IGNORANT (n.)
TERM USED AS TRANSLATIONS IN QUOTATION
IGNORANT (fra.)IGNORANT
Mais il est des beautez dans ces sortes d'ouvrages, dira-t-on, dont les ignorans ne peuvent sentir le prix. Par exemple, un homme qui ne sçait pas que le même Pharnace qui s'étoit allié aux Romains contre son pere Mithridate, fut dépoüillé honteusement de ses Etats par Jules Cesar quelques années après, n'est point frappé de la beauté des vers prophétiques que Racine fait proferer à Mithridate expirant.
Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse, fiez-vous aux romains du soin de son supplice.
Les ignorans ne sçauroient donc juger d'un poëme en géneral, puisqu'ils ne conçoivent qu'une partie de ses beautez.
Je prie le lecteur de ne point oublier la premiere réponse que je vais faire à cette objection. C'est que je ne comprens point le bas peuple dans le public capable de prononcer sur les poëmes ou sur les tableaux, comme de décider à quel dégré ils sont excellens. Le mot de public ne renferme ici que les personnes qui ont acquis des lumieres, soit par la lecture, soit par le commerce du monde. Elles sont les seules qui puissent marquer le rang des poëmes & des tableaux, quoiqu'il se rencontre dans les ouvrages excellens des beautez capables de se faire sentir au peuple du plus bas étage & de l'obliger à se récrier. Mais comme il est sans connoissance des autres ouvrages, il n'est pas en état de discerner à quel point le poëme qui le fait pleurer est excellent, ni quel rang il doit tenir parmi les autres poëmes. Le public dont il s'agit ici est donc borné aux personnes qui lisent, qui connoissent les spectacles, qui voient et qui entendent parler de tableaux, ou qui ont acquis de quelque maniere que ce soit, ce discernement qu'on appelle goût de comparaison.
Véritablement les personnes qui ne sçavent point l'art, ne sont pas capables de remonter jusques aux causes qui rendent un mauvais poëme ennuïeux. Elles ne sçauroient en indiquer les fautes en particulier. Aussi ne prétens-je pas que l'ignorant puisse dire précisement en quoi le Peintre ou le Poëte ont manqué, & moins encore leur donner des avis sur la correction de chaque faute, mais cela n'empêche pas que l'ignorant ne puisse juger par l'impression que fait sur lui un ouvrage composé pour lui plaire et pour l'intéresser, si l'Auteur a réussi dans son entreprise & jusqu'à quel point il y a réussi. L'ignorant peut donc dire que l'ouvrage est bon ou qu'il ne vaut rien, et même il est faux qu'il ne rende pas raison de son jugement. Le Poëte tragique, dira-t-il, ne l'a point fait pleurer, & le Poëte comique ne l'a point fait rire. Il allegue qu'il ne sent aucun plaisir en regardant le tableau qu'il refuse d'estimer. C'est aux ouvrages à se défendre eux-mêmes contre de pareilles critiques [...]
Section XXIV. Objections contre la solidité des jugemens du public, & réponse à cette objection. p. 363-364
[…] il convient de parler des jugemens que les gens de métier en portent. La plûpart juge mal des ouvrages pris en général, par trois raisons. La sensibilité des gens du métier est usée. Ils jugent du tout par voie de discussion. Enfin ils sont prévenus en faveur de quelque partie de l'art, & ils la comptent dans les jugements généraux qu'ils portent pour plus qu'elle ne vaut. Sous le nom de gens de métier, je comprens ici, non -seulement les personnes qui composent ou qui peignent, mais encore un grand nombre de ceux qui écrivent sur les poëmes & sur les tableaux.Quoi, me dira-t-on, plus on est ignorant en Poësie & en Peinture, plus on est en état de juger sainement des poëmes & des tableaux ! Quel Paradoxe !