L’on sait assez que la peinture n’est qu’un fard, qu’il est de son essence de tromper, & que le plus grand trompeur en cet Art, est le plus grand Peintre. La Nature est ingrate d’elle-même, & qui s’attacheroit à la copier simplement comme elle est & sans artifice, feroit toujours quelque chose de pauvre & de très-petit goût. Ce que l’on nomme Exageration dans les couleurs & dans les lumieres, est l’effet d’une profonde connoissance de la valeur des couleurs, & une admirable industrie qui fait paroître les objets peints plus vrais (s’il faut ainsi dire) que les veritables mêmes. C’est dans ce sens que l’on peut dire, que dans les Tableaux de Rubens l’Art est audessus de la Nature, laquelle semble en cette occasion n’être que la copie des ouvrages de ce grand Peintre : & quand les choses, après avoir été bien examinées, ne se trouveroient pas justes, comme on les suppose, qu’importe après tout, pourvû qu’elles le paroissent ; puisque la fin de la Peinture n’est pas tant de convaincre l’esprit que de tromper les yeux.
Cet artifice paroîtra toujours merveilleux dans les grands ouvrages ; car c’est lui qui dans les distances proportionnées à la grandeur des Tableaux, soûtient le caractere des objets particuliers & du Tout-ensemble ; & sans lui, en s’éloignant de l’ouvrage, l’ouvrage s’éloigne du vrai, & tombe dans l’insipidité de la Peinture ordinaire. C’est dans ces grands ouvrages, où l’on voit que Rubens a rendu cette savante exageration plus heureuse & plus sensible ; mais principalement à ceux qui sont capables d’y faire attention, & de l’examiner : car aux personnes qui ne s’y connoissent que peu, rien n’est plus caché que cet artifice.
L’exageration des couleurs à laquelle le Peintre est obligé d’avoir recours à cause de la superficie de son fond, de la distance de son ouvrage, & du tems qui diminue toutes choses, doit être menagée de maniere qu’elle ne fasse point sortir l’objet de son caractere.