Je ne dis point pour cela qu'il faille prendre mauvaise augure la critique d'un jeune Artisan qui remarque des défauts dans les ouvrages des grands maîtres : il y en a véritablement, car ils étoient des hommes. Le génie, loin d'empêcher qu'on ne voïe ces fautes, les fait même apercevoir. Ce que je regarde comme un mauvais présage, c'est qu'un jeune homme soit peu touché de l'excellence des productions des grands maîtres : c'est qu'il n'entre point dans un espece d'enthousiasme en les lisant : c'est qu'il ait besoin, pour connoître s'il doit les estimer, de calculer les beautez & les défautsqu'il y compte, & qu'il ne forme son avis sur le mérite, qu'après avoir soudé son calcul. S'il avoit la vivacité & la délicatesse de sentiment, qui sont inséparables du génie, il seroit reellement saisi par les beautez des ouvrages consacrez, qu'il jetteroit sa balance & son compas pour en juger, ainsi que les hommes en ont toujours jugé, je veux dire par l'impression que ces ouvrages feroient sur lui.
[…] L'enthousiasme qui fait les Peintres & les Poetes, ne consiste pas dans l'invention des mysteres allégoriques, mais bien dans le talent d'enrichir ses compositions par tous les ornemens que la vrai-semblance du sujet peut permettre, ainsi qu'à donner de la vie à tous ses personnages par l'expression des passions. Telle est la Poësie de Raphaël ; telle est la Poësie du Poussin, & de Le Sueur ; & telle fut souvent celle de Monsieur Le Brun & de Rubens.