Dès que l'attrait principal de la Poësie & de la Peinture, dès que le pouvoir qu'elles ont pour nous émouvoir & pour nous plaire vient des imitations qu'elles sçavent faire des objets capables de nous interresser : la plus grande imprudence que le Peintre ou le Poëte puissent faire, c'est de prendre pour l'objet principal de leur imitation des choses que nous regarderions avec indifference dans la nature : c'est d'emploïer leur Art à nous représenter des actions qui ne s'attireroient qu'une attention médiocre si nous les voïions veritablement. Comment serons-nous touchez par la copie d'un original incapable de nous affecter ? Comment serons-nous attachez par un tableau qui représente un villageois passant son chemin en conduisant deux bêtes de somme, si l'action que ce tableau imite ne peut pas nous attacher ? [...] L'imitation ne sçauroit donc nous émouvoir quand la chose imitée n'est point capable de le faire. Les sujets que Teniers, Wowermans & les autres Peintres de ce genre ont représentez, n'auroient obtenu de nous qu'une attention très-legere. Il n'est rien dans l'action d'une fête de village ou dans les divertissemens ordinaires d'un corps de garde qui puisse nous émouvoir. Il s'ensuit donc que l'imitation de ces objets peut bien nous amuser durant quelques momens, qu'elle peut bien nous faire applaudir aux talens que l'ouvrier avoit pour l'imitation, mais elle ne sçauroit nous toucher.