et n’estre pourtant pas Sublime ; c’est à dire n’avoir rien d’extraordinaire ni de surprenant. Par exemple, Le souverain Arbitre de la Nature d’une seule parole forma la lumiere. Voilà qui est dans le Stile Sublime : cela n’est pas neanmoins Sublime : parce qu’il n’y a rien là de fort merveilleux, & qu’un autre ne pust aisément trouver. Mais. Dieu dit : Que la lumière se fasse, et la lumière se fit. Ce tour extraordinaire d’expression qui marque si bien l’obéïssance de la Creature aux ordres de Createur est veritablement sublime, & a quelque chose de divin. Il faut donc entendre par Sublime dans Longin, l’Extraordinaire, le Surprenant & comme je l’ay traduit, le Merveilleux dans le discours.
Boileau est l'auteur de cette préface.
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Boileau est l'auteur de cette préface.
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Boileau est l'auteur de cette préface.
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Boileau est l'auteur de cette préface.
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Car tout ce qui est veritablement Sublime, a cela de propre, quand on l’écoute, qu’il esleve l’ame, & lui fait concevoir une plus haute opinion d’elle mesme, la remplissant de joie & de je ne sçais quel noble orgueil, comme si c’estoit elle qui eust produit les choses qu’elle vient simplement d’entendre.
[…]. La marque infaillible du Sublime, c’est quand nous sentons qu’un Discours nous laisse beaucoup à penser, fait d’abord un effet sur nous auquel il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de resister, et qu’ensuite le souvenir nous en dure, & ne s’efface qu’avec peine. En un mot, figurez-vous qu’une chose est veritablement Sublime, quand vous voiez qu’elle plaist universellement & dans toutes ses parties. Car lors qu’en un grand nombre de personnes differentes de profession, & d’âge, & qui n’ont aucun rapport ni d’humeurs ni d’inclinations, tout le monde vient à estre frappé également de quelque endroit d’un discours ; ce jugement & cette approbation uniforme de tant d’esprits, si discordans d’ailleurs, est une preuve certaine & indubitable, qu’il y a là du Merveilleux & du Grand.
Chap. VI, Des cinq Sources du Grand.
Il y a, pour ainsi dire, cinq Sources principales du Sublime : mais ces cinq Sources présupposent, comme pour fondement commun, une Faculté de bien parler ; sans quoi tout le reste n’est rien.
Cela posé, la premiere & la plus considerable est une certaine Elevation d’esprit qui nous fait penser heureusement les choses […].
La seconde consiste dans le Pathetique : j’entens par Pathetique, cet Enthousiasme, & cette vehemence naturelle qui touche & qui émeut. Au reste à l’égard de ces deux premieres, elles doivent presque tout à la Nature, & il faut qu’elles naissent en nous : au lieu que les autres dépendent de l’Art en partie.
La troisiéme n’est autre chose que les Figures tournées d’une certaine maniere. Or les Fgures sont de deux sortes les Figures de Pensée, & les Figures de Diction.
Nous mettons pour la quatriesme, la Noblesse de l’expression, qui a deux parties, le choix des mots, & la diction elegante & figurée.
Pour la cinquiéme qui est celle, à proprement parler, qui produit le Grand & qui renferme en soi toutes les autres, c’est la Composition & l’arrangement des paroles dans toute leur magnificence & leur dignité.
[…]. Et certainement […] pour avoir creu que le Sublime & le Pathetique naturellement n’alloient jamais l’un sans l’autre, & ne faisoient qu’un, il [ndr : Cecilius] se trompe : puis qu’il y a des Passions qui n’ont rien de Grand ; & et qui ont mesme quelque chose de bas comme l’Affliction, la Peur, la Tristesse : & qu’au contraire il se rencontre quantité de choses grandes & sublimes, où il n’entre point de passion.
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Chap. XII, De la Sublimité qui se tire des Circonstances
Voions si nous n’avons point encore quelque autre moien par où nous puissions rendre un Discours Sublime. Je dis donc, que comme naturellement rien n’arrive au monde qui ne soit toûjours accompagné de certaines Circonstances, ce sera un secret infaillible pour arriver au Grand, si nous sçavons faire à propos le choix des plus considerables, & si en les liant bien ensemble, nous en formons comme un corps. Car d’un costé ce choix, & de l’autre cet amas de Circonstances choisies attachent fortement l’esprit.
Vous voiés donc bien [...], que ce qui fait la principale beauté de son Discours [ndr : Sapho], ce sont toutes ces grandes Circonstances marquées à propos, & ramassées avec choix. Ainsi quand Homere veut faire la description d’une tempeste, il a soin d’exprimer tout ce qui peut arriver de plus affreux dans une tempeste. […] Mais Homere [ndr : Odyssée, XV, v. 624-628] ne met pas pour une seule fois devant les yeux le danger où se trouvent les Matelots ; il les représente, comme en un tableau, sur le point d’estre submergez à tous les flots qui s’élevent, & imprime jusques dans ses mots & ses syllabes l’image du peril.
Entre les moiens dont nous avons parlé, qui contribuent au Sublime, il faut aussi donner rang à ce qu’ils appellent Amplification […]. En effet l’Amplification se peut diviser en un nombre infini d’Espèces ; mais l’Orateur doit sçavoir que pas une de ses Espèces n’est parfaite de soi, s’il n’y a du Grand & du Sublime […] si vous ostez l’Amplification ce qu’elle a de Grand, vous lui arrachez, pour ainsi dire, l’ame du corps.
Le terme Amplification est l'expression de la notion de copia.
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Je ne sçaurois approuver la definition que les donnent les Maistres de l’art. L’Amplification, disent-ils, est un Discours qui augment & agrandit les choses. Car cette definition peut convenir tout de mesme au Sublime, au Pathetique & aux Figures : puis qu’elles donnent toutes au Discours je ne sçay quel caractere de grandeur. Il y a pourtant bien de la difference […] le Sublime consiste dans la hauteur et l’eslevation : au lieu que l’Amplification consiste aussi dans la multitude des paroles ; c’est pourquoi le Sublime se trouve quelquefois dans une simple pensée : mais l’Amplication ne subsiste que dans la pompe & l’abondance.
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Ces Images, que d’autres appellent Peintures, ou Fictions, sont aussi d’un grand artifice pour donner du poids, de la magnificence, & de la force au discours. Ce mot d’Image se prend en général pour toute Pensée propre à produire une expression, & qui fait une peinture à l’esprit de quelque maniere que ce soit. Mais il se prend encore dans un sens plus particulier & plus resserré ; pour ces discours que l’on fait, lorsque par un enthousiasme & un mouvement extraordinaire de l’ame, il semble que nous voions les choses dont nous parlons, & que nous le mettons devant les yeux de ceux qui écoutent.
Au reste vous devez sçavoir que les Images dans la Rhetorique, ont tout un autre usage que parmi les Poëtes. En effet le but qu’on s’y propose dans la Poësie, c’est l’estonnement & la surprise : au lieu que dans la prose c’est de bien peindre les choses, & de les faire voir clairement. Il y a pourtant cela de commun, qu’on tend à emouvoir en l’une & en l’autre rencontre. [...] Et veritablement je ne sçaurois pas bien dire si Euripide est aussi heureux à exprimer les autres passions ; mais pour ce qui regarde l’amour & la fureur, c’est à quoi il s’est estudié particulierement, & il y a fort bien reussi. Et mesme en d’autres rencontres il ne manque pas quelque-fois de hardiesse à peindre les choses. Car bien que son esprit de lui-mesme ne soit pas porté au Grand, il corrige son naturel, & le force d’estre tragique & relevé, principalement dans les grands Sujets.
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[…] si les Figures naturellement soûtiennnent le Sublime, le Sublime de son costé soûtient merveilleusement les Figures. […] il n’y a point de Figure plus excellente que celle qui est tout-à-fait cachée, & lorsqu’on ne reconnoist point que c’est une Figure. Or il n’y a point de secours ni de remede plus merveilleux pour l’empescher de paroître, que le Sublime & le Pathetique, par ce que l’Art ainsi renfermé au milieu de quelque chose de Grand & d’éclatant, a tout ce qui lui manquoit, & n’est plus suspect d’aucune tromperie. [….] Comment est-ce que l’Orateur a caché la figure dont il se sert ? N’est-il pas aisé de reconnoistre que c’est par l’éclat mesme de sa pensée ? Car comme les moindres lumieres s’évanoüissent, quand le Soleil vient à les éclairer ; de mesme, toutes ces subtilitez de Rhetorique disparoissent à la veüe de cette grandeur qui les environne de tous costés. La mesme chose à peu prés arrive dans la peinture. En effet qu’on tire plusieurs lignes paralleles sur un mesme plan, avec les jours & les ombres : il est certain que ce qui se presentera d’abord à la veuë, ce sera le lumineux, à cause de son grand éclat qui fait qu’il semble sortir hors du tableau, & s’approcher en quelque façon de nous. Ainsi le Sublime & le Pathetique, soit par une affinité naturelle qu’ils ont avec les mouvemens de nostre ame, soit à cause de leur brillant, paroissent davantage, & semblent toucher de plus prés notre esprit que les Figures, dont ils cachent l’art, & qu’ils mettent comme à couvert.
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En effet, il n’y a peut-estre rien d’où les Orateurs et tous les Escrivains en general qui s’estudient au Sublime, tirent plus de grandeur, d’élegance, de netteté, de poids, de force, & de vigueur pour leurs Ouvrages, que du choix des paroles. C’est par elles que toutes ces beautez éclatent dans le discours, comme dans un riche tableau, & elles donnent aux choses une espece d’ame & de vie.