Un jeune homme ne sçauroit faire dans l'art de la Peinture tout le progrès dont il est capable, si sa main ne se perfectionne pas en même-temps que son imagination. Il ne suffit pas aux Peintres de concevoir des idées nobles, d'imaginer les compositions les plus élegantes, & de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leur main ait été renduë docile à se fléchir avec précision en cent manieres differentes, pour se trouver capable de tirer avec justesse la ligne que l'imagination lui demande. Nous ne sçaurions faire rien de bien, dit Du Fresnoi, dans son Poëme de la Peinture, si notre main n'est pas capable de mettre sur la toile les beautez que notre esprit produit. [...] Le génie a, pour ainsi dire, les bras liez dans un Artisan, dont la main n'est pas dénoüée. Il en est de l'œil comme de la main. Il faut que l'œil d'un Peintre soit accoutumé de bonne heure à juger par une operation sûre & facile en même-temps, quel effet doit faire un certain mêlange, ou bien une certaine opposition de couleur, quel effet doit faire une figure d'une certaine hauteur dans un Grouppe ; & quel effet un certain Grouppe fera dans le tableau, après que le tableau sera colorié. Si l'imagination n'a pas à sa disposition une main & un œil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu'enfante l'imagination, qu'un tableau grossier, & que dédaigne l'Artisan même qui l'a peint, tant il trouve l'œuvre de sa main au-dessous de l'œuvre de son esprit. L'étude nécessaire pour perfectionner l'œil & la main, ne se fait point en donnant quelques heures distraites à un travail interrompu. Cette étude demande une attention entiere & une perséverance continuée durant plusieurs années. […] Le seul tems de la vie qui soit bien propre à faire acquerir leur perfection à l'œil et à la main, est le tems où nos organes, tant intérieurs qu'extérieurs, achevent.