LE BRUN, Charles, « Abrégé d'une conférence de Monsieur Le Brun, Sur la Phisonomie », Conférence de Monsieur Le Brun, Premier Peintre du Roi de France, Chancelier & Directeur de l'Académie de Peinture & Sculpture, Sur l'Expression générale et particulière des Passions. Enrichie de figures gravées par B. Picart, Seconde Édition augmentée de plusieurs testes, Amsterdam, Bernard Picart, 1713, p. 55-61.

INHA Paris NUM 12 D 558 Images hors-texte 5 quotations 3 terms
La conférence de Charles Le Brun consacrée à l’expression des passions s’inscrit dans une perspective plus large, qui ne touche pas seulement le domaine des arts mais aussi la médecine, la philosophie ou encore la littérature. Comme le rappelle Thomas Kirchner, elle participe à un temps fort du milieu du XVIIe siècle qui marque « la naissance de la psychologie française »[1]. En effet, dans le sillage du Livre du Courtisan (Il libro del Cortegiano) publié en 1528 par Baldassare Castiglione, l’intérêt pour les émotions humaines et leur étude s’accroît et donne lieu à des préceptes de bons comportements, de maîtrise de soi. « Vaincre ses passions » apparaît dès lors comme une qualité indispensable au courtisan et au-delà, à chaque acteur de la vie publique. À sa suite, des auteurs français comme Eustache de Refuge ou Nicolas Faret reprennent et agrémentent ces réflexions avec leurs textes parus respectivement en 1616 et 1630 [2]. Mais ce sont surtout les écrits de René Descartes et de Marin Cureau de la Chambre qui opèrent un véritable tournant et influencent les règles fournies par Le Brun dans le cadre de la représentation des passions : le premier s’attachant à une approche philosophique avec Les passions de l’âme (1649), et le second à une démarche médicale avec Les charactères des passions dont la parution s’échelonne de 1640 à 1662, ou encore de L’art de connoistre les hommes (1659-1666). Les six passions dites « simples et primitives » définies par Descartes trouveront par exemple leur écho dans les « passions simples » énoncées par Le Brun et à partir desquelles se déclinent ce qu’il nomme les « passions composées », alors que l’étude de la physionomie ou de l’origine des sentiments de l’âme s’inspirent toutes deux de l’ensemble de ces ouvrages. Dans le domaine de la peinture, cette question a déjà largement occupé Vinci et on la retrouve encore chez Lomazzo puis chez les théoriciens de la première partie du XVIIe siècle (Van Mander, Fréart de Chambray, etc.). Mais il ne s’agissait alors que de parties de textes ou chapitres : l’enjeu pour Le Brun lors de ses conférences de 1668 (et ultérieures) est donc d’énoncer des règles faisant autorité et traitant de la représentation picturale propre à chaque passion. 

Le texte tel qu’il est publié dans sa première édition en 1698 (Paris, E. Picart), ne correspond cependant pas en tant que tel aux discours prononcés par le directeur de l’Académie. Il s’appuie en effet sur une première conférence dont la datation demeure encore incertaine aujourd’hui : en se fondant sur divers éléments, Jennifer Montagu qui y a consacré une importante étude, avance l’année de 1668 [3]. Mais il comporte aussi divers ajouts, sans doute compilés à partir d’interventions ultérieures de Le Brun auprès de l’Académie, auxquels s’adjoignent des extraits tirés de Descartes, de Cureau de la Chambre ou encore de Senault et Charron [4]. Contrairement à ce qu’annonce son titre complet Sur l’expression générale et particulière, l’édition ne reprend en réalité pas la Conférence de Le Brun sur l’expression générale (lue le 7 avril 1668) et se concentre uniquement sur l’expression des passions.
Dans sa version éditée, l’ouvrage s’articule ainsi autour d’une introduction dans laquelle Le Brun définit les diverses passions en les classant en passions simples (l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la tristesse et la joie), puis en passions composées (la crainte, l’espérance, le désespoir, la hardiesse, la colère, etc…). Chaque passion est ensuite passée en revue, expliquée par le premier peintre du roi qui décrit tous les mouvements extérieurs et traits qui en résultent sur l’homme et plus précisément sur son visage, « où les passions se font mieux connoître, quoique plusieurs aient pensé que ce soit dans les yeux ». En s’attachant notamment aux mouvements des sourcils, de la bouche, à l’expression des prunelles, ou encore au blanc de l’œil et aux paupières, à l’inclinaison de la tête, Le Brun codifie l’ensemble des passions de l’âme et propose ainsi un système de représentations qui sert directement la pratique des peintres. Chacune de ces parties est enrichie des têtes d’expression dessinées par Le Brun et gravées ici par Bernard Picart. Les originaux des dessins de Le Brun ont été saisis à la mort du peintre en 1690, puis ont intégré le Cabinet du Roi. De nombreuses copies nous sont par ailleurs parvenues grâce aux gravures de Sébastien Le Clerc (v. 1692), de Testelin (v. 1693-94), de Bernard Picart justement (1698 et 1713), et plus tard de Jean Audran (1727) [5]. D’autre part, on reconnaît plusieurs modèles de ses têtes dans la célèbre œuvre préalablement exécutée par Le Brun, La Tente de Darius (1661, Versailles, Musée national du château et des Trianons). Le propos s’achève enfin par une partie plus succincte, consacrée cette fois au détail des mouvements du corps provoqués par chaque passion. 
La seconde édition de 1713 de Bernard Picart, que nous avons retenue ici, contient également un Abregé d’une conference de monsieur le brun, sur la phisonomie. Christian Michel et Jacqueline Lichtenstein situent ce discours au mois de mars de l’année 1671. Resté sans trace manuscrite, cette dernière contribution de Le Brun est en partie connue grâce aux textes de Testelin, Nivelon et Jouin [6].

