Fab. C’est avec justice qu’on a toujours estimé les peintres, parce qu’ils semblent surpasser en esprit, & en courage les autres hommes ; puisqu’ils osent par leur art imiter ce que Dieu a fait, & le representer de maniere qu’il semble vrai : c’est ce qui fait que je ne m’etonne pas que les Grecs, qui connoissoient le sublime de la peinture, deffendissent aux esclaves de la professer. Aussi Aristote se garde bien de confondre cet art parmi les mecaniques, disant qu’on devroit etablir des ecoles publiques dans les villes, ou les enfants allassent apprendre.
Fab. Il ne suffit pas de dire, ce nud est parfait, & beau autant que cet autre, il faut le prouver. Are. Repondez moi avant toutes choses. Le [sic] nuds de Rafael sont-ils estropiés ? Sont-ils nains ? trop charnus ? Sont-ils secs, ont-ils les muscles deplacés ou autres parties vicieuses ? Fab. J’ai entendu dire à tout le monde qu’ils sont biens : mais qu’ils ne renferment pas en eux tout l’art qu’on trouve en ceux de Michel Ange. Are. Quel est cet art ? Fab. Ils n’ont pas ces beaux contours qu’on les nuds de celuy-ci. Are. Quels sont ces beaux contours ? Fab. Ceux qui forment ces belles jambes, ces beaux piés, & ces belles mains, les dos, les ventres, & tout le reste. Are. Vous ne croiez donc pas, vous, ni les partisans de Michel Ange, que les nuds de Rafael aient ces belles parties ? Fab. Je dis non seulement belles, mais tres belles ; sans pourtant qu’elles egalent les nuds de Michel Ange.