JOUVENET, Jean ( 1644-1717 )

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Quotation

Pour donner des principes certains de cette connoissance, il faut, en voyant un dessein, faire deux examens, le premier consiste à en connoître le goût, & le second à découvrir le nom & le caractere de celui qui l’a fait.
Le goût du pays dans lequel a été fait le dessein, en constate l’école. On distingue trois sortes de goût : l’Italien, le Flamand, & le François.
Le goût Italien (qui n’est autre chose que l’esprit naturel de la nation) s’est formé sur les ouvrages antiques que l’Italie possede. Il consiste en général dans la correction du dessein, dans une belle ordonnance, dans des contours variés & contrastés, dans un beau choix d’attitudes, dans une expression fine, soutenuë d’un grand coloris. A Rome, à Florence, c’est le dessein qui domine, on est entraîné par cette grande partie de la peinture, sans laquelle les autres ne peuvent exister. En Lombardie & à Venise la couleur attire les artistes, ils la regardent comme le propre du peintre, & ils negligent le dessein pour ne s’attacher qu’à l’imitation parfaite de la nature qui n’est visible que parce qu’elle est colorée.
Le goût Flamand est la nature même, telle qu’elle est, sans  trop de choix & sans s’embarrasser de l’antique ; la couleur secondée d’une touche moëlleuse est son objet principal : on reconnoît toujours ce goût à une lourde façon de dessiner. Les Allemans tiennent plus du gothique, ils prennent la nature sans choix ; ils en copient même jusqu’aux défauts (a).
            (a) Decepit exemplar vitiis imitabile,
Hor. epist. 19, lib. I.
Le goût François, si l’on étoit moins enivré de l’Italie, pourroit le disputer aux deux autres. La correction, l’élévation de la pensée, l’allégorie, la poëtique, l’expression des passions, & même la couleur s’y trouvent souvent rassemblées. Les François en géneral ont moins de touche que les Flamans ; le choix des attitudes & des figures est moins élégant que celui des Italiens ; il faut cependant en excepter nos grands peintres, tels que Vouët, le Poussin, le Sueur, Bourdon, le Brun, Jouvenet & le Moine.
Toutes ces nations quand elles étudient l’antique & les ouvrages des grands maîtres, réforment souvent leur goût de terroir, & le rendent infiniment meilleur.
Il naîtra de ces remarques une connoissance naturelle du goût des nations. En voyant un dessein, on le rapportera sur le champ à l’école dont il approche le plus, & l’on dira : il est dans un tel goût. Ainsi l’on sçaura le pays dans lequel le dessein a été fait, & par conséquent l’école du maître.

Quotation

Pour donner des principes certains de cette connoissance, il faut, en voyant un dessein, faire deux examens, le premier consiste à en connoître le goût, & le second à découvrir le nom & le caractere de celui qui l’a fait.
Le goût du pays dans lequel a été fait le dessein, en constate l’école. On distingue trois sortes de goût : l’Italien, le Flamand, & le François.
Le goût Italien (qui n’est autre chose que l’esprit naturel de la nation) s’est formé sur les ouvrages antiques que l’Italie possede. Il consiste en général dans la correction du dessein, dans une belle ordonnance, dans des contours variés & contrastés, dans un beau choix d’attitudes, dans une expression fine, soutenuë d’un grand coloris. A Rome, à Florence, c’est le dessein qui domine, on est entraîné par cette grande partie de la peinture, sans laquelle les autres ne peuvent exister. En Lombardie & à Venise la couleur attire les artistes, ils la regardent comme le propre du peintre, & ils negligent le dessein pour ne s’attacher qu’à l’imitation parfaite de la nature qui n’est visible que parce qu’elle est colorée.
Le goût Flamand est la nature même, telle qu’elle est, sans  trop de choix & sans s’embarrasser de l’antique ; la couleur secondée d’une touche moëlleuse est son objet principal : on reconnoît toujours ce goût à une lourde façon de dessiner. Les Allemans tiennent plus du gothique, ils prennent la nature sans choix ; ils en copient même jusqu’aux défauts (a).
            (a) Decepit exemplar vitiis imitabile,
Hor. epist. 19, lib. I.
Le goût François, si l’on étoit moins enivré de l’Italie, pourroit le disputer aux deux autres. La correction, l’élévation de la pensée, l’allégorie, la poëtique, l’expression des passions, & même la couleur s’y trouvent souvent rassemblées. Les François en géneral ont moins de touche que les Flamans ; le choix des attitudes & des figures est moins élégant que celui des Italiens ; il faut cependant en excepter nos grands peintres, tels que Vouët, le Poussin, le Sueur, Bourdon, le Brun, Jouvenet & le Moine.
Toutes ces nations quand elles étudient l’antique & les ouvrages des grands maîtres, réforment souvent leur goût de terroir, & le rendent infiniment meilleur.
Il naîtra de ces remarques une connoissance naturelle du goût des nations. En voyant un dessein, on le rapportera sur le champ à l’école dont il approche le plus, & l’on dira : il est dans un tel goût. Ainsi l’on sçaura le pays dans lequel le dessein a été fait, & par conséquent l’école du maître.