La Conférence de Le Brun a connu un très important retentissement dont témoignent ses nombreuses éditions, traductions (en anglais, allemand, néerlandais, italien) et reprises, et ce dès la fin du XVIIe siècle. Testelin s’appuie largement sur ses propos dans son chapitre consacré à l’expression, tout comme Florent Le Comte. De plus, il s’agit de la seule conférence à avoir été publiée en volume séparée au XVIIe siècle, comme le rappellent Christian Michel et Jacqueline Lichtenstein [7]. De ce fait, nous n’avons retenu ici les références principales des rééditions et traductions et nous renvoyons pour le reste à l’étude de Jennifer Montagu qui en a dressé une liste complète [8].

Marianne Freyssinet.

[1] Thomas Kirchner, Les Reines de Perse aux pieds d'Alexandre de Charles Le Brun, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2013, p. 78 et suivantes. 
[2] Eustache de Refuge, Traicté de la Cour, s.l., 1616 et Nicolas Faret, L’honneste-homme. Ou l’art de plaire à la court, Paris, T. Du Bray, 1630.
[3] Jennifer Montagu, The Expression of the Passions. The origin and influence of Charles Le Brun’s Conférence sur l’expression générale et particulière, New Haven-Londres, Yale University Press, 1994, p. 141-143.
[4] Le détail de ces ajouts est donné par J. Montagu, voir ibid., p. 154-162.
[5] Pour le détail, voir J. Montagu, ibid., p. 144-155 ou encore Jacqueline Lichtenstein, Christian Michel, Conférences de l'Académie royale de Peinture et de Sculpture. Tome 1, Les Conférences au temps d'Henry Testelin 1648-1681, ENSBA, 2007, vol. 1, p. 261.
[6] Ibid., p. 283 et 401.
[7] Ibid., p. 260.
[8] J. Montagu, op. cit., p. 175-187.
in-16 french

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Le lecteur

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Le libraire au lecteur at n.p.

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QUOTATIONS

Les santimens que quelques naturalistes ont écrit de la Physionomie, sont que les affections de l’ame suivent le temperamment du corps, & que les marques exterieures sont des signes certains des affections de l’ame que l’on connoist en la forme de chaque animal, ses mœurs & sa complexion ; par exemple, le Lion est robuste & nerveux, aussi il est fort ; le Leopard est soûple […], Les Phisionomistes disent que s’il arrive qu’un homme ait quelque partie du corps semblable à celle d’une bête, il faut tirer des conjectures de ses inclinations, ce que l’on apelle Phisionomie, que le mot de Phisionomie est composé du Grec, qui signifie regle ou loi de nature, par lesquelles les affections de l’ame ont du raport à la forme du corps : qu’ainsi il y a des signes fixes & permanens qui font connoître les passions de l’ame, à sçavoir celles qui resident en la partie sensitive. Quelques Philosophes ont dit, que l’on peut exercer cette science par dissimilitude, c’est a dire par les contraires, par exemple si la dureté du poil est un signe du naturel rude & farouche, la molesse l’est d’un qui sera doux & tendre, de même si la poitrine couverte d’un poil épais est le signe du naturel chaud & colere, celle qui est sans poil marque la mansuetude & la douceur.

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passion de l'âme

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L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
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L’HISTOIRE ET LA FIGURE → figure et corps
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L’HISTOIRE ET LA FIGURE → figure et corps

[…] Voilà quels sont les santimens des anciens Phisionomes, lesquels étendent leurs observations sur toutes les parties du corps & même sur la couleur. 
Mais il est plus apropos de se réduire à ce qui peut estre necessaire aux Peintres, car quoi qu’on dise que le geste de tout le
corps soit un des plus considerables signes, qui marquent la disposition de l’Esprit, l’on peut néanmoins s’arêter aux signes qui se rencontrent en la teste, suivant ce que dit Apulé, que l’homme se montre tout entier en sa teste & qu’à la verité si l’homme est dit le racourci du Monde entier, la teste peut bien estre dire le raccourci de tout son corps, que les animaux sont autant differens dans leurs inclinations, comme les hommes le sont dans leurs affections. Il faut donc premiérement observer les inclinations, que chaque animal a dans sa propre espece, ensuite chercher dans leur Physionomie les parties qui marquent singulierement certaines affections dominantes, par exemple les pourceaux sont sales, lubriques, gourmands & paresseux. Or l’on doit remarquer quelle partie marque la gourmandise, la lubricité & la paresse, parce que quelque homme pourroit avoir des parties ressemblantes à celle d’un pourceau qui n’auroit pas les autres, & ainsi il faut sçavoir premierement quelles parties sont affectées à certaines inclinations. En second lieu la ressemblance & le raport des parties de la face humaine avec celle des animaux, & enfin reconnoître le signe qui change tous les autres, & augmente ou diminuë leur force & leur vertu, ce qui ne se peut faire entendre que par demonstration de figure. […]

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L’HISTOIRE ET LA FIGURE → expression des passions
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