PROBABILITY (n.)
TERM USED AS TRANSLATIONS IN QUOTATION
VRAISEMBLANCE (fra.)VRAISEMBLANCE
On n'examine pas long-temps les ouvrages des grands Maîtres, sans s'appercevoir qu'ils n'ont pas regardé la régularité & les beautez de l'execution comme le dernier but de leur art, mais bien comme les moïens de mettre en œuvre des beautez d'un ordre superieur.
Ils ont observé les regles, afin de gagner notre esprit par une vrai-semblance toujours soutenüe, & capable de lui faire oublier que c'est sur une fiction que notre cœur s'attendrit. Ils ont mis en œuvre les beautez d'exécution, afin de nous prevenir en faveur de leurs personnages, par l'élégance de l'extérieur, ou par l'agrément du langage. Ils ont voulu arrêter nos sens sur les objets destinés à toucher notre ame.
[…] L'enthousiasme qui fait les Peintres & les Poetes, ne consiste pas dans l'invention des mysteres allégoriques, mais bien dans le talent d'enrichir ses compositions par tous les ornemens que la vrai-semblance du sujet peut permettre, ainsi qu'à donner de la vie à tous ses personnages par l'expression des passions. Telle est la Poësie de Raphaël ; telle est la Poësie du Poussin, & de Le Sueur ; & telle fut souvent celle de Monsieur Le Brun & de Rubens.
Il est deux sortes de vrai-semblance en Peinture, la vrai-semblance poëtique & la vrai-semblance mécanique. La vrai-semblance mécanique consiste à ne rien représenter qui ne soit possible, suivant les loix de la statique, les loix du mouvement, & les loix de l'optique.
Cette vrai-semblance mécanique consiste donc à ne point donner à une lumiere d'autres effets que ceux qu'elle auroit dans la nature : par exemple à ne lui point faire éclairer les corps sur lesquels d'autres corps interposez l'empêchent de tomber. Elle consiste à ne point s'éloigner sensiblement de la proportion naturelle des corps ; à ne point leur donner plus de force qu'il est vrai-semblable qu'ils en puissent avoir. Un Peintre pécheroit contre ces loix, s'il faisoit lever par un homme qui seroit mis dans une attitude, laquelle ne lui laisseroit que la moitié de ses forces, un fardeau qu'un homme, qui peut faire usage de toutes ses forces, auroit peine à ébranler. [...] Je ne parlerai point plus au long de la vrai-semblance mécanique, parce qu'on en trouve des regles très-detaillées dans les livres qui traitent de l'Art de la Peinture.
La vrai-semblance poëtique consiste à donner à ses personnages les passions qui leur conviennent suivant leur âge, leur dignité, suivant le temperament qu'on leur prête, & l'interêt qu'on leur fait prendre dans l'action. Elle consiste à observer dans son tableau ce que les italiens appellent il Costumé ; c'est-à-dire à s'y conformer à ce que nous sçavons des mœurs, des habits, des bâtimens & des armes particulieres des peuples qu'on veut représenter. La vrai-semblance poëtique consiste enfin à donner aux personnages d'un tableau leur tête & leur caractere connu, quand ils en ont un, soit que ce caractere ait été pris sur des portraits, soit qu'il ait été imaginé.
La vrai-semblance poëtique consiste encore dans l'observation des regles que nous comprenons, ainsi que les Italiens, sous le mot de Costumé : observation qui donne un si grand mérite aux tableaux du Poussin. Suivant ces regles, il faut représenter les lieux où l'action s'est passée tels qu'ils ont été si nous en avons connoissance, & quand il n'en est pas demeuré de notion précise, il faut, en imaginant leur disposition, prendre garde à ne se point trouver en contradiction avec ce qu'on en peut sçavoir. Les mêmes regles veulent encore qu'on donne aux differentes Nations qui paroissent ordinairement sur la scene des tableaux, la couleur de visage & l'habitude de corps que l'histoire a remarqué leur être propres. Il est même beau de pousser la vrai-semblance jusques à suivre ce que nous sçavons de particulier des animaux de chaque païs, quand nous représentons un évenement arrivé dans ce païs-là. Le Poussin qui a traité plusieurs actions, dont la scene est en Egypte, met presque toujours dans ses tableaux des bâtimens, des arbres ou des animaux, qui par differentes raisons, sont regardez comme étant particuliers à ce païs.
Enfin la vrai-semblance poëtique demande que le Peintre donne à ses personnages leur air de tête connu, soit que cet air de tête nous ait été transmis par des médailles, des statuës ou par des portraits, soit qu'une tradition dont on ne connoit pas la source, nous l'ait conservé, soit même qu'il soit imaginé. Quoique nous ne sçachions pas bien certainement comment saint Pierre étoit fait, néanmoins les Peintres & les Sculpteurs sont tombez d'accord par une convention tacite de le représenter avec un certain air de tête & une certaine taille qui sont devenus propres à ce Saint. En imitation, l'idée reçue & généralement établie, tient lieu de vérité.
L'observation de la vrai-semblance me paroît donc après le choix du sujet la chose la plus importante dans le projet d'un poëme ou d'un tableau. La regle qui enjoint aux Peintres comme aux Poëtes de faire un plan judicieux, & d'arranger leurs idées de maniere que les objets se débrouillent sans peine, vient immédiatement après la regle qui enjoint d'observer la vrai-semblance.
Section 30. De la vrai-semblance en Peinture, & des égards que les Peintres doivent aux Traditions reçuës. p. 260-